Enquête percutante, éminemment dérangeante, de Stéphane Kovacs dans Le Figaro de ce 30 avril : « Les médecins désarmés face aux demandes de réfection d’hymen » (sur abonnement). Enquête aux confins de plusieurs mondes : celui de la thérapeutique et de la complaisance, de l’emprise religieuse sur le corps des femmes et du droit à disposer de son corps, du refus du compromis (au nom de la laïcité) et de l’acceptation de la tractation (au nom de la logique du moindre mal). Sujet éminemment dérangeant, aussi, du fait de l’argent : celui liquide versé sous le manteau dans des établissements peu regardants ; celui, anonyme, versé par la collectivité via la Sécurité sociale sous des indications d’emprunts.
L’hyménoplastie est une opération de chirurgie plastique qui vise à « reconstituer » l’hymen. Une des techniques consiste, le cas échéant, à utiliser les séquelles hyménéales en les incisant et en les suturant côte à côte. L’opération se déroule sous anesthésie locale parfois accompagnée d’une sédation. En théorie, aucune trace n’est visible à la suite de cette intervention. Cette opération chirurgicale a pour objectif de rendre à la femme une « virginité » physique.
Avenue de Lowendal
C’est, en France du moins, une chirurgie qui peut se pratiquer au grand jour. Ainsi trouve-t-on, en un clic, à deux pas du ministère de la Santé, le Dr Adel Louafi, chirurgien esthétique :
« vous reçoit dans son cabinet au cœur de Paris, dans le calme du 7èmearrondissement, au 1, avenue de Lowendal. Dr Louafi travaille uniquement dans des cliniques de chirurgie esthétique agréées. Situé en face des Invalides et à deux pas de la Place Vauban, le cabinet de consultation est facilement accessible en voiture, (nombreuses places de stationnement dans l’avenue), et bien desservi par les transports en commun. »
Plus loin, vers l’ouest de la capitale, le Dr Christelle Santini, chirurgien esthétique :
« Le Dr Santini est une des rares femmes pratiquant la reconstruction de l’hymen ou hyménoplastie à Paris. Son équipe est entièrement féminine (aide opératoire, secrétaire) Elle vous recevra dans l’intimité de son cabinet parisien lors d’une consultation afin de vous informer sur cette intervention. Tout ce qui sera révélé lors de cette consultation restera bien sur secret et est soumis au secret médical qui est absolu en France. Personne n’aura accès à votre dossier médical à part vous. »
Réparer ou refuser
Le Figaro n’est pas le seul à traiter ce sujet. Le Monde (Delphine Roucaute) s’y est également intéressé au moment de la saison des mariages :« L’hyménoplastie, une seconde virginité ». Le dérangeant, ici, est moins dans la confrontation de deux cultures quand dans les raisons de l’acceptation médicale et hospitalière d’une pratique par ailleurs condamnée. Le Figaro :
« Réparer ou s’y opposer ? Des chirurgiens confrontés à la tradition de la virginité des futures mariées, le plus souvent musulmanes, se retrouvent face à de vrais cas de conscience. Certains demandent une action publique pour mettre fin à cette pratique jugée archaïque et sexiste (…)
« Aucune statistique sur cette pratique, mais «une tendance immuable», confient des gynécologues. Souvent désorientés: «les médecins sont très réticents à refaire les hymens, car c’est participer à une coutume machiste», dénonce le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF). ‘’Dans certaines cultures, les hommes ont placé leur honneur entre les cuisses des femmes pour mieux les ramener au rang d’objet !, tonne le Pr Israël Nisand, chef du pôle gynécologie obstétrique au CHU de Strasbourg. Cela fait partie d’une longue chaîne de maltraitance des femmes. Mais qui aura le courage politique de bouger sur le sujet?’’»
Mutisme en haut lieu
Ni le Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes, ni la ministre des Droits des femmes Laurence Rossignol, n’ont souhaité répondre au Figaro. Pourquoi ? La question, à n’en pas douter, leur sera à nouveau posée, ainsi que Marisol Touraine, ministre de la Santé. Quelles seront les réponses ?
Dans certaines cliniques privées, les prix peuvent approcher les 3.000 euros. « Pratiquement toujours payés en liquide, pour ne surtout pas laisser de traces sur les relevés de compte, assure le quotidien. À l’hôpital public, l’intervention, considérée par l’Assurance-maladie comme de la chirurgie esthétique, revient à quelque 700 euros. » «Certains médecins dont les patientes se refilent les noms s’arrangent toutefois pour faire passer cela en retrait d’un kyste ou d’un polype, entièrement pris en charge par la Sécurité sociale», affirme Isabelle Lévy, formatrice en milieu hospitalier et auteur de « Menaces religieuses sur l’hôpital ».
Paroles de médecins concernés
Qu’en pensent les professionnels ? Pr Olivier Graesslin, secrétaire général duCNGOF :
« C’est un véritable cas de conscience… Comment mettre un terme définitif à cette pratique qui ne devrait pas exister? Il m’est arrivé d’accepter. Aujourd’hui je ne le fais plus. Dans notre service, au CHU de Reims, on a décidé de refuser et d’expliquer pourquoi, pour essayer d’enclencher une dynamique de changement. Mais on sait que d’autres praticiens le feront ; c’est un peu lâche comme position…»
Dr Ghada Hatem, gynécologue obstétricienne à l’hôpital Delafontaine à Saint-Denis :
« Comme le voile, cela redevient un sujet. La quasi-totalité de ces patientes sont nées en France. Selon moi, c’est un signe de non-intégration majeur! La semaine dernière, j’ai reçu une femme de 26 ans, voilée, disait-elle, “pour se faire respecter”. Après un chagrin d’amour, elle a fait une tentative de suicide à cause de son hymen perdu. Du coup, elle suit la “recette du bonheur” de ses parents: suivre les préceptes du Coran. Et retourne vers sa communauté pour ce qu’elle appelle un “mariage sérieux”…»
Chirurgie de convenance
Que dit le droit français ? En 2008, le TGI de Lille avait annulé un mariage pour «erreur sur les qualités essentielles du conjoint» : l’épouse avait menti sur sa virginité…Jugement réformé en appel à la suite duquel le Pr Philippe Faucher, gynécologue obstétricien à l’hôpital Trousseau à Paris avait signé une tribune publiée en 2014 (reprenant un texte écrit en 2004) sur le siteMediapart : « La demande de réfection de l’hymen ».
« La réfection d’hymen fait partie des actes médicaux dit « de convenance ». Effectivement la notion de soin n’est plus indispensable à la relation entre un médecin et son patient depuis l’avènement de la contraception, premier acte médical de convenance. La légalisation de l’interruption volontaire de grossesse est ensuite une étape symbolique forte pour reconnaître que le simple fait de demander une prestation médicale permet de l’obtenir. La ligature de trompes vient d’obtenir une reconnaissance légale en 2001, n’est plus assimilée à une mutilation mais reste soumise à l’approbation du chirurgien. Le débat fait rage aujourd’hui autour de la demande de césarienne de convenance… (…)
« N’oublions pas (…) lorsqu’une femme vient nous demander une réparation de l’hymen : pas de refus brutal ni de condamnation, pas de démonstration de puissance, pas de discours démagogique sur l’émancipation féminine mais de l’écoute, du dialogue et beaucoup de pragmatisme ! »
Questions : Cet acte peut-il être pratiqué dans un hôpital public ? Doit-il être ni pris en charge par l’Assurance-maladie ? Courage ou pas, il serait bon que les pouvoirs publics répondent, clairement et vite, à ces deux questions.
source : https://jeanyvesnau.com/2016/04/30/virginite-et-laicite-les-hymenoplasties-doivent-elles-etre-prises-en-charge-par-la-securite-sociale/