Petites et grandes erreurs factuelles d'Eric Zemmour sur l'immigration

Penseur, essayiste, journaliste... Eric Zemmour fascine et dope les audiences. Son dernier ouvrage, Le Suicide français, remporte un grand succès en librairie, et l'homme est de tous les plateaux et de tous les micros pour distiller ses idées. Multicartes et doué pour la polémique, Eric Zemmour n'est pas toujours des plus rigoureux. Illustration avec son intervention, lundi 13 octobre, sur BFMTV et RMC face à Jean-Jacques Bourdin.
1. Regroupement familial ou immigration familiale ?
Ce qu'il a dit :
« Depuis trente ans, il y a une immigration constante depopulation venue du sud de la Méditerranée, qui est petit à petit arrivée en France avec le regroupement familial en 1975, une grande erreur car on est passés d'une immigration de travail à une immigration de peuplement [...]. Il faut arrêter le regroupement familial. »
POURQUOI C'EST DISCUTABLE
Premier postulat, classique : la faute originelle du regroupement familial. Un mythe qui a la dent dure. Pourtant, il est largement discutable.
Le regroupement familial (le fait pour un étranger présent en France de faire venirson conjoint ou ses enfants) est autorisé depuis une ordonnance passée en 1945par le gouvernement provisoire du général de Gaulle – un dirigeant dont M. Zemmour n'a de cesse de se réclamer. En 1976, le regroupement familial devient un droit pour le ressortissant étranger installé en France, qu'on ne peut pas luidénier, sauf exceptions. Ce droit est peu à peu devenu constitutionnel et il est désormais codifié au niveau européen.
En 1975, l'immigration au titre du « regroupement familial » dépasse pour la première fois l'immigration « de travail », une situation qui perdurera presque sans interruption. Toutefois, à la même période, le nombre d'entrées sur le territoire au nom du regroupement familial atteint son plus haut historique, à 81 500 personnes. Depuis, les deux flux (immigration de travail et immigration familiale) ont diminué fortement, si l'on s'en tient stricto sensu à la définition du « regroupement familial ».

Or, M. Zemmour étend cette question à celle de l'immigration pour motifs familiaux, qui concerne tout Français, né ou non à l'étranger, qui ferait venir un conjoint ou des enfants étrangers.
Sur la période plus récente, l'immigration familiale est certes plus importante que l'immigration économique. Mais là encore, on ne peut pas dire qu'elle « explose » : 101 000 titres de séjour au motif familial en 2006 contre 98 000 en 2012, ce qui marque une certaine stabilité.
Aujourd'hui, le « regroupement familial » n'est pas une cause d'immigration de masse ou de délivrance de titres de séjour :
9 %Une étude ciblée de l'Insee sur les 100 000 signataires d'un « contrat d'accueil et d'intégration (CAE) » montrait en 2009 que le regroupement familial ne représentait que 9 % des signataires, 38 % étant des conjoints de Français.

Enfin, on peut s'interroger sur le fait d'opposer une immigration « de travail » bénéfique et une immigration familiale qui serait par essence mauvaise. Selon la même note de l'Insee sur les signataires du CAE, le taux d'activité des personnes entrées en France pour motif familial s'établit à 71 % deux ans après leur arrivée, avec 52 % en emploi et 19 % au chômage. Preuve que les immigrés entrés en France pour motif familial y travaillent bel et bien, ou sont en recherche de travail.
Dernier point : M. Zemmour évoque durant son interview « ce que Camus appelle le grand remplacement ». Il reprend donc la thèse de l'auteur d'extrême droite Renaud Camus sur une substitution des populations « françaises de souche » par des populations immigrées. Une thèse que les chercheurs sérieux jugent pour le moins fantaisiste, chiffres à l'appui :
2. « Un tiers de mariages mixtes »... ou seulement 12 % ?
Ce qu'il a dit :
« Un tiers des mariages sont avec des étrangers qui deviennent Français : 90 000 sur 270 000 si mes chiffres sont exacts. »
POURQUOI C'EST FAUX
Les chiffres de M. Zemmour sont tout sauf exacts : on comptait 231 000 mariages en France en 2013, et non 270 000. La même année, on relevait 17 513 acquisitions de nationalité française par mariage. Si on rapporte l'un à l'autre, le taux est de 7,58 %. On est donc bien loin d'« un tiers ».
Mais cette statistique repose sur des bases fausses. Là encore, le polémiste mélange plusieurs choses. Il ne suffit pas de se marier pour obtenir la nationalité française : un étranger marié à un Français peut la demander après un délai de quatre ans, à condition d'être en France de manière régulière, de fournir des preuves de vie commune, d'une connaissance de la langue française, de l'absence de condamnation pénale… Bref, à des conditions précises et au bout d'un certain temps.
12,2 %Les derniers chiffres de l'Insee, en 2010, indiquent que seulement 12,2 % des mariages contractés en France unissent un Français et un étranger, et 2,9 % sont célébrés entre deux étrangers. Un chiffre globalement stable sur la décennie.
Même si on regarde les mariages concernant les immigrés (dont l'un des deux époux, ou les deux, est né à l'étranger, quelle que soit sa nationalité), on ne constate pas de hausse en quinze ans.
Samuel Laurent
Journaliste au Monde- Le Monde.fr