dimanche 2 juin 2019

Mort de Michel Serres: que retenir de sa dernière intervention médiatique


Écologie, institutions... Le philosophe avait abordé de nombreux thèmes.

CAPTURE FRANCE INTER
MICHEL SERRES - Pour beaucoup, les observations faites dimanche 26 mai sur le plateau de “Questions politiques” sur France Inter sonneront comme les derniers mots de Michel Serres, philosophe apprécié du grand public et disparu samedi 1er juin à l’âge de 88 ans. 
Faute d’invités politiques en raison des élections européennes qui se tenaient ce jour-là, l’émission animée par Ali Badou avait invité l’académicien à faire ce qu’il savait faire de mieux: livrer son regard éclairé sur la société. Lors de cette ultime intervention médiatique, Michel Serres a abordé de nombreux thèmes et proposé une réflexion qui tord le cou au déclinisme ambiant.  

“La violence ne cesse de baisser”

L’auteur de “Morales espiègles” était connu pour son rejet des discours catastrophistes sur l’état de la société. Ce qu’il a confirmé dimanche dernier. Interrogé sur la “montée de la violence” en France, le philosophe a contesté ce constat. “C’est intéressant de dire ça... En effet, localement, il y a de la violence, les attentats, des choses comme ça... Mais si vous regardez globalement ce qui se passe depuis 10, 20, 100 ans (et on a même des chiffres là dessus, des rapports des instituions internationales), la violence ne cesse de baisser”, a souligné Michel Serres, avec son accent caractéristique. 
Et l’Agenais d’insister: “que ce soit la violence politique, la guerre, les attentats, les violences individuelles (...) On est toujours attentif au phénomène factuel, aujourd’hui, l’actu... Mais globalement, ce n’est pas vrai ! Il faut le savoir! C’est presque contre-intuitif, personne ne le croit. Et pourtant, consultez les documents et vous allez voir qu’il y a une baisse de la violence”.

Nos institutions “désadaptées par rapport à l’état actuel du monde”

Loin de nier la crise démocratique qui crispe la société, dont les gilets jaunes sont l’une des manifestations, Michel Serres a pointé dimanche dernier le caractère “désadapté” de nos institutions pour répondre aux défis de la société actuelle.
“Nous sommes en train de vivre une période exceptionnelle de l’Histoire. Par exemple, on a vécu 70 ans de paix (ce qui n’est jamais arrivé dans l’histoire), l’espérance de vie a cru jusqu’à 80 ans (ce qui n’est jamais arrivé dans l’histoire), la population paysanne est passée de 75 à 2 % (ça n’est jamais arrivé dans l’histoire)... On a une société qui a évolué de telle façon qu’il faut être extrêmement lucide pour s’en apercevoir. Et par conséquent, toutes les institutions que nous avons créées l’ont été à une époque où le monde n’était pas ce qu’il est devenu”, a expliqué l’académicien. 
Selon lui, les intellectuels portent une responsabilité dans cette incapacité qu’a la société contemporaine à adapter ses institutions: “quand on a fait la Révolution de 89, on avait Rousseau derrière. Aujourd’hui, on n’a personne, et c’est la faute à qui ? Aux philosophes. C’est leur rôle de prévoir ou d’inventer une nouvelle forme de gouvernement ou d’institutions, et ils ne l’ont pas fait”. 

“L’économie est en train de détruire la planète”

Autre thème sur lequel Michel Serres s’est exprimé (et sur lequel son expertise n’est pas à démontrer), notre modèle économique et ses effets sur la planète. “L’économie telle que le capitalisme l’a mise en place est catastrophique, au moins du point de vue écologique”, estimait l’auteur du “Contrat naturel” pour “l’économie est en train de détruire la planète”.
Mais encore une fois, pas de quoi hurler à la fin du monde pour le philosophe, préférant voir les progrès fait par nos sociétés en la matière. “Mais la bonne  nouvelle, c’est que le Lac Érié, l’un des cinq Grands Lacs américain, vient d’être nommé sujet de droit. C’est à dire qu’il a le droit d’ester en justice, pour attaquer des utilisateurs abusifs. Par conséquent, le “Contrat naturel” d’une certaine manière est en train d’arriver dans les moeurs et habitudes juridiques”, soulignait Michel Serres. Jusqu’au bout, l’historien des sciences aura refusé le pessimisme.  
L’intégralité de son interview à retrouver ici.
Par Romain Herreros
Source : Le HuffPost