jeudi 25 septembre 2014

TÉMOIGNAGE

Je cours avec une barbe, mais je ne m’entraîne pas pour le djihad

tale | Riverain


Les jambes d’un homme qui court (Phil Roeder/Flickr/CC)
Si moi, musulman, on me demande d’aller manifester chez moi, à Roubaix (Nord) contre les djihadistes, je n’irai pas. J’ai la quarantaine et jusqu’à présent, je n’ai jamais eu le moindre problème avec mes voisins. Pourquoi aller marcher pour leur expliquer que je suis tout blanc alors que je n’ai rien à me reprocher ?
Forcément, j’ai suivi l’actualité de ces dernières heures. L’otage, la décapitation et les analyses qui s’en sont suivies. Encore une fois, les musulmans de France sont sommés de montrer patte blanche. C’est absurde. Concrètement, quel est le rapport entre moi et ce qui se passe en Irak ou en Algérie ?
On ne connaît pas grand chose de ces gens-là [les djihadistes] et leur lien avec l’islam reste encore à prouver. Car jusqu’à présent, je n’ai pas lu dans le Coran qu’il fallait kidnapper un innocent et le décapiter. Plus que « musulmans radicaux » ou « intégristes », je trouve les termes « hurluberlus » ou » fanatiques » bien plus appropriés pour les qualifier et pour éviter des amalgames fâcheux.

C’est quoi « les musulmans » ?

En France, les musulmans vivent dans un climat de suspicion délétère, alimenté par les politiques – Sarkozy a permis de libérer une parole islamophobe – mais aussi par une partie des médias.
MAKING OF
Voici qu’on demande aux musulmans de se désolidariser de la barbarie de l’Etat islamique autoproclamé ! Après avoir essayé de démontrer l’absurdité de cette situation, nous avons demandé à un de nos riverains de confession musulmane ce qu’il pensait de tout ça. Rue89
Quand on dit « les musulmans » à la télévision dans un sujet donné, de qui parle-t-on ? De celui qui va à la mosquée ? De celui qui ne prie pas et qui fait le ramadan ? D’un mec qui a l’air musulman ? Il faut préciser, sinon, ce « détail » peut être la première étape avant de tout mélanger.
Si notre communauté a, comme les autres, ses défauts, elle n’est pas aidée non plus. Il n’y a qu’à voir les personnes choisies – sans notre consentement – pour nous représenter. Chaque fois que Hassen Chalghoumi [l’imam de Drancy, Seine-Saint-Denis, ndlr] est sur un plateau télévisé, c’est un supplice.
Il est tunisien, pas très à l’aise avec notre langue et ne connaît rien de la réalité française. Quelle est sa légitimité pour dire qui sont les bons et les mauvais pratiquants ?
En Angleterre, en Allemagne ou encore aux Etats-Unis ça se passe beaucoup mieux pour les musulmans. Là-bas, il y a plus de respect pour leur foi et en général, pour les communautés. Ici, on en est encore à véhiculer des légendes stupides, comme « ah elle porte le voile, la pauvre on l’a forcée ».

Je ne m’entraîne pas pour le djihad

Je ne dis pas que ça n’existe pas, j’explique simplement que ça ne reflète pas la réalité. Pourtant, ça ne gêne pas grand monde que cela continue d’être énoncée comme une vérité, parce que quoique l’on fasse, nous sommes présumés coupables de quelque chose.
Parfois, avec mon frère, il m’arrive d’aller faire mon jogging dans un coin huppé de Roubaix. Les gens nous regardent avec un air effarouché, presque choqué. Sans parano, il y a un côté « ils doivent certainement s’entraîner pour le djihad ». En fait, on veut juste perdre quelques kilos.
Il faut arrêter de vouloir faire porter un fardeau à la communauté musulmane et que les autorités prennent leurs responsabilités. Ils parlent de djihad, mais que font-ils réellement pour arrêter les recruteurs ?
Pas loin de chez moi, deux ou trois types commençaient à parler de djihad en Syrie à des gamins. Les habitants les ont clairement identifiées, avant de mettre tout le quartier en garde. En gros, tout le monde les a grillés. Après, c’est à l’Etat de ne pas se défausser et de faire son boulot.
http://rue89.nouvelobs.com/2014/09/25/cours-barbe-mentraine-djihad-255085