Depuis début avril, les 103 et 105 avenue de Lodève offraient un toit à ceux qui n’en avaient pas.
Dix heures, jeudi 23 octobre au matin, avenue de Lodève à Montpellier. Face à la barrière menaçante des CRS, une cinquantaine d’ex-squatteurs crient leur colère, et occupent les voies du tram de la ligne 3, à proximité de l’arrêt « Cité Astruc ». Deux heures auparavant, ils ont été expulsés des 103 et 105 de cette même avenue : un building et une maison de maître, propriété de l’Ordre des avocats du barreau de Montpellier. Une ordonnance d’expulsion avait été prononcée le 4 juillet dernier.
Depuis début avril, une centaine de personnes avaient rejoint ce lieu, connu à Montpellier sous le nom de Luttopia. Luttopia avait donné un toit à ceux qui n’en avaient pas, et de la nourriture. Joué un rôle éminemment social. « Là, ce sont juste des gens qui n’ont pas de logement ! », crie quelqu’un, excédé, aux CRS. Le groupe, composé de beaucoup de jeunes, décide alors de s’asseoir sur les voies du tram. Il en sera délogé aussitôt, avec beaucoup de brutalité. La tension monte. Puis face aux forces de l’ordre, les expulsés de Luttopia se mettent à chanter. « Il n’y a pas de pays pour les voleurs, les poètes.../ On m’a donné un bout de rien, j’en ai fait cent mille chemins... ». Avec ces paroles, ils dessinent leur propre portrait : « beaucoup de travailleurs pauvres qui ne trouvent pas à se loger, des jeunes de moins de 25 ans souvent chassés de leur famille, non pris en charge par les services sociaux, et à la rue », retrace Jonathan Hardy, le bras en écharpe dans son keffieh après avoir reçu un mauvais coup des CRS... Des cabossés de la vie, comme ce Marocain de 34 ans avec titre de séjour, jusqu’alors cuisinier à Lyon, et qui, après un divorce, « a vu s’éteindre les rêves », et a chuté dans la précarité. Mais aussi « des demandeurs d’asile, des familles sans papiers », complète Sophie Mazas, la présidente de la Ligue des droits de l’homme Montpellier, présente très tôt hier matin aux côtés des expulsés. Selon elle, une cinquantaine de personnes ont été délogées des 103 et 105 avenue de Lodève, hier. Le squat - que les « Luttopistes » nommait « réquisition citoyenne » - abritait « au moins huit familles » selon elle. Hier, seule une famille espagnole allait bénéficier d’un relogement - « pour trois jours » -, les familles arméniennes, sans-papiers, ayant préféré fuir.
Avec Luttopia, « on a pallié la carence de l’Etat pendant six mois... », relève Jonathan Hardy. Hébergé les mal logés - 600 à 800 jeunes à la rue seraient recensés à Montpellier -, mais aussi tous les « invisibles », non comptabilisés par les services sociaux. Hier, la colère des expulsés était d’autant plus grande que, jusqu’il y a très peu de temps, la préfecture envoyait des familles se loger à Luttopia... Elle avait promis des relogements... « Il y a un problème de fond qui va perdurer. Ce n’est pas parce qu’on met la poussière sous le tapis qu’on a fait le ménage », commente Sophie Mazas, lucide.
Catherine Vingtrinier
http://www.lamarseillaise.fr/herault-du-jour/societe/32587-montpellier-le-squat-luttopia-expulse-manu-militari
