Tribune publiée dans Libération le lundi 23 mai 2016.
Une fois encore, le sujet des rémunérations de nos dirigeants d’entreprise fait débat. A juste raison. Quand tout le monde est en train de faire des efforts, il est choquant qu’une minorité s’en exonère. Cela nourrit la perte de sens, parfois le populisme.
Il importe donc d’avoir sur ce sujet un débat sans complaisance, ni démagogie.
Le niveau des rémunérations des dirigeants d’entreprise ne peut être fixé par la loi. Parce que notre Constitution affirme le principe de la liberté d’entreprendre, et que je comprends la nécessité d’attirer et de garder des talents en fonction de la situation de l’entreprise. Je ne vois pas au nom de quoi la loi pourrait limiter la rémunération d’un dirigeant d’entreprise et pas celle d’un sportif ou d’un artiste.
Nous vivons dans une société ouverte. Un dirigeant d’entreprise qui souhaite augmenter sa rémunération pourrait déménager et se faire payer à l’étranger.
Parce que ce n’est pas efficace de le faire au niveau national : le seul espace pertinent est l’Union européenne, comme d’ailleurs cela a pu être fait dans le secteur financier. C’est pourquoi il nous faut plus d’Europe.
Sur le sujet des rémunérations des dirigeants d’entreprise, il faut donc faire appel à la responsabilité de chacun.
Lorsqu’on est dirigeant d’entreprise, on ne vit pas au-dessus de l’entreprise. On se doit d’être exemplaire. C’est-à-dire de limiter sa rémunération lorsque les résultats ne sont pas au rendez-vous et de permettre à l’ensemble des salariés de partager la réussite. Une rémunération doit toujours être liée à la réalité du monde dans lequel on vit. C’est une question d’éthique.
Je pense en effet que l’argent que l’on gagne grâce à son activité professionnelle ne doit récompenser que deux choses : le risque que l’on prend et le travail que l’on apporte. C’est pour cela que le gouvernement a réformé avec la loi croissance et activité les systèmes de rémunération différée qui permettent de conserver ou d’attirer en France les meilleurs dirigeants.
Un dirigeant d’entreprise a des responsabilités, mène une collectivité, lui donne sens et doit pouvoir bien gagner sa vie avec celles et ceux qui font réussir l’entreprise, de manière transparente et explicable. Toutefois, beaucoup d’exemples récents ont montré que même l’existence dans les grandes entreprises de comités de rémunération supposés apporter de l’objectivité à la fixation de la rémunération des dirigeants n’est pas suffisante. Les mandats croisés, l’entre-soi dans les conseils d’administration, parfois la perte de repères civiques permettent la survivance d’un capitalisme de connivence. Appât du gain, perte de sens, connivence : ce ne sont pas les valeurs de l’entrepreneuriat dont notre pays a besoin.
C’est pourquoi il faut faire appel, aussi, à la responsabilité collective. Et je pense ici à la responsabilité des actionnaires. C’est à eux qu’il appartient de se prononcer sur le niveau de rémunération du dirigeant.
C’est pour cela que, dans la même loi pour la croissance et l’activité, nous avons également renforcé tous les dispositifs par lesquels on permet aux salariés de devenir actionnaires de leur entreprise. Cela donne aussi ce pouvoir aux salariés et cela permet de mieux associer les travailleurs aux résultats de leur entreprise. Les salariés qui siègent d’ores et déjà dans les conseils d’administration portent la voix de leurs collègues et ont toute légitimité pour s’opposer aux rémunérations qu’ils jugeraient injustifiées.
C’est pour cela que l’Etat, dans les entreprises où il est actionnaire majoritaire, a limité à 450 000 euros annuels la rémunération de leurs dirigeants.
C’est pour cela que l’Etat, dans les entreprises où il est actionnaire minoritaire, s’est battu, le plus souvent avec succès, pour diminuer la rémunération des dirigeants de 30 %.
C’est pour cela que l’Etat, en tant que régulateur, a permis à tous les actionnaires de se prononcer sur la rémunération des dirigeants en introduisant dans la loi le say on pay.
C’est pour cela que le gouvernement, aussi, défend au niveau européen une directive qui vise à généraliser le say on pay en Europe. Le niveau européen est le bon niveau pour avancer avec ambition sans compromettre notre attractivité.
Pour ouvrir la voie en allant plus loin, il faut permettre à la responsabilité collective des actionnaires d’être vraiment opérante. La rémunération du dirigeant de Renault-Nissan a montré qu’un avis consultatif des actionnaires pouvait n’emporter aucune conséquence. Cela n’est pas acceptable. C’est le sens de la disposition que le gouvernement intégrera dans le projet de loi sur la transparence de la vie économique qui sera défendu au Parlement dès cette semaine par Michel Sapin. Non à une loi qui plafonnerait les rémunérations. Oui à une loi qui permettra aux décisions de l’assemblée générale de s’imposer au conseil d’administration.
La solution à ce problème qui scandalise à juste titre est donc double : d’une part, plus de responsabilité de la part des dirigeants ; quand on ne sait plus expliquer le niveau de la rémunération que l’on touche, c’est la responsabilité individuelle qui doit conduire chacun, en son âme et conscience, à réviser ses positions. D’autre part et surtout, afin de traiter les situations de tous ceux qui ont perdu de vue ce qu’était l’éthique, nous devons renforcer la responsabilité collective, c’est-à-dire le contrôle des actionnaires.
Ce travail est une étape supplémentaire dans la construction d’une économie responsable et de long terme. Ce n’est pas un simple sujet technique : c’est une ambition d’éthique. Personne ne doit pouvoir échapper à ses responsabilités.
C’est aussi cela, la République contractuelle à laquelle je crois.
Emmanuel MACRON
source : Libération