Le 20 janvier dernier, le message d'un inconnu francophone sur WhatsApp annonçait à Véronique et Thierry Roy, la mort de leur fils Quentin, 23 ans, converti à l'Islam, puis parti en Syrie quinze mois plus tôt. Le témoignage de Véronique sur le combat mené depuis par le couple. Ils vivent toujours à Sevran en Seine-saint-Denis où six enfants sont déjà morts en Syrie.
COMMENT EXPLIQUEZ-VOUS LA RADICALISATION DE QUENTIN ?
Quentin a été radicalisé par des proches sur le territoire français. Daech c'est ici aussi. Dans 90% des cas, ce n'est pas par internet mais par un contact physique avec quelqu'un de l'entourage que le jeune est embrigadé. Quentin avait 23 ans, était un jeune homme sans histoire qui vivait avec nous. Il était étudiant en STAPS à l'université de Bobigny après avoir préparé le concours de kiné. Mais je crois que comme beaucoup de jeunes, Quentin ne se retrouvait pas dans limage que la société lui envoyait, trop consumériste, trop individualiste, pas assez éthique. Il était plein d'idéal et de rêves, avait besoin de se sentir utile. Il aurait rencontré l'Abbé Pierre, il serait sans doute devenu compagnon d' Emmaüs. Le malheur a voulu qu'il croise Daech et l'un de ses recruteurs près de chez nous ! On lui a menti, il a mis son enthousiasme au service d'une entreprise dont le seul projet est de détruire le reste du monde et d'étendre ses territoires avec comme dessein, la mort sacrificielle plutôt que la vie.
ET SA CONVERSION ?
Conversion dans le plus grand secret et annoncée ensuite avec joie, fréquentation assidûe de plusieurs mosquées, volonté de pratiquer « à l'ancienne », puis arrêt du piano (Quentin tenait de son père musicien un vrai talent pour la musique), évitement des filles, rupture avec les rituels familiaux et les amis, font partie des étapes franchies progressivement par Quentin. Le problème n'est pas sa conversion, le problème ce sont les gens que sa conversion l'a amené à fréquenter en l'éloignant de l'Islam spirituel vers un Islam idéologique plus politique. Mais ce qui lui est arrivé peut arriver à d'autres. Aujourd'hui aucune famille n'est à l'abri d'un tel drame, quel que soit son milieu social.
COMMENT AVEZ-VOUS APPRIS LA DISPARITION DE VOTRE FILS ?
Depuis la mi-novembre 2015, nous n'avions plus aucun message de Quentin et nous vivions dans une angoisse permanente. Mi-janvier 2016, un message nous a été envoyé par un inconnu sur WhatsApp avec le testament de Quentin. On nous y félicitait aussi pour la mort de notre fils mort en martyr, en nous demandant de « ne pas pleurer car là où était Quentin, il était heureux et que l'Etat se bâtit sur le sang des martyrs et que seul le prophète peut être pleuré car on ne le suit pas. Lisez le coran et ça ira mieux. » Il n'y a pas de mots.
AUJOURD'HUI AVEC VOTRE MARI THIERRY, QUI VOULEZ-VOUS INTERPELLER?
Je souhaite dire aux Français musulmans que même rétroactivement je n'avais rien à redire à la conversion de mon fils qui lui a apporté de la méditation au départ.
C'était son choix. Pourquoi pas ? Et il aurait pu devenir et rester un excellent croyant, modéré dans cette religion. Notre famille de par histoire a toujours été tolérante et ouverte aux idées et opinions différentes. Mais là il en a été autrement : Quentin est tombé sur des musulmans intégristes et salafistes qui l'ont embrigadé, détourné de son élan sincère comme dans une secte. Quand nous avons réalisé ce qui se passait, il était trop tard. Nous n'avions quasiment plus de prise sur lui, nous qui avions toujours et là bas encore, ce qu'il avait de plus cher dans sa vie, il se détournait de nous au nom d'Allah. Alors je veux dire aux musulmans de France : Réagissez, prenez aussi clairement position contre ces extrémistes, défendez avec nous la laïcité, elle seule permettra de remettre le religieux à sa place dans la sphère privée et de stopper l'entrée de l'intégrisme musulman dans la vie de la Cité. Le vivre-ensemble passe par le fait de se mélanger. Aujourd'hui à Sevran comme dans de nombreuses villes françaises, la mixité n'existe plus. Ni entre les hommes et les femmes, ni entre appartenance religieuse différente. Ca suffit !
LES POLITIQUES ONT-ILS UNE RESPONSABILITÉ DANS CETTE DÉRIVE ?
Et comment ! Notre société toute entière est mal à l'aise avec la laïcité, car les politiques, premiers garants de la République n'en défendent plus les valeurs sur leurs territoires. Cela relève de leur responsabilité pourtant ! Les politiques doivent cesser d'être lâches au nom du clientélisme électoral. A force de tout accepter, on accepte l'inacceptable !
Les politiques doivent rappeler à l'ordre une partie de leur population et ont devoir de protéger tous leurs administrés, y compris de ces rabatteurs. Ils doivent aussi vérifier ce que les associations font des subventions publiques : les organisations salafistes sont passées maître dans l'art de se terrer sous l'étiquette de cours de soutien scolaire ou d'entraide musulmane. Le multiculturalisme a démontré ses limites. Le chacun dans sa communauté mène à des situations incontrôlables.
AVEZ-VOUS REJOINT UN COLLECTIF DE PARENTS QUI VIVENT UNE SITUATION ANALOGUE ?
Nous avons tenté, mais ce n'est pas aisé car chacun est dans son drame. En revanche il est important de ne pas rester seuls dans pareille situation et les parents concernés sont les plus à même d'en parler. On a rejoint aussi La brigades des mères dirigée par Nadia Remadna. A Sevran et les villes alentours, ces femmes occupent le terrain pour tenter de ramener des jeunes à la raison. Aux côtés de cette association, nous nous battons pour que les quartiers ne soient pas transformés en zone de non-droit et que la laïcité, condition indispensable au vivre et faire ensemble retrouve sa place.
Que demandez vous au pouvoir public ?
Nous voulons que les rabatteurs soient tous sanctionnés même s'il est souvent très difficile de prouver l'endoctrinement. Cinq enfants de Sevran sont morts pour Daech. Leurs rabatteurs ne sont pas tous sous les verrous. Nous demandons aussi à être reconnus comme victimes de Daech en tant que parents. Nous avions un avenir heureux et l'impensable est arrivé.
source : Pleine Vie