mercredi 8 novembre 2017

Ploërmel : « Il ne faut voir aucune inflexion antireligieuse dans la décision du Conseil d’État »

ENTRETIEN Le 25 octobre, le Conseil d’État a rendu sa décision dans l’affaire de Ploërmel (Morbihan) : la statue du pape Jean-Paul II peut demeurer à sa place, sans la croix qui la surmonte. Conscient de l’émotion suscitée, le vice-président du Conseil d’État, Jean-Marc Sauvé, en réexplique la logique.

Le Conseil d’État a tranché : la statue de Jean-Paul II à Ploërmel peut demeurer à sa place, avec son arche mais sans la croix.
Le Conseil d’État a tranché : la statue de Jean-Paul II à Ploërmel peut demeurer à sa place, avec son arche mais sans la croix. / 
Damien Meyer/AFP

La Croix : La Fédération morbihannaise de la libre-pensée demandait au maire de Ploërmel de retirer de l’espace public une statue représentant le pape Jean-Paul II, surmontée d’une arche et d’une croix. Le 25 octobre, le Conseil d’État a rendu sa décision : la statue peut demeurer à sa place, avec son arche mais sans la croix. Cette distinction n’est-elle pas aberrante ?
Jean-Marc Sauvé : La représentation d’un personnage comme le pape Jean-Paul II, y compris pourvu de l’ensemble des attributs liés à sa mission spirituelle, ne pose pas de difficultés compte tenu de sa dimension historique, politique et internationale. La loi de 1905 interdit seulement, mais de manière très claire, « d’élever ou d’apposer aucun signe ou emblème religieux sur les monuments publics ou en quelque emplacement public ».
Le Conseil d’État a constaté que l’installation contestée découlait de deux décisions distinctes : d’une part, celle de l’artiste de léguer sa statue à la commune ; d’autre part, celle du maire de la faire surmonter d’une arche et d’une croix. Il est difficile de soutenir que ces dernières font partie de l’œuvre d’art. Or, la croix ne peut pas ne pas être regardée comme un signe religieux. Ce serait faire offense au culte catholique que de ne pas le reconnaître.
À propos des crèches de Noël, le Conseil d’État invitait à regarder le « contexte » de leur installation. Pourquoi avoir balayé, cette fois, l’argument de « la forte tradition catholique locale » ?
J-M. S. : La loi préserve l’ensemble du patrimoine religieux tel qu’il existait avant la loi de 1905. Pour les signes ou emblèmes religieux élevés dans les espaces publics après 1905, cette loi a posé un clair principe d’interdiction, sauf pour les lieux de culte, les cimetières et les musées. En revanche, tout est permis sur les propriétés privées, même visibles depuis l’espace public. Ces règles, très libérales, sont claires et stables depuis 112 ans. Elles ne peuvent varier en fonction des opinions religieuses d’une région ou d’une commune !
Notre décision était donc tout à fait prévisible. Concernant les crèches de Noël, c’est uniquement en raison de la pluralité de significations qu’elles revêtent - à la fois culturelle, festive et religieuse - que le juge est conduit à s’interroger sur la présence d’une tradition locale et sur le contexte de leur installation dans un bâtiment ou un lieu public.
S’agissant de l’installation d’une croix, il ne pouvait y avoir d’autre décision que celle rendue. Il ne faut y voir aucune inflexion vers une jurisprudence qui serait antireligieuse. Nous devons tous nous soumettre à la loi, même si elle peut, dans un cas particulier, heurter les consciences.
Ne s’agit-il pas, comme certains le dénoncent, de prévenir l’installation ultérieure de signes religieux musulmans dans l’espace public ?
J-M. S.  : Nous sommes, c’est une évidence, un pays de tradition à la fois judéo-chrétienne et gréco-romaine. Mais notre pacte social contient désormais un principe fondamental de laïcité, qui est un principe de liberté de conscience et de religion, d’égalité des cultes et de neutralité de l’État, et notre décision ne fait que l’appliquer. On ne prend pas en otage un culte pour s’attaquer à un autre.
Comment expliquez-vous l’émotion suscitée ?
J-M.S.  : J’exprimerais d’abord deux regrets : que le maire de Ploërmel n’ait pas recherché un avis juridique avant de prendre sa décision et que notre décision - pour des raisons indépendantes de la volonté du juge - intervienne si tard, alors que le monument était depuis longtemps achevé. Ceci dit, je comprends l’émotion qui a pu naître, d’autant que le rôle du Conseil d’État, en disant le droit, est d’aider à surmonter les divisions qui peuvent traverser notre pays. Mais nous ne parviendrions pas à construire la paix civique et sociale si, pour des questions de convenance ou d’opportunité, nous acceptions une application différenciée de la loi.
Recueilli par Anne-Bénédicte Hoffner

source : https://www.la-croix.com