Elle sera semblable, à quelque chose près, à l’Algérie des années 90 : Paris sera Alger. Toulouse, Blida ou Média. Lyon, Ain Defla.
La Kabylie, la Bretagne. Ce n’est pas difficile à prédire. C’est même une évidence pour celui qui, comme moi, a vécu la guerre civile algérienne, côtoyé la violence aveugle des fous de Dieu, marché sur des flaques de sang et des morceaux de chair.
Ça a débuté comme ça : en bruit de pantoufles avant que ne retentissent les kalachnikovs et les bombes.
On pensait que c’était un jeu. Comme ces pétards que les enfants faisaient exploser lors de l’aïd et de l’anniversaire de la naissance du Prophète.
On riait des qamis et des barbes hirsutes des intégristes.
C’étaient nos "pères Noël".
Ils n’apportaient pas de cadeaux, ne distribuaient pas de bonbons, mais ils aimaient nous raconter des histoires obscures sur l’enfer et le jugement dernier.
On trouvait leur façon de s’habiller exotique. Car, à la fin des années 80, rares étaient ceux qui portaient ces accoutrements importés d’Afghanistan et d’Iran.
Puis ça a continué comme ça : par l’intimidation. Avec des mots qui, certes, étaient trop violents pour mes oreilles d’enfant, mais c’était de simples mots.
Les islamistes harcelaient les femmes libres, les démocrates et les laïques. Ils traitaient les progressistes de dépravés, de suppôts des croisés. Parfois, ils donnaient des coups de poing, de simples coups de poing. Puis ça a progressé. Ils utilisaient des objets, de simples objets : des galets, des cordes, des seringues d’acide, des couteaux, des haches…
Ensuite ça a basculé : les islamistes ont embarqué le peuple dans un
bateau ivre, pour un long voyage au bout de la nuit…
Sans crier gare, ils ont sorti les armes à feu, les fusils à canon scié, les bonbonnes de gaz et tout leur attirail de guerriers. Ce n’était plus un jeu. C’était sérieux mais c’était la folie...
Les barbus tuaient les poètes, les fonctionnaires, les enseignants, les médecins… puis les gens ordinaires, le « petit » peuple. Les journalistes rasaient les murs, ils étaient devenus des nécrologues. Ils n’écrivaient plus d’articles, ils comptabilisaient les morts. Les cafés et les trottoirs se vidaient, les gens se donnaient rendez-vous aux cimetières et parfois on enterrait à la pelleteuse.
Grisé par le sang, l’islamiste a redoublé de violence. On l’a vu éventrer les femmes enceintes, jeter des bébés dans des micro-ondes, égorger des villages entiers : Bentalha, Beni-Messous, Larbaa, Raïs… des toponymes qui donnent encore froid dans le dos. L’islamiste est partout le même. Il carbure à la haine.
Son vocabulaire est pauvre. Il ne maîtrise que quelques verbes, souvent équivalents : tuer, exécuter, massacrer, violer, brûler, détruire… Il ne lit qu’un seul livre, le Coran. Il n’obéit qu’aux seules lois d’Allah et de son Prophète.
Il dort avec un seul mot dans la bouche : vengeance. Il ne se réveille qu’avec un seul désir : éliminer un maximum de mécréants.
L’islamiste joue au sourd et au muet. Toute tentative de dialogue avec lui est vouée à l’échec. Il préfère le monologue. Il refuse le débat d’idées. Il préfère le terrain de la menace. Gare à celui qui le contredit.
L’islamiste n’a pas d’arguments mais il a des versets. Il n’a pas de cœur. Il ne connaît pas la peur. Si les balles tombent sur lui, il les affrontera avec le sourire.
Sa devise : la vie ne vaut rien, mais rien ne vaut la mort. Pour lui, la mort, c’est l’éternel bonheur : il s’y abreuvera aux rivières de vin (breuvage interdit sur terre !) et à la tendre chair des houris.
L’islamiste n’est pas un animal de compagnie. On ne doit pas le caresser dans le sens de la barbe, ni lui faire confiance. Il a le cerveau malade. Les crocs acérés. La gâchette facile. Son entreprise s’appelle la terreur.
L’islamiste ne réfléchit pas, ne recule pas, il fonce. Il ne rafistole pas, il achève.
Son objectif : soumettre l’humanité à la Oumma, la nation islamique mondiale.
Son droit chemin lui a été tracé par Allah et Mahomet. Les autres voies lui sont impénétrables. Jouer avec lui, c’est comme badiner avec un serpent. Il glisse. Il mord. On ne peut pas le dompter, il tue.
En voulant l’instrumentaliser dans leur stratégie contre leurs démocrates, les dirigeants algériens l’ont payé cher lors de la décennie noire. Le serpent leur a échappé des mains. Bilan : plus de 200 000 morts.
L’islamiste est perfide. Il affectionne la ruse. Il brouille les pistes. Il peut être un loup solitaire, mais il chasse souvent en meute.
Il n’aime pas la démocratie, mais il s’en sert. Il déteste la liberté, mais il en abuse pour propager son idéologie. Il n’aime pas les technologies, mais sait remarquablement s'en servir afin de faire avancer sa cause.
L’islamiste a repéré les failles des démocraties occidentales. Il sait qu’il est un bourreau, mais il joue à la victime. S’il brandit le spectre de l’islamophobie, c’est pour culpabiliser le démocrate et le pousser à céder du terrain où il sèmera ses graines.
L’islamiste gagne chaque jour des batailles contre l’Occident. Il a réussi à restreindre la liberté de pensée, à séparer les femmes des hommes dans certaines piscines, à halaliser les menus scolaires et même les rations militaires, à fragiliser la laïcité, à ouvrir des mosquées dans les universités, à gagner des procès contre des États, à verrouiller plusieurs institutions internationales…
L’islamiste a deviné le gouffre spirituel dans lequel est plongé l’Occident. Il compte le combler. Il sait que le capitalisme sauvage crée des solitudes et que celles-ci tuent dans les villes. Il a trouvé un remède au stress et à l’ennui : son prosélytisme dynamique et le mirage de sa fraternité.
L’Occident est en train de perdre sa guerre contre l’islamisme.
Sans courage ni lucidité, il perdra aussi son âme.
La France, quant à elle, risque de devenir très vite l’Algérie des années 90…
Auteur : Karim Akouche est poète, romancier et dramaturge.
Né en Kabyle, il vit au Québec. Publié le 11 janvier 2016 à 10:59 / Monde
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