lundi 17 février 2014

"Vol au-dessus d’un nid de fachos" : enquête sur les réseaux d'extrême droite du Midi

“Vol au-dessus d’un nid de fachos” du journaliste Frédéric Haziza da la chaîne parlementaire LCP.

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“Vol au-dessus d’un nid de fachos” du journaliste Frédéric Haziza da la chaîne parlementaire LCP.
(AFP/MARTIN BUREAU)
Au cœur du livre “Vol au-dessus d’un nid de fachos” du journaliste Frédéric Haziza de la chaîne parlementaire LCP, une trame languedocienne.
Au plus haut sommet de l’État, on aurait eu peur d’un putsch militaire, sur les braises de l’affaire Dieudonné et du Printemps français. C’est la théorie du livre du journaliste Frédéric Haziza, "Vol au-dessus d’un nid de fachos". “Cathos-tradis” et groupuscules d’extrême droite cherchent à en découdre avec l’État PS.
Au centre de l’intrigue, Rodolphe Crevelle, adepte de Maurras, installé ces dernières années entre Aude et Hérault, cheville ouvrière d’un groupe royaliste et catholique, le Lys noir, qui édite La revue de l’Arsenal. Frédéric Haziza explique comment cette dernière est distribuée dans les villes de garnison.
Il cite le Gardois Richard Roudier, chef de file de la Ligue du midi, comme "responsable du Sud de la France", aperçu par la direction de la protection et de la sécurité de la défense (DPSD) aux abords des garnisons d’Orange et de Nîmes. Et toujours selon Haziza, Victor Lenta, ex-engagé volontaire au 3e RPIMa de Carcassonne, "est en charge de la distribution de la revue à Pamiers, Tarbes et Toulouse".
Un coup d'Etat en France 
Le journal L’Opinion rapportait le mois dernier des propos de l’entourage du ministre de la Défense : "Crevelle a allumé une étincelle et un esprit dérangé peut très bien se lancer dans une opération à la Maxime Brunerie", du nom de ce militant d’Unité radicale qui avait tiré sur Jacques Chirac le 14 juillet 2002., Curieusement, le premier à relativiser n’est autre que Richard Roudier.
"Haziza dit que je serais dans le coup de ce putsch, mais c’est Tintin et le sceptre d’Ottokar, des coups d’État virtuels dans la tête de Rodolphe Crevelle", affirme Roudier. Serge Ayoub, alias Batskin (le skinhead à la batte de base-ball), lui aussi cité par Haziza, enfonce le clou : "C’est comme quand on dit qu’Astérix avait attaqué le camp romain de Babaorum, c’est de la blague."
Et Ayoub de voir dans cette polémique de l’agitation orchestrée parManuel Valls : "Il faut créer un fascisme qui n’existe pas. C’est comme pour Dieudonné. On n’était pas obligé de faire ces simagrées." Dormez tranquille, braves gens, au pays des fantasmes de Rodolphe Crevelle, assurent Ayoub et Roudier.
Faut-il les croire sur parole ? Après l’opération de dédiabolisation du FN, les tenants des groupuscules d’extrême droite passeront-ils bientôt pour des enfants de chœur ? "En prenant de l’âge, on fait moins de conneries, le Serge Ayoub de 2014 n’est pas le même que celui de 1980", assure Roudier qui, lui-même, milita au sein d’Unité radicale.
L'affaire Clément Méric
Le quinqua Ayoub et le bientôt septuagénaire Roudier seraient devenus inoffensifs. On peut en douter. Ce serait en tout cas sans compter sur la relève. Face aux fantasmes de Crevelle, Ayoub et Roudier croient à la rue. Même si parfois ça tourne mal. Après la mort du militant antifasciste Clément Méric, Ayoub a préféré dissoudre son mouvement, 3e Voie, avant qu’on ne le fasse à sa place.
Le groupe comptait une section à Sète, où Ayoub a été encore aperçu récemment. A la tête du comité de soutien à Estéban Morillo, l’homme incarcéré après la mort de Clément Méric, figurent Richard Roudier ainsi que ses fils, Martial et Olivier.
Roudier, Ayoub, Crevelle
Roudier et Ayoub se sont aussi retrouvés côte à côte au sein d’un collectif de défense des libertés publiques. "Solidarité, identité, invasion, précarité, famille, “faisons l’union sacrée”", tel est leur leitmotiv. À Paris version Jour de colère, ce 26 janvier, où, rappelons-le, on réclamait... la destitution de François Hollande.
Ou plus localement : en avril dernier, la Ligue du Midi déversait poubelles et fumier devant le siège de la fédération héraultaise du PS, un parti "pourri" qui veut "donner le droit de vote aux étrangers".
Quelques jours plus tard, la Ligue du Midi manifestait à Montpellier contre la venue de l’écologiste Daniel Cohn-Bendit, accusé de symboliser "la décadence morale et politique". Et fin 2010, Roudier défendait devant la prison de Béziers René Galinier, incarcéré pour avoir tiré sur deux cambrioleuses. À ses côtés à l’époque, un certain Rodolphe Crevelle.
PETITS GROUPES ET FRITURE IDÉOLOGIQUE

L’extrême droite française est multiformes. Au point que si Rodolphe Crevelle et Richard Roudier savent se rejoindre parfois, le Lys noir de Crevelle raille " le nom de mouvement débile ", les Identitaires, choisi par Roudier. "C’est une particularité française, par rapport à l’Allemagne ou l’Italie, l’extrême droite ici ce sont des petits groupes, qui se font la guerre, puis s’interconnectent, puis se séparent à nouveau", analyse le Perpignanais Nicolas Lebourg.
Ce chercheur, qui vient d’intégrer un observatoire national des radicalités politiques, illustre les schismes internes à l’extrême droite : "Dominique Venner, qui s’est suicidé récemment, avait tiré les leçons de l’OAS en expliquant que tous les rêves de putsch, c’était du fantasme et qu’il fallait aller vers un nationalisme social. Ayoub et Roudier sont dans cette ligne. Le premier parle de solidarisme et le second fait de l’ethnicisme régional."
Il estime que le pouvoir de ces groupuscules s’est amoindri. "Est-ce qu’ils influencent Marine Le Pen, le débat politique ? La réponse est non. Et on est dans une fantasmagorie de gauche si on croit à la faisabilité d’un putsch. Il faut savoir raison garder."
FRÉDÉRIC HAZIZA JOURNALISTE : "L’ULTRA-DROITE FOMENTAIT UN COUP D’ETAT"


Frédéric Haziza, journaliste de la chaîne parlemantaire LCP
Pris violemment à partie depuis plusieurs mois par ce qu’il appelle « la fachosphère », Frédéric Haziza décrypte les réseaux et les méthodes des mouvances ultra.
Qui retrouve-t-on dans cette "fachosphère" ? Est-elle hétérogène et facile à cerner ?
Tout d’abord, on trouve trois hommes, Soral l’idéologue, Dieudonné, le propagandiste et Ayoub, le milicien. Soral se prétend l’intello décomplexé et c’est aussi lui qui va chercher son argent en Iran pour financer en 2000 "la liste antisioniste" qu’il conduit avec Dieudonné aux Européennes. Un Dieudonné qui recycle les vieux démons et clichés antisémites.
Quant à Ayoub, il a organisé les Jeunesses nationalistes révolutionnaires comme une milice qui défile en uniformes avec armes et emblèmes rappelant le fascisme. Ce qui les unit ? Le rejet du Juif et de l’homosexuel. Mais ils ne supportent pas plus les femmes et encore moins les féministes. Trois conceptions qui les rapprochent des islamo-salafistes avec lesquels ils forment un axe vert-brun.
Au-delà de ces personnages, il existe des relations personnelles et humaines très fortes avec la mouvance de l’ultra-droite, jusqu’à certainsdes conseillers les plus proches de Marine Le Pen, très amis de Soral et Dieudonné, comme Frédéric Chatillon (lequel vient d’annoncer qu’il portait plainte contre Haziza, ndlr) et Serge Ayoub.
On peut penser qu’il existe une sorte de partage des tâches pour essayer de fédérer les mécontents populaires de l’espace péri-urbain, le petit peuple frontiste avec les banlieusards issus de l’immigration de Dieudonné et Soral. Pour cette raison, toute montée du Front national se traduit immanquablement par une montée de l’ultra-droite.
Vous évoquez dans votre livre une tentative précise de déstabilisation de l’Etat en juin dernier… De quoi s’agit-il ?
Oui, il s’agit de l’épisode de La Revue de l’Arsenal, une publication subversive lancée en juin 2013 par Rodolphe Crevelle, un militant de l’ultra-droite identitaire depuis 35 ans. Un catholique intégriste lié à Ayoub et Soral qui a appelé l’armée à renverser le gouvernement en fomentant un coup d’Etat.
La publication de cette revue a été suffisamment prise au sérieux pour qu’un dispositif de contrôle de Crevelle et de son groupe soit mis en place à la demande expresse de François Hollande. Et ce, d’autant plus que Crevelle a appelé trois des plus hauts gradés de l’Armée à fomenter ce coup d’Etat. C’est ce qui a conduit Jean-Marc Ayrault à affirmer devant moi le 7 octobre dernier que « l’extrême droite a tenté de déstabiliser l’armée et l’Etat ».
Je raconte aussi que François Hollande voit derrière cet appel au coup d’Etat, comme dans les sifflets sur les Champs Elysées, le 11 novembre "la contestation de son élection, un procès en illégitimité ".
Propos recueillis par Laure JOANIN
“Vol au-dessus d’un nid de fachos” (Editions Fayard), 175 pages, 15 €.

ARNAUD BOUCOMONT
source : Midi Libre