samedi 27 septembre 2014

La France marche-t-elle sur la tête ? Dans un pays laïque où les citoyens naissent égaux en droit, l'appel aux musulmans à manifester contre la barbarie de l'EI indigne.

Les drapeaux en berne pour trois jours après l'exécution de l'otage français Hervé Gourdel (illustration).
Les drapeaux en berne pour trois jours après l'exécution de l'otage français Hervé Gourdel (illustration). © AFP PHOTO / PATRICK KOVARIK
Qu'arrive-t-il à la France laïque dont tous les citoyens sont égaux en droit, peu importe qu'ils soient chrétiens, musulmans, juifs, bouddhistes, sans religion ou culturellement proches des uns ou des autres ? 
Pourquoi demande-t-on, exige-t-on plutôt, des Français musulmans qu'ils se justifient ? Parce qu'ils sont musulmans ? Et ceux qui sont de bons laïques - une bonne majorité -, mais qui sont nés dans une famille de culture musulmane ou dans un pays dont l'islam est la religion officielle ? Et ceux qui sont de bons musulmans pratiquants, comme il y a des juifs pratiquants et des chrétiens pratiquants ? Doivent-ils se justifier chaque fois qu'un de leurs coreligionnaires ou un groupe de leurs coreligionnaires brandit abusivement la religion pour se livrer à la barbarie ? A-t-on demandé aux chrétiens de sortir dans la rue quand des disciples du Temple du Soleil ont poussé au suicide ceux qu'ils avaient "convertis" ? 
Ne pas appeler à l'union sacrée entre Français de toutes religions est stupide et injurieux. On ne considère donc pas les musulmans comme de vrais Français, mais comme des citoyens qui sont d'abord inféodés à leur religion et, a priori, suspects. Cela n'honore pas notre pays qui semble marcher sur la tête. Et montre aussi son ignorance du monde musulman. Les barbares de Daesh et ceux qui les imitent - comme le groupe algérien de Kabylie - ont avant tout des objectifs politiques et mènent une guerre politique. Contre l'Occident et ses alliés, certes, mais peut-être encore plus contre les chiites, le frère ennemi au sein du monde musulman. 

Terroriser d'un côté, attirer de l'autre

Contre les Occidentaux qu'il faut terroriser et, si possible, dresser contre les musulmans, les djihadistes de l'EI possèdent une arme imparable : le terrorisme, la décapitation mise en scène et en ligne. C'est l'arme des pauvres. Elle est d'une terrible efficacité puisqu'elle horrifie et tétanise des citoyens pour lesquels la guerre a ses règles : elle se mène par drones interposés.
Contre les musulmans, l'organisation terroriste a sorti une autre arme de destruction massive : le califat. Celui-ci vise à attirer les jeunes paumés du monde musulman, les 16-24 ans, en leur faisant miroiter la possibilité d'un retour à l'époque où les musulmans étaient forts et respectés. Daesh prétend leur faire croire que le califat va abolir au Maghreb les frontières nées de la colonisation et au Moyen-Orient, les accords de l'après-Première Guerre mondiale. 

Bataille du sunnisme contre le chiisme

On se souvient que les derniers califes, en fait l'autorité religieuse sunnite, installés à Constantinople, servaient de point de référence à l'ensemble des musulmans, de même qu'ils régnaient politiquement, mais de façon très lâche, sur le vaste Empire ottoman. Kemal Atatürk l'a sabordé en 1920 pour fonder une Turquie laïque. Ce n'est pas si ancien dans la mémoire musulmane. Il en reste toujours chez certains une sorte de regret diffus.
En enfourchant l'idée du califat, une "superbe opération de communication", oserait-on dire, le groupe EI veut emporter l'adhésion de jeunes sans repère (il y réussit), supplanter al-Qaïda (et Aqmi) et redorer le blason des sunnites dans leur guerre contre les chiites. Il y a réussi, pour l'instant, et a bénéficié au départ (mais est-ce terminé ?) du soutien de riches Saoudiens ou Qataris très antiaméricains. Riyad et Doha, hypocrites, préféraient fermer les yeux.
Derrière le rideau, c'est la bataille du sunnisme contre le chiisme qui se joue. En clair, la bataille de l'Arabie saoudite contre l'Iran, les deux puissances régionales qui se disputent l'hégémonie au Moyen-Orient. L'islam n'a pas grand-chose à voir dans cette guerre. Pourtant, Hervé Gourdel en est mort.