dimanche 27 mars 2016

#TousUnisContrelaHaine : de l'antiracisme au multiculturalisme

FIGAROVOX/ENTRETIEN - Pour Anastasia Colosimo, la campagne #TousUnisContrelaHaine est non seulement inefficace mais contreproductive. Elle ne fait qu'alimenter la concurrence victimaire dans une société française qui se communautarise.
Le gouvernement a lancé cette semaine une nouvelle campagne pour dénoncer le racisme. Six «spots-choc» mettent en scène des agressions racistes ou antisémites dans un style qui se veut réaliste. Que cela vous inspire-t-il?
Anastasia Colosimo: Il y a deux questions distinctes à mon sens, celle des spots antiracistes en général et celle des six spots publiés à l'occasion du lancement, lundi, de la nouvelle campagne «Tous Unis contre la haine».
Les «spots» antiracistes, de manière générale, représentent le stade ultime de la transformation de nos sociétés en sociétés du spectacle. Ces vidéos, qui se veulent éducatives, entendent transformer les racistes en humanistes en moins de trois minutes en respectant le format publicitaire, dont elles reprennent tous les codes. Elles sont en réalité et le plus souvent des cache-sexes soit de l'inertie soit de l'impuissance des gouvernements face à la persistance des discriminations et à la montée des tensions intercommunautaires.
En ce qui concerne les six spots lancés lundi par le gouvernement, les scènes, «inspirée(s) de faits réels», mettent en scène soit des actes de violence physique (passage à tabac de juifs, d'un musulman, d'un arabe et
d'un noir) soit des actes de violence symbolique (inscription «Mort aux juifs» sur une synagogue et têtes de cochon devant une mosquée) sur fond de ce qui semble être une discussion de comptoir brassant tous les préjugés possibles sur chacun des groupes, les spots se terminant tous par l'assertion «Ca commence par des mots, ça finit par des crachats, des coups, du sang». Or non seulement il n'est pas dit que du propos à l'acte, la conséquence soit bonne, mais en plus, les spots, procédant à une culpabilisation féroce, confondent le racisme de Madame Michu avec des passages à l'acte violents, deux phénomènes qui n'ont pas grand chose à voir.
Ce que tout cela inspire c'est que le gouvernement préfère, comme souvent ces derniers temps, dépenser des fortunes en communication plutôt que d'agir et ce, sans même réussir à communiquer convenablement. Dans l'ensemble, l'impression qui en ressort est celle d'un malaise profond et d'une erreur de diagnostic persistante, où les agissements de groupes minoritaires sont imputés à l'ensemble de la population.
A titre d'exemple, on peut comparer les spots gouvernementaux à ce spot australien, qui a le mérite, au moins, de sensibiliser au poids des préjugés du quotidien:


'The Invisible Discriminator' - Stop. Think. Respect.



On peut aussi comparer la niaiserie du hashtag gouvernemental #TousUnisContreLaHaine aux hashtags type #SiLesNoirsParlaientCommeLesBlancs, qui ont le mérite, pour certains au moins, de révéler des clichés persistants avec beaucoup d'humour:



Ce type de traitement du racisme peut-il être efficace?
La question est de savoir quel type de racisme le gouvernement doit et peut combattre. Il n'y a pas en France de lois racistes, islamophobes ou antisémites. Le combat qui doit être mené est donc un combat de changement des mentalités et ce, autant dans les institutions que dans la société civile.
Les discriminations liées à l'embauche, l'inégal accès au logement et aux services sociaux, la ghettoïsation sont des réalités qu'il faut combattre, mais pas à coups de raccourcis culpabilisateurs et de moraline.
Le FN dénonce l'absence d'un clip contre le racisme anti-blanc. Ce genre de campagne favorise-t-il la concurrence victimaire? Le risque n'est-il pas d'exacerber les tensions communautaires?
Avant même de parler de racisme anti-blanc, on peut noter l'absence de vidéos traitant du racisme anti-rom ou encore du racisme anti-asiatique.
Il est intéressant de noter l'équilibre parmi les vidéos: deux sur l'antisémitisme, deux sur l'islamophobie et deux sur le racisme, l'un anti-arabe, l'autre anti-noir. On s'imagine les réunions sans fin de communicants et autres vidéastes pour essayer de savoir comment, tout en menant une campagne antiraciste, faire en sorte de ne pas privilégier les uns ou les autres et ne pas apparaître, à son tour, raciste. Il est évident qu'en faisant ces spots, le gouvernement rentre dans une logique infernale.
Le Front national, quant à lui, joue son rôle habituel d'agitateur public et participe pleinement à la logique de concurrence victimaire en procédant lui-même par essentialisation.
Plus largement, en matière de lutte antiraciste a-t-on eu la bonne approche?
La lutte antiraciste, dès le début, s'est concentrée sur des campagnes de communication stériles menées par des associations, mêlant paternalisme déplacé et communautarisation sauvage à des fins électorales. Les politiques de fond ont cruellement manqué et on conduit à substituer la ghettoïsation à l'assimilation et à creuser les inégalités sociales. Les gouvernements successifs n'ont rien fait pour enrayer ce phénomène.
Or l'Etat n'a pas mille outils pour combattre le racisme en dehors de l'éducation, des politiques publiques et de la répression. L'éducation est en crise. La politique de la ville est un échec total. Quant à la répression, elle se cristallise aujourd'hui sur les propos et les représentations, entraînant communautarisation et concurrence des victimes.
La loi Pleven, votée en 1972, qui vient modifier la loi sur la liberté de la presse de 1881, a introduit l'interdiction de la provocation à la haine, à la violence, à la discrimination, de la diffamation et de l'injure envers une personne ou un groupe de personne en raison de leur appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion donnée. Grande nouveauté, les plaintes peuvent être désormais déposées non seulement par des particuliers, mais aussi par «toute association, régulièrement déclarée depuis au moins cinq ans à la date des faits, se proposant, par ses statuts, de combattre le racisme». Cette loi a été suivie par une inflation de lois venant limiter la liberté d'expression: loi Gayssot de 1990, qui interdit la négation de la Shoah, loi de 2001 sur la reconnaissance du génocide arménien, loi Taubira de 2001 sur la reconnaissance de la Traite négrière et l'esclavage ou encore de celle de 2005 «portant reconnaissance de la Nation et contribution nationale en faveur des Français rapatriés» et le fameux débat qui s'en est suivi sur «le rôle positif de la présence française outre-mer».
Cette inflation législative n'a eu pour conséquence que de communautariser davantage la société française et d'instaurer une véritable concurrence entre les communautés, tout en donnant le pouvoir à des associations, qui le plus souvent ne représentent qu'elles-mêmes, de porter des actions en justice, ce qui pour certaines, est devenu un véritable fonds de commerce. Or le fait de policer ainsi le langage n'est pas sans conséquence sur sa folle propagation et ne fait qu'encourager les sentiments de «deux poids deux mesures».
Vous critiquez la loi Pleven. Mais à l'heure où les propos xénophobes, antisémites ou complotistes se répandent aussi bien sur les réseaux sociaux que dans les territoires perdus de la République, peut-on se contenter de condamnations de principe? Que préconisez-vous?
Ce qu'il faut faire en premier lieu, c'est combattre le discours essentialiste! Seulement pour le combattre, il faut aussi être capable d'avoir un projet précis et positif pour la société française. Tout d'abord il faut rompre avec la judiciarisation croissante des questions d'expression et des manifestations d'appartenance qui ne fait qu'accroître le ressentiment d'une part des communautés vis-à-vis de l'Etat et d'autre part des communautés entre elles.
Plus globalement, la question aujourd'hui est de savoir si nous allons basculer dans une société communautariste de type anglo-saxon, où les communautés ne se rencontrent que dans l'opposition et où l'Etat devient un syndicat en proie à l'hystérie de toutes les identités ou si nous sommes prêts à sauver l'exception française.
Je suis d'accord pour dire que nos politiques ont réussi l'impossible en vidant la République de son sens, en agitant à tout bout de champs les «valeurs républicaines» jusqu'à rendre le concept inaudible et irritant. La République, cependant, n'est pas une idée abstraite, c'est ce régime qui considère qu'il n'y a pas de corps intermédiaires entre l'Etat et les citoyens, que l'Etat ne s'adresse jamais à des communautés, mais toujours à des individus. Les valeurs républicaines, elles, renvoient à la mixité sociale et ethnique, à l'égalité de tous devant la loi, à la possibilité pour tous d'accéder à l'éducation, à l'égalité dès la naissance entre hommes et femmes. Il faut expliquer que l'intégration dans la République est certainement l'un des meilleurs remparts contre la dissolution dans la mondialisation, qui est une angoisse partagée. Cette intégration ne va pas à l'encontre des identités, elle ne veut pas effacer les appartenances, mais elle représente l'idée qu'il y a un SMIC des valeurs qui font que nous voulons vivre ensemble.
Combattre toutes les formes de racisme, c'est donc, avant tout, remettre l'éducation au cœur de nos préoccupations et promouvoir une école qui propose un espace où les jeunes sont libres de leurs appartenances autant sociales qu'ethniques. Réintroduire la blouse ou même un uniforme s'il le faut, faire de l'histoire de manière intelligente (de ce point de vue, l'histoire vraie racontée par le film «Les Héritiers» est précieuse), réinstaurer un sens de l'autorité propice à l'apprentissage, favoriser partout la mixité (dont la demande est croissante, en témoignent les revendication des mères de famille du Petit-Bard).
Sans cela, la guerre ne fait que commencer.
Anastasia Colosimo prépare depuis 2013 la soutenance d'une thèse de doctorat en science politique, sur le thème: «Droit, politique et liberté face au blasphème en démocratie» sous la direction de Jean-Marie Donegani. Son premier livre, Les bûchers de la liberté, vient de paraître aux éditions Stock