vendredi 16 janvier 2015

Valider L’appel des 100 000 à la liberté

L’appel des 100 000 à la liberté
Alors que le numéro symbolique de Charlie Hebdo est sorti en kiosque ce mercredi 14 janvier, alors que « Tout est pardonné », le peuple français est toujours autant affecté par ce traumatisme d’Etat. En hommage aux disparus et pour l’apologie et la glorification de nos lois, notre Etat de Droit, pour la liberté des droits de l’Homme et du Citoyen, le Nouveau Montpellier revient sur la plus grande mobilisation française du XXIème siècle, le dimanche 11 janvier 2015. Une mobilisation forte et historique, auquel grâce à vos nombreux témoignages, nous rendons compte de la valeur et de la singularité de l’évènement.
« L’union, ça c’est les français » : une réponse au blâme de la France par l’indignation de son peuple
20150111_144836 - Copie - Copie
Montpellier se rassemble – Place de l’Europe (Crédit Photo : Lukas Lacombe)
Il est 14h. La place de l’Europe se remplie peu à peu. Le silence à côté de son voisin et parfois gênant, certains font part de leurs indignations, d’autres immortalisent ce moment aux moyens de photos et vidéos pour montrer qu’ils étaient là, que nous étions là, que Montpellier était là. La constitution mécanique de la foule s’effectue, prise dans un brouhaha harmonieux et respectueux. Très vite, les pancartes s’agitent, les drapeaux se lèvent, les applaudissements s’enchainent, la foule prend vie. 15h, l’émanation de la liberté explose, les citoyens de Montpellier et de sa région sont là, l’exaltation symbolique de la liberté prend pied et s’arrime dans le cœur des 100 000.
Le mot d’ordre dominant est clair : l’attentat du mercredi 7 janvier 2015 appelle à la défense de la liberté d’expression et de nos valeurs . Les français et compatissants pour la liberté républicaine se sont ici rassemblés. Nous étions plus de 3,7 millions dans la rue en France, nous étions là, à l’écoute de tous et pour tous ou simplement silencieux, observateurs de ce degré de passion et d’amertume de ce qu’être français ou compatissant de la liberté républicaine veut dire aujourd’hui.
20150111_154349 - Copie
Antigone (Crédit Photo : Lukas Lacombe)
Dans cette émanation des mœurs , « il suffit de regarder le regard des gens, ça, je crois que les regards disent tout. Tout le monde est anéanti. On ne sait pas trop ce qu’il en sera dans les semaines qui viennent », émanation à laquelle le symbolisme appelle à « se remettre sur des vraies valeurs de vivre ensemble ».
Les 100 000 de Montpellier ont effectué une marche de la place de l’Europe, en direction du Peyrou, un rassemblement inédit pour la ville. Une mobilisation qui donne lieu à cette union nationale reprise et dont le mot d’ordre a été revendiqué par le Chef de l’Etat et le Gouvernement. Une mobilisation, qui prend aussi de multiples visages, de multiples messages, qui rentre dans de multiples débats, mais qui reste l’écho du vivre ensemble, une cause commune à tous.
Du pluralisme symbolique, ce vivre ensemble se voit, s’entend, et se ressent comme une réponse politique, sociale, et laïque de ce que certains nomment déjà le « mercredi noir français ». Sur les visages ou dans le regard de tous, un maître mot s’impose aussi invisible et pourtant plus que présent dans chaque pas, chaque pensée et quelle que soit la prise de position de chacun : le pacifisme.
Cette masse intimidante donne lieu à différentes conceptions de l’évènement, dont certaines sont parfois plus frappantes que d’autres et marquent plus les esprits : « Tuer un journal c’est du jamais vu. Cette marche représente ce qui prouve que la liberté en France est particulière. L’union, ça, c’est les français. »
La « charlisation » de la solidarité et des mœurs et la « républicanisation » de Charlie : ressorts d’un visage à double face
Ici et là, chacun prend le même visage « pour les personnes qui sont mortes, pour la France, pour la solidarité » nous dit-on. Toujours est-il que le désormais célèbre « Je suis Charlie« , que l’on baptise étendard de la liberté, reste et se constitue dans un visage à double face, qui peut porter à confusion selon la traduction que l’on fait des événements.
20150111_145304 - Copie
Un message de paix à plusieurs visages (Crédit Photo : Lukas Lacombe)
Sous les vagues sonores de la foule, un correspondant local du Midi Libre, chuchote « je dis que, comme les survivants du Charlie Hebdo ont dit, je ne crois pas que ceux qui ont disparu seraient très heureux d’entendre la Marseille en leur honneur, ils étaient trop rebelles pour ça ». Dans le même sens, Daniel Cohn-Bendit, invité du Supplément le même jour sur Canal + (émission enregistrée vendredi), insiste : «ceux qui chantent la Marseillaise pour Charlie Hebdo n’ont rien compris ». Une conception qui peut tourmenter ou rassurer, selon ce que les valeurs de la République ont, selon nous, fait au Charlie Hebdo ou ce que le Charlie Hebdo a fait à la République. Discours qui sort cependant de la pensée dominante, où Charlie, c’est d’abord la liberté d’expression, la vitrine de la République sinon du peuple Français : « C’est très important que les français se relèvent et surtout ne lâchent pas notre liberté, que ce soit notre liberté d’expression ou nos valeurs Liberté, Égalité et Fraternité, il faut le marteler et ne rien lâcher ».
« Je suis Charlie« , le pont du vivre ensemble et de ce que s’exprimer veut dire en France
« J’étais sur Paris aux moments des faits, il y avait une atmosphère glaciale. Dans les moments comme celui-ci on retrouve la chaleur perdue ». On retrouve dans la pensée citoyenne, la sensation de vivre un moment fort et revigorant, qui enterre les peurs, condamne la haine et appelle à la paix. « En mai 68, il y avait ici moins de monde à ma connaissance » nous dit-on, toujours plus perplexe, intrigué, fasciné par ce que l’union, le rassemblement et la solidarité font à l’esprit.

IMG_6587 - Copie
Oeuvre d’une jeune dessinatrice présente à l’événement (Crédit Photo : Lukas Lacombe)
Certains présentent leurs dessins, d’autres leurs pancartes, déguisements, maquillages. Le rassemblement de la marche blanche est un véritable défilé et spectacle des symboles dont la synergie repose encore et toujours sur la force de la solidarité.
Capture plein écran 12012015 203820.bmp
(Crédit Photo : Lukas Lacombe)
«Je m’exprime pour ce que Charlie à fait de ma représentation», «Je m’exprime pour ce qu’ils étaient», «Je m’exprime pour ce qu’ils représentent». L’avènement du « Je suis » représente plus que jamais la défense de la liberté d’expression. Une liberté que proclame tout haut et à sa manière, la masse montpelliéraine.
Capture plein écran 12012015 204129.bmp
Capture plein écran 12012015 212758.bmp (Crédit Photo : Lukas Lacombe)

« Arrêter l’exclusion et la logique d’exclusion » : le chantre de Charlie, c’est l’ignorant de Boko Haram
Le Nouveau Montpellier a eu la chance de recueillir le témoignage de José Bové lors de l’évènement. Pour lui, un seul message : mettre fin à la stigmatisation ; « je pense que ce qui est important aujourd’hui, c’est de se dire que les gens viennent sans mot d’ordre uniquement pour dire  » plus jamais ça  » et pour dire qu’il faut reconstruire du lien, reconstruire du lien, lutter contre la stigmatisation, contre les clichés, et construire pour arrêter l’exclusion et la logique d’exclusion. Est-ce qu’on est capable de faire ça ? Dans les facs pour vous, dans les écoles, dans les quartiers, partout. Comment met-on ça en avant ? C’est ça pour moi qui est central ».
10933112_887243204641285_1306778836_n - Copie
(Crédit Photo : Lukas Lacombe)
On peut entendre à partir de cet appel, un rejet des logiques d’exclusion raciale, religieuse. Il semble tout aussi légitime de ne pas oublier pour autant les logiques d’exclusion de l’information effectuée par les médias vis-à vis des derniers évènements.
Point de vue que l’on peut voir en effet, autrement, si on  regarde d’un autre œil la centralisation médiatique de l’attentat du 7 janvier en dépit du sous-silence des massacres du groupe terroriste Boko Haram, qui presque dans le même temps, les 6, 7 et 8 janvier, au Nigéria perpétrait le massacre de 2000 personnes et forçait 20 000 autres à fuir. Un silence troublant, qui peut provoquer l’indignation, quand dans un autre pays, un même genre d’événement, appelle son peuple à mettre la barbarie au silence. Une centralisation de l’information qui fait du « Je suis Charlie » voire même de la défense de nos valeurs, un barrage presque exclusivement nationaliste à ce que la France appelle « Liberté », sinon un moyen d’occultation d’événements autant – si ce n’est même plus – tragiques que la disparition de nos concitoyens.
L’harmonisation symbolique des pensées citoyennes
20150111_162830 - Copie (2) - Copie
Peyrou (Crédit Photo : Lukas Lacombe)
Les politiques sont-ils légitimes dans ce moment de recueil et d’hommage ? Bien que l’on s’abstiendra de répondre à la question,  on retiendra qu’ici, à Montpellier, les journalistes et représentants des forces de l’ordre locaux, nationaux, ce sont faits représentants légitimes de l’événement. L’étendard de la liberté est porté par le Club de la Presse, Philippe Saurel ni aucun autre représentant politique n’a pas pris la parole. Un détail qui, sur la place du Peyrou, a donné lors des discours finaux et à la conclusion musicale de l’événement, une singularité d’autant plus forte que la volonté, la fusion collective des consciences dans les battements de cœur des montpelliérains. Un moment fort, où cet être-ensemble historique sera plus que jamais le mécanisme légitime d’un inexorable et triste événement, qui aura en ce jour et pour longtemps encore, marqué à jamais la mémoire du peuple français.
Un épilogue des opinions sur les idéaux
Les émotions citoyennes se rassemblent sur le même ordre d’idées, celle des droits et du respect légitimes en démocratie. En vous accompagnant tout au long de cette marche blanche, le Nouveau Montpellier s’arrête sur les ressentis les plus marquants.
20150111_160006
(Crédit Photo : Clara Mure)

« Je viens pour Charlie mais je ne suis plus récupérable ». Les vagues d’opinions qui découlent des 100 000 bouleversent le quotidien montpelliérain. La défense de nos idéaux est ici vue comme « la lutte contre le racisme », ou le « terrorisme », une lutte aussi donc contre la peur, mais aussi le respect mutuel des croyances, et d’une reconnaissance pour ceux qui croient ou non, une lutte pour le respect de nos fondamentaux : « Je ne fais pas d’amalgame bien au contraire, mais en tant qu’athée par moments je me sens un peu oubliée, j’ai l’impression que l’on n’existe pas car les fanatiques font beaucoup parler d’eux contrairement aux simples citoyens qui sont musulmans, chrétiens ou juifs dont on ne connait pas la religion quand on les croise, tout comme moi ».
Cette « frustration des symboles » appelle à une confusion à la limite de la liberté des croyances en démocratie, sinon dans le régime démocratique français. Bien que le peuple français se rassemble, certains déconstruisent finalement le mythe d’une union nationale : « tout le monde n’est pas là pour les mêmes raisons ». Le lecteur du Charlie contre le citoyen, le partisan de la stigmatisation religieuse contre le citoyen indigné, la pensée citoyenne a différentes définitions de la « paix civile » et de ce nécessaire « vivre ensemble ». Si la paix a appelé à l’union,  « il va falloir faire très attention dans les semaines et les mois qui arrivent sur la récupération politique qui sera faite des rassemblements et des événements récents »Une récupération qui unit sans unir et qui rappelle que le pouvoir politique renvoie et produit une image utopique de cette union. Une union physique mais non politique qui contribue la pensée citoyenne à relativiser les véritables raisons de ce rassemblement :
Le Nouveau Montpellier : « Est-ce que vous croyez à l’union nationale appelée par le gouvernement ? »
« Le problème des politiques, c’est la politique, là par ce que tout le monde est traumatisé, c’est une forme de guerre, et après les politiques reprennent une forme d’étiquette ».
Bien que les prises de conscience citoyennes soient plurielles, le discours dominant justifie plus ces actes de politiques que soumis à un ordre religieux : « moi je suis contre l’idée de dire que c’est la faute des musulmans et qu’on leur demande de se prononcer sur leur détachement par rapport à ces actes, ces terroristes ne sont absolument pas des musulmans », mais enfin – et surtout que « l’État doit avoir comme objectif de lutter contre le racisme qui existe et contre les extrémismes, on a déjà tué Charlie une fois, il ne faut pas le tuer une seconde fois par l’islamophobie ».
10893453_10152984600434323_1050272829_n
(Crédit Photo : Simon Botteau)
Du « Je Suis Charlie« qui rappelle l’idéal démocratique, au « Je Suis Charlie » qui souligne la complexité mais surtout la difficulté de sa cohésion sociale, n’oublions pas que finalement « il faut continuer à faire vivre Charlie Hebdo comme toute la presse, y compris celle qui peut être en désaccord avec beaucoup de choses ». Pour tout un chacun, l’attentat de Charlie Hebdo rappelle au peuple français que sauvegarder la presse, c’est sauvegarder sa démocratie.
(Crédit photo de Une : © Lukas Lacombe
http://www.lenouveaumontpellier.fr/lappel-100-000-liberte/