lundi 7 avril 2014

Laïcité à l'école : l'arnaque de Marine Le Pen sur les cantines

Le Monde.fr 

La première action du FN municipal sera donc symbolique : il s'agira de garantir, ou de rétablir s'ils ont été supprimés, des menus avec porc dans les cantines scolaires. Marine Le Pen l'a annoncé sur RTL, vendredi 4 avril.

« Nous n'accepterons aucune exigence religieuse dans les menus des écoles. Il n'y a aucune raison pour que le religieux entre dans la sphère publique, c'est la loi. »
Pour la chef de file du Front national : il s'agit de « sauver la laïcité qui est en très grave difficulté ». Car, explique Mme Le Pen, « fermer les yeux sur les violations de la laïcité, c'est dans l'esprit de beaucoup de maires UMP et PS s'associer la bienveillance de communautés ». Problème : tout cela est faux.
Et la présidente du FN a continué sur sa lancée, précisant, en fin de journée, surTwitter : « Polémique artificielle : il s'agit d'interdire l'interdiction du porc dans les cantines, et polémique inutile car il y a toujours 2 menus ! »
Sauf que là encore, c'est inexact.
POURQUOI C'EST FAUX 

1. Quelques communes concernées

Reprenons. Marine Le Pen dénonce le fait que des cantines scolaires puissent ne plus utiliser de porc dans leurs menus afin d'en simplifier la préparation. Une version allégée de ses arguments d'il y a quelques mois sur le « halal » dans les cantines, qui étaient déjà en grande partie fantasmés.
Le porc est-il « interdit » dans les cantines scolaires de manière massive ? Absolument pas. On compte 19 000 communes qui ont un service de restauration scolaire. Sur ce total, près de 80 % fait appel à des cuisines centrales qui livrent des repas dans plusieurs structures, seuls les 20 % restant préparant les repas sur place. Ce dont parle Marine Le Pen concerne donc uniquement ces 20% de petites cantines.
Parmi ces cantines, certaines ont fait le choix de supprimer les menus de substitution : plus de menus sans porc. Le maire de Castanet Tolosan en a décidé ainsi dès 2011, comme le maire d'Arveyres (Gironde) qui a fait le même choix en 2013. Quant aux maires qui auraient supprimé tout bonnement le porc des menus des cantines, rien n'indique un phénomène massif. On peut noter quelques cas : ainsi, à Séméac, dans les Hautes-Pyrénées, en 2011, une décision provisoire que le maire promettait de modifier.
L'agitation de certains milieux autour de cette question du porc n'est en tout cas pas nouvelle. L'ex-sénateur UMP Hubert Haenel l'évoquait déjà en 2006.

2. Une question économique et pas religieuse

En 2013, un rapport sur l'accessibilité des cantines scolaires a été publié par le défenseur des droits, Dominique Baudis.  Si ce rapport a depuis été cité, notamment au sujet du porc dans les menus, il y est cependant noté que « cette question [du porc] n'est pas apparue comme une question prioritaire à travers les témoignages reçus par le défenseur des droits ».
Voici ce qu'il disait :
« La plupart de ces témoignages exprimaient un simple souhait de repas sans viande et, dans de rares cas, la mise en place de menus hallal. Certains revendiquaient par exemple un plat de substitution à la viande, ou, plus simplement, la possibilité d'avoir connaissance à l'avance du menu afin de prévoir les jours de présence de l'enfant.
Dans les faits, la plupart des cantines scolaires proposent, de longue date, des plats de substitution à la viande de porc, tout en servant du poisson le vendredi, pratique qui n'a pas été remise en cause par le juge ».
Pour le reste, le défenseur des droits rappelle qu'il n'y a pas d'obligation légale pour une municipalité à fournir des plats de substitution à la viande de porc – contrairement à ce qu'affirme Marine Le Pen. Il recommande cependant « aux mairies qui s'en tiennent au principe de neutralité religieuse en matière de repas scolaires » d'en « informer les parents lors de l'inscription » et d'afficher des menus suffisamment à l'avance pour permettre aux parents de prendre leurs dispositions.
Mais il rappelle surtout ce qui est une évidence pour tous ceux qui ont pufréquenter une cantine : la majorité de celles-ci proposent depuis bien longtemps des plats de substitution. Non seulement au porc, mais aussi, par exemple, au poisson – poisson très fréquemment servi le vendredi dans les cantines, par tradition... chrétienne. C'est le cas de la plupart des menus que nous avons puconsulter en préparant cet article.
On l'a vu, la question est avant tout économique : les petites communes qui n'ont pas les moyens de produire des repas de substitution, le plus souvent car elles préparent des petites quantités de repas, ont deux choix : imposer du porc sans autre plat de remplacement, et laisser le soin aux parents de gérer la question, avec le risque de ne pas offrir des menus comportant suffisamment de protéines à certains enfants ; ou ne plus servir de porc. Tel est l'argument avancé par les maires qui ont mis en place ces pratiques.
Redisons-le, l'essentiel des cuisines centrales et des grands établissements scolaires proposent, depuis des années, des plats de substitution aux élèves qui ne mangent pas de porc. La question ne se pose donc que dans quelques petites communes.

3. La question ne se pose pas dans les villes FN

Que dit Marine Le Pen ? Si on résume, elle explique que les mairies FN ne feront pas le choix d'abandonner le porc, dans l'hypothèse où il faudrait se passer de plats de substitution.
Mais le jour-même de cette déclaration, la mairie de Fréjus (Var) a fait savoir que le cas ne se présentera sans doute jamais. « Il y a toujours eu deux menus dans les cantines : l'un avec porc, l'autre sans porc pour ceux qui ne désirent pas enconsommer. Naturellement, cette possibilité sera préservée dans les cantines de Fréjus, l'essentiel étant que la liberté de chacun soit préservée ».
lire les menus des cantines de ces villes FN, c'est également le cas dans la commune de Beaucaire, dans le Gard. Le Luc, dans le Var, fait appel à la même société. A Camaret-sur-Aigues, c'est également une société privée qui assure les repas, de même qu'à Cogolin , commune qui demande aux parents en début d'année si leur enfant a le droit de manger du porc. A Mantes-la-Ville, le règlement de la cantine prévoit aussi des plats de substitution au porc. Même chose à Villers-Coterêts. Car dans toutes ces villes, les menus affichent du porc.
Ce tableau résume la situation dans les villes FN. On le voit, Mme Le Pen ne parle ici que par hypothèses : aucune mairie FN n'aura à « rétablir » la présence de porc dans les menus.
Ville FNRestaurationPorc dans les menusSubstitution proposée?
Cogolinprivéoui
Beaucaireprivéoui
Le Lucprivé?
Mantes-la-Villevilleoui
Villers-Coterêtsvilleoui
Camaretprivé?
Béziersvilleoui
Fréjusvilleoui
Beaucaireprivéoui
Hayangeville?
Le Pontetville?
Marseille 7villeoui

4. Les mauvaises polémiques de Marine Le Pen.

Reprenons : Marine Le Pen affirme que :
- La question du porc est un signe de la laïcité en danger
Or la question n'a rien de  nouveau, l'immense majorité des cantines propose des plats de substitution depuis des décennies, et aucune organisation religieuse n'a fait récemment de demande particulière sur ce sujet.
- Son parti n'acceptera pas de hallal dans les cantines
Or il n'y en a pas dans les villes qu'il gère.
- Imposera du porc dans les menus
Or c'est déjà le cas de tous les menus que nous avons pu consulter dans les villes FN.
- Mais en conservant un plat de substitution
Or c'est, aussi, déjà le cas dans une majorité des communes FN.
- Si la commune n'avait pas la possibilité de ce plat de substitution, alors elle maintiendrait le porc
Or c'est déjà le cas dans les menus des villes passées au FN.
- Enfin, la présidente du FN assure qu'il « y a toujours deux menus »
C'est plutôt vrai pour les villes FN, ça ne l'est pas en général.

Bref, si Mme Le Pen voulait lancer une polémique, elle a quelque peu raté son coup.