A Brétigny-sur-Orge et Montpellier, deux centres d’art en danger
Des menaces pèsent sur l’avenir de lieux indispensables à la pérennité d’un art vivant. Artistes et critiques réagissent.
Hasard du calendrier : à quelques jours d’intervalle, ce sont deux lettres ouvertes en soutien à des lieux d’art contemporain, le Centre d’art contemporain de Bretigny d’un côté, la Panacée de Montpellier de l’autre, qui viennent d’être rendues publiques.
Le CAC Brétigny : une fin programmée ?
D’un côté le CAC de Brétigny donc, lieu de rendez-vous culte du Sud-Est parisien pour l’art contemporain depuis le début des années 90, sous la houlette de Xavier Francesqui dans un premier temps (aujourd’hui directeur du Frac île-de-France), de Pierre Bal-Blanc depuis 2004. C’est le départ annoncé de ce dernier, qui va rejoindre l’équipe curatoriale de la prochaine Documenta, qui semble servir de prétexte à l’agglomération du Val d’Orge pour enterrer cette institution qui a pourtant su asseoir une vraie réputation, pointue et exigeante en invitant, entre autres, des artistes importants comme Markus Schinwald, Marie Cool et Fabio Balducci, Xavier Veilhan, David Lamelas, Atelier Van Lieshout, Franz Erhard Walther ou Santiago Sierra.
“La direction culture de l’agglomération du Val d’Orge propose un nouveau fonctionnement (…) à direction unique portée par le théâtre”, une décision qui entraîne le “dé-conventionnement du CAC Brétigny au 1er janvier 2015”, apprend-on ainsi dans un communiqué conjoint de l’association des centres d’art en France, du Cipac et du réseau d’art contemporain en île de France, Tram. En clair, le centre d’art n’en sera plus un, qui ne répondra plus aux normes fixées par le ministère de la Culture.
D’autant que tous les postes de permanents actuellement dédiés au centre d’art ne seront pas reconduits à partir du 30 novembre prochain.“Dans ce contexte précis, nous craignons que le choix de renoncer au conventionnement du centre d’art s’apparente à une absorption de son activité par le théâtre” résument les signataires du communiqué.
De son côté, l’artiste Marie Voignier dont on peut voir actuellement le dernier film, Tourisme international dans ce qui sera peut-être la dernière expo du centre d’art, a tenu à s’exprimer publiquement devant la maire de Morsans et vice-présidente en charge de la culture à l’agglomération du Val d’orge. “Quand on débute comme jeune artiste, on ne commence pas tout de suite à exposer au centre Pompidou ou dans une grande galerie. J’ai eu la chance, à peine diplômée de l’école des beaux arts de Lyon, de rencontrer Pierre Bal-Blanc, directeur du centre d’art de Brétigny qui a vu un de mes films lors d’une présentation de travaux de jeunes diplômés et qui a voulu le montrer au centre d’art à Brétigny” a ainsi raconté cette jeune artiste. “Vous ne le savez peut-être pas si vous n’êtes pas familier du monde de l’art, mais la programmation du centre d’art de Brétigny est très suivie en France et à l’international. Le fait de montrer mon travail à cet endroit et d’y rencontrer des professionnels de l’art a été absolument déterminant pour la suite de mon parcours.”
“Si je prends votre temps ce soir pour rappeler l’importance dans un parcours d’artiste de ce qui peut vous apparaître, nous apparaître comme un ‘petit’ lieu comme le Centre d’art de Brétigny, c’est parce que nous sommes très préoccupés d’apprendre que ce ‘petit lieu’ risque de disparaître le mois prochain. Ce ‘petit lieu’ est un lieu vivant, qui mobilise la curiosité et la réflexion de son public qui ne vient pas seulement de Paris ou de Berlin mais notamment de toutes les écoles, collèges, lycées du Val d’Orge. Ce n’est pas parce qu’il est situé en banlieue, dans une banlieue que certains diront loin de Paris, que le centre d’art de Brétigny devrait être un centre d’art modeste, un peu plus loin, un peu moins bien que tout ce qui est à Paris. C’est tout le contraire.” a conclu la jeune femme dont l’allocution a ensuite donné lieu à une lettre ouverte signée par une quarantaine de personnalités importantes du monde de l’art, des artistes Sophie Calle, Christian Boltanski, Benoît Maire ou Mathieu K. Abonnenc à Pascale Cassagnau du Cnap, la critique d’art Elisabeth Lebovici ou le journaliste Laurent Goumarre.
A Montpellier : la confusion généralisée ?
A Montpellier, c’est une tout autre histoire qui mobilise depuis quelques semaines les artistes et programmateurs associés à la Panacée. Ouvert depuis l’été 2013, ce centre de culture contemporaine entend mettre l’accent sur les arts visuels, les écritures contemporaines et numériques et a élu domicile dans l’ancien collège royal de médecine. Rénové à grands frais, doté d’un café et d’une résidence étudiante, il impose en quelques mois une “ligne éditoriale” originale sous la houlette de Frank Bauchard. Depuis cet été, elle accueillait l’exposition Une lettre arrive toujours à destination, conçue par Sébastien Pluot avec des œuvres, entre autres, de Bas Jan Ader, Alejandro Cesarco, Joachim Koester ou Dora Garcia.
Mais depuis quelque temps, c’est le grand flottement à Montpellier où, après l’enterrement de première classe, au printemps dernier, du Musée sur l’histoire de la France et de l’Algérie (alors que 6 millions d’euros avaient déjà été dépensés dans le cadre des travaux et des acquisitions de pièces), le maire a cru bon d’annoncer que le musée serait requalifié en espace d’art contemporain.
Depuis, on annonce que la programmation artistique de Franck Bauchard serait “gelée” comme l’indiquent les signataires de la lettre ouverte“Sauvons la Panacée”. “Un peu partout en France on voit les ambitions et réussites des lieux d’art et de culture plier sous l’ignorance, le populisme ou le manque d’ambition. Centre d’art résolument actuel et interdisciplinaire, la Panacée a, depuis son ouverture en juin 2013, reçu plus de 100 000 visiteurs lors d’expositions de qualité. Aujourd’hui nous ne savons pas quand la Panacée réouvrira ses salles d’exposition au public ni avec quel projet”, s’inquiètent encore les auteurs de la lettre.
Du côté de la mairie de Montpellier, dont dépend la Panacée, on s’étonne de cette “rumeur”. “Le maire a levé tous les doutes au sujet de la Panacée, assure la toute nouvelle directrice de l’information à la ville, il n’y a aucune baisse de subvention ou changement d’orientation prévus. Nous sommes en pleine bataille pour les cantonales, dans un climat assez aride. Cette rumeur est une coquille vide qui laisse plutôt penser à une manipulation politique”. Quant à un éventuel lien entre l’annonce faite au printemps dernier de requalification de l’ex-musée d’Histoire de la France et de l’Algérie en centre d’art contemporain et l’inquiétude qui plane aujourd’hui au dessus de la Panacée, rien n’est dit du côté de la Mairie.“Le maire a en effet annoncé ce projet, mais pour l’instant rien n’a été enclenché”.