jeudi 20 novembre 2014

L'Insee dresse un portrait social de la France qui fait froid dans le dos


Insee / Social

L'édition 2014 du portrait social dressée par l'Insee de la France est tout à fait déprimante et guère rassurante pour l'avenir : les personnes les plus fragiles sont davantage fragilisées, les inégalités - notamment territoriales - se renforcent, le nombre de sans-domicile a augmenté de 44% entre 2001 et 2012... A noter également une étude sur l'attractivité des hauts revenus dans les métropoles et une autre sur les premières statistiques des nouveaux quartiers prioritaires de la politique de la ville.

Quoi de plus froid qu'une statistique ? Celles égrainées par les hommes et femmes de l'Insee, mardi 18 novembre, lors de la présentation à la presse de l'édition 2014 de l'ouvrage "France, portrait social", ne pouvaient pas réchauffer les cœurs. Chômage de longue durée, inégalités de revenus, bénéficiaires des minima sociaux, sans-domicile… tous les indicateurs sont mauvais.
Une étude tendant à montrer que les revenus sont non seulement plus élevés, mais en plus en forte hausse dans les couronnes des grandes aires urbaines (*) interpellera tout particulièrement les collectivités locales et tous ceux qui s'intéressent à l'aménagement du territoire et aux phénomènes de métropolisation.

Des couronnes de plus en plus riches
Avec la crise économique, les revenus des ménages ont ralenti, et même diminué pour les ménages les plus modestes (le seuil de revenu des 10% de ménages les moins aisés a baissé de 1,3% chaque année entre 2007 et 2011, après avoir augmenté de 7,3% entre 2003 et 2007). Une évolution qui a "des traductions locales contrastées", précise l'Insee, selon la proximité avec un pôle d'emploi, le degré d'urbanisation, ou encore la présence de quartiers aisés ou défavorisés.
Dans les grandes aires urbaines, le revenu annuel médian est ainsi de 19.800 euros soit 2.000 à 3.000 euros de plus que dans les aires moyennes et petites et dans les zones qui échappent à l'influence des villes (chiffres 2011). Les revenus sont particulièrement élevés dans l'aire urbaine de Paris, dans quelques aires centrées autour de grandes capitales régionales et le long de la frontière francosuisse, selon l'Insee. "Cependant, les écarts se réduisent entre ces territoires car les revenus évoluent moins favorablement dans les grandes aires urbaines sur les dix dernières années", tempère l'Insee.
Les revenus sont généralement plus élevés et augmentent plus vite en périphérie des aires urbaines et des grands pôles urbains qu'en leur centre, à l'exception des aires urbaines de Paris et Lyon, et des petites et moyennes aires urbaines. Dans les villes-centre, les écarts entre ménages aisés et modestes sont particulièrement marqués et se sont accentués entre 2007 et 2011, observe également l'Insee.
Il n'empêche que c'est dans les communes isolées à l'écart des villes que les revenus ont évolué le plus favorablement entre 2007 et 2011 : + 4,8% en moyenne par an et en euros constants entre 2007 et 2011.

Chômage de longue durée et inégalités de revenu
2,8 millions de personnes sont au chômage, dont 1,1 million depuis au moins un an (chiffres 2013). Ceux dont l'ancienneté au chômage excède deux ans sont 600.000. Dans un contexte global où la hausse du chômage a été de 43% entre 2008 et 2013, le nombre de chômeurs de longue durée en France s'est accru de 56%. Les plus fortes augmentations du taux de chômage de longue durée concernent les populations qui étaient déjà les plus exposées aux difficultés sur le marché du travail : les jeunes, les sans-diplôme, les ouvriers et les employés, les parents isolés, les habitants des zones urbaines sensibles et les immigrés.
En 2012, le revenu salarial moyen s'établit à 20.100 euros en moyenne pour l'ensemble des salariés du public et du privé. Entre 2007 et 2012, il n'a progressé que de 0,2% par an (contre + 0,6% par an entre 2002 et 2007), en raison principalement d'une diminution de la durée d'emploi.
La période 2002-2007 avait été marquée à la fois par une réduction des inégalités salariales et une forte progression des très hauts salaires. Après 2007, ce phénomène s'est interrompu. "Désormais, sur la moitié basse de l'échelle, les revenus salariaux proches de la médiane progressent plus vite que les revenus inférieurs", note l'Insee. Les salaires les moins élevés baissent carrément (- 0,2% par an sur 2007-2012), et les très hauts revenus salariaux n'augmentent plus beaucoup.
A noter également que depuis la crise, dans les entreprises du secteur privé, l'écart de revenu salarial entre les jeunes et leurs aînés se creuse. Et qu'à l'inverse, l'écart de revenu salarial se resserre entre les hommes et les femmes, ainsi qu'entre cadres et professions intermédiaires.

Légère diminution des inégalités de niveau de vie
"En 2013, les nouvelles mesures accroissent la fiscalité des ménages et réduisent légèrement les inégalités", observe l'Insee. Les mesures prises dans les lois de finances et de financement de la sécurité sociale pour 2013 ont eu pour effet d'accroître globalement les prélèvements (+ 4,8%), principalement l'impôt sur le revenu, mais n'ont quasiment pas modifié les prestations sociales (+ 0,2%), par rapport à la situation où aucune mesure n'aurait été prise en 2013.
Prises dans leur ensemble, les nouvelles mesures ont réduit de 1,7% le niveau de vie moyen des 10% de personnes les plus aisées. L'impact des mesures est plus modeste pour les 90% restants de la population (-0,3%). L'indice de Gini, qui mesure les inégalités de niveau de vie de l'ensemble de la population, passe ainsi de 0,298 à 0,295. "Cet écart est du même ordre de grandeur que l'accroissement annuel moyen de l'indice de Gini sur la période 2004-2012", précise l'Insee.

2 millions de bénéficiaires de minima sociaux d'insertion
Plus de 2 millions de personnes sont allocataires des minima sociaux d'insertion (chiffres à fin 2012). L'allocation de solidarité spécifique (ASS) est versée à 0,4 million de demandeurs d'emploi n'ayant plus droit à l'assurance chômage ou âgés de 50 ans ou plus et répondant à certaines conditions. Le revenu de solidarité active socle (RSA socle) est perçu par 1,7 million d'allocataires. Avec les conjoints et les personnes à charge, ce sont près de 4,5 millions de personnes qui sont couvertes par ces deux dispositifs.
Entre 2008 et 2012, les bénéficiaires ont augmenté de 26% pour le RSA socle et de 27% pour l'ASS. "La crise économique a entraîné une affluence dans les dispositifs et en complique les sorties du fait d'un marché de l'emploi dégradé", note l'Insee. Toutes les classes d'âges sont touchées, particulièrement les jeunes (25-34 ans) et les seniors (50 ans ou plus) qui restent généralement plus longtemps au RSA ou à l'ASS.
En 2011, en France métropolitaine, 65% des personnes appartenant à un ménage ayant bénéficié du RSA socle en cours d'année sont en situation de pauvreté monétaire (contre 14,3% en population générale). Les personnes vivant dans un ménage bénéficiaire du RSA socle représentent 28% de la population pauvre en 2011, contre 24% en 2008.
Depuis la crise économique, les privations au quotidien sont plus fréquentes, notamment sur l'alimentation et les soins de santé. En 2012, 26% des bénéficiaires du RSA socle déclarent s'être beaucoup privés en matière d'alimentation (+10 pts par rapport à 2006) et 22% des allocataires de l'ASS (+8 pts par rapport à 2006). En 2012, plus d'un allocataire au RSA sur dix (un sur vingt en 2006) et près d'un allocataire de l'ASS sur cinq (un sur huit en 2006) disent avoir renoncé à des soins de santé. Parmi les allocataires du RSA socle, 18% jugent leur état de santé "mauvais" ou "très mauvais" (13% en 2006). Cette proportion est de 23% parmi les allocataires à l'ASS (12% en 2006).
Enfin, 25% des bénéficiaires du RSA socle et 18% de ceux qui perçoivent l'ASS ne disposent pas de logement autonome en 2012, proportion stable par rapport à 2006.

Les sans-domicile : 81.000 adultes et 31.000 enfants en 2012
Le nombre de sans-domicile a augmenté de 44% entre 2001 et 2012. En 2012, dans les agglomérations d'au moins 20.000 habitants de France métropolitaine, 81.000 adultes, accompagnés de 31.000 enfants, sont "sans-domicile". 45.000 adultes sont nés à l'étranger (dont 60% sont originaires d'Afrique et un tiers d'Europe de l'Est) ; environ 16.000 d'entre eux (un tiers) ne parlent pas le français (c'est le cas de 70% de ceux originaires d'Europe de l'Est). Les femmes et les familles sont plus nombreuses parmi les sans-domicile nés à l'étranger.
Un sans-domicile sur dix est "sans-abri" et dort dans la rue ou dans d'autres endroits non prévus pour l'habitation. Les autres sans-domicile sont accueillis dans les différents hébergements mis à disposition par des associations ou des organismes d'aide : 33% en centre collectif où l'on peut rester la journée, 29% en logement, 16% en hôtel, 12% en centre collectif qu'il faut quitter le matin. Dans l'agglomération parisienne, où vivent 44% des sans-domicile, l'accueil en hôtel est prépondérant (30%) et les sans-abri sont plus nombreux (14%). Les sans-domicile nés à l'étranger bénéficient moins souvent de places en logement payé par une association (29% contre 84% des sans-domicile nés en France). Les écarts sont particulièrement importants dans les grandes agglomérations autres que Paris.
Un quart des sans-domicile qui parlent le français travaillent. Les emplois qu'ils occupent sont très souvent précaires (contrats courts, temps partiel) et peu qualifiés.
Les sans-domicile portent souvent le poids d'une enfance marquée par des histoires familiales douloureuses. Un quart de ceux nés en France ont été placés dans leur enfance, en foyer ou en famille d'accueil. Si les contacts avec leurs familles sont peu fréquents, les sans-domicile ne sont pas pour autant socialement isolés puisque deux tiers d'entre eux rencontrent des amis au moins une fois par mois. 80% possèdent un téléphone portable (pour la plupart sans abonnement) et 25% sont utilisateurs quotidiens d'Internet.
Des chiffres certainement en-deça de la réalité, l'Insee ayant mené son enquête auprès des personnes fréquentant les services d'hébergement ou de distribution de repas situés dans les agglomérations de plus de 20.000 habitants, excluant de fait ceux qui ne s'y rendent pas (parce qu'ils ne veulent pas, ou parce qu'il n'y en n'a pas dans leur ville) et ceux vivant dans les communes rurales et les petites agglomérations.

Valérie Liquet

(*) Les grandes aires urbaines concentrent 40% des communes métropolitaines, 80% de la population et 82% des emplois.

A lire également, dans cette édition, notre article "Premières statistiques sur les nouveaux quartiers prioritaires : effectivement, ça va plus mal que partout ailleurs" sur les résultats d'une étude également parue dans le portrait social 2014 de l'Insee.