S’il n’y avait qu’un billet à lire sur les racines des
attentats, c’est celui-ci, tout y est.
24NOV
Mathieu Aron, Benoit Collombat et Jacques Monin,
l’Honneur du journalisme français, chapeau bas !
Source : France Inter, Matthieu Aron, 20/11/2015
Matthieu Aron : Ce soir, enquête sur la
fabrication du monstre Daesh, quelle a été l’implication de pays comme l’Arabie
Saoudite et le Qatar ? Nous allons voir dans une enquête signée Jacques Monin
et Benoît Collombat que l’enjeu pétrolier a pu jouer un rôle considérable.
extrait Hocham Daoud : “Tout le monde a joué avec
Daesh. Tout le monde voulait jouer à travers Daesh pour s’imposer. En fait, on
a créé Frankestein, aujourd’hui tout le monde essaye de trouver un moyen pour
l’arrêter. Oui il y a des moyens, s’il y a une volonté politique.”
Matthieu Aron : Pour commencer cette émission,
je vous propose d’écouter cet extrait d’interview :
extrait Marc Trévidic : “Si l’Émir du Katiba en
Syrie de l’EI demande à main levé à ses recrues “Qui veut aller faire un
attentat en France ?” vous allez avoir 200 bras qui vont se lever en une demi
seconde.“
Matthieu Aron : 200 candidats au martyr. C’est
le chiffre effrayant donné par le juge Marc Trévidic. Vous suivez
l’enquête sur les attentats. Et ce qui nous a tous frappés, c’est ces
opérations kamikazes qui se sont déroulées pour la première fois en France.
Elodie Guéguen : Oui, encore qu’il soit plus
juste de parler d’attentats suicides pour être très précis, le terme Kamikaze
désignait ces pilotes japonais qui s’écrasaient volontairement sur des cibles
militaires. Là, il s’agit d’autre chose, d’ailleurs Daesh a conceptualisé ce
type d’attaques dès le début de la guerre en Syrie. Daesh a même créé un terme
spécifique (inrimassi ?!), il désigne des combattants qui, les armes à la main,
se rapprochent de la foule ou de leur cible et qui déclenchent leur ceinture
explosive. Soit quand ils sont encerclés soit lorsqu’ils n’ont plus de
munitions. C’est donc précisément le scénario de vendredi dernier.
Matthieu Aron : Et le juge Marx Trévidic, qui
dans son cabinet d’instruction, a entendu des dizaines de terroristes, nous dit
“il y a pléthore de candidats” et il n’est pas le seul à le dire…
Elodie Guéguen : Non il s’agit malheureusement
d’une réalité, ça semble presque inconcevable mais selon les experts, les
candidats au martyr seraient même trop nombreux, c’est ce qu’a
observé le chercheur Romain Caillet. L’un des meilleurs spécialistes des
milieux djihadistes.
extrait Romain Caillet : “C’est pas seulement de la
propagande, c’est une réalité. Il y a même des listes d’attentes. En
tout cas en Syrie et en Irak, il y a des listes d’attentes de gens qui sont
prêt à faire des opérations martyr, des attentats suicides, aussi bien des
jeunes qui viennent de quartiers sensibles en France ou des gens de bonnes
familles, des ressortissants du Golfe qui sont fortunés ou des tunisiens issus
de régions déshéritées du sud de la
Tunisie ”.
Elodie Guéguen : Les origines, les profils, sont
variés, vous l’avez entendu. Mais ces kamikazes de l’EI ont un point commun,
ils sont volontaires. Ce choix, ils le manifestent dès leur arrivée dans les
camps d’entrainement. Deux filières existent et Daesh demande aux combattants
de choisir leur filière, explique le journaliste David Thomson, auteur de
livres “Les Français Djihadistes”.
extrait David Thomson : “Dès qu’on arrive en Syrie, on
pose la question aux combattants au sein de l’EI : Est-ce que vous voulez être
un combattant “normal” ou combattant “(inrimassi ?!)”, ça veut dire combattant,
candidat, pour une opération kamikaze. Et ensuite ils suivent une sélection
particulière parce que l’EI ne peut pas se permettre de voir au dernier moment
un kamikaze flancher, c’est une question de crédibilité aussi pour eux.”
Matthieu Aron : Ils suivent une formation
particulière, dit David Thomson, ça signifie quoi ?
Elodie Guéguen : Et bien ça veut dire qu’ils
vont être isolés du reste du groupe, ils vont être placés dans un camp
d’entrainement spécifique. Comme les autres, ils recevront une formation
religieuse, théologique, ils suivront aussi un entraînement militaire, mais ils
seront mieux encadrés psychologiquement, mieux encadrés ou plus endoctrinés.
Matthieu Aron : Est-ce qu’on sait en quoi
consistent précisément ces techniques, parce qu’il faut les appeler comme ça,
de lavage de cerveau ?
Elodie Guéguen : Alors ça dans les détails,
malheureusement on l’ignore. Il n’existe pas à notre connaissance de
témoignages de djihadistes de Daesh qui seraient passés par ces camps de
kamikazes, qui auraient ensuite renoncé à commettre une attaque suicide, puis
qui auraient raconté leur expérience. A l’image de ce qu’ont fait certains
repentis, comme on les appelle.
Matthieu Aron : Alors ce que l’on sait en
revanche, c’est que ces candidats aux attaques suicides sont très très bien
traités par les cadres de l’EI.
Elodie Guéguen : Oui c’est d’ailleurs une des
raisons qui motivent certains djihadistes à se porter candidat pour commettre
une action kamikaze, selon le chercheur Roman Caillet.
extrait Roman Caillet : “Ils sont traités avec beaucoup
plus d’égard que les autres combattants, ce qui fait que peut-être
psychologiquement ils ont une dette envers ceux qui les ont accueillis dans ces
centres. Et puis une certaine culpabilité, ils pensent ne pas avoir fait assez
donc ils veulent se rattraper en faisant une grosse opération. On peut aussi
penser que certains veulent passer à la postérité. Être finalement, celui qui a
permis de remporter la bataille, de prendre telle ou telle ville.”
Matthieu Aron : Vouloir passer à la postérité en
se suicidant, pourtant le suicide, à ma connaissance, il est interdit par
l’Islam.
Elodie Guéguen : Et bien pas dans l’esprit de
ceux qui commettent ces actes au nom de Daesh. C’est ce que nous explique Fethi
Benslama, il est professeur de psychopathologie à l’université Paris Diderot.
extrait Fethi Benslama : “Pour eux ce n’est pas un
suicide, c’est un auto-sacrifice. Comme le dit le communiqué qui revendique les
attentats. Il utilise le mot “divorcé du monde d’ici-bas”. Divorcé du monde
d’ici-bas pour se marier avec l’autre monde. Dans l’autre monde, ils vivent,
ils jouissent, et même ils sont une jouissance absolue, extrême, ce qui est le
processus interne par lequel quelqu’un accepte d’aller jusqu’au bout de cet
acte-là.”
Matthieu Aron : En conclusion, que sait-on ce
soir sur ceux qui sont morts en martyr vendredi à Paris et ensuite à Saint
Denis ?
Elodie Guéguen : Alors tous ou presque, on le
sait, sont passés par des camps d’entrainements en Syrie. Maintenant il y a
deux hypothèses. Soit c’est un groupe de terroristes dont les membres se
connaissaient, qui se sont formés et entrainés ensemble pour mener cette
attaque. Soit, et c’est une hypothèse privilégiée, soit ils ont été
soigneusement sélectionnés, “castés” les uns après les autres par Daesh, ce qui
montrerait un degré de préparation encore plus sophistiqué.
extrait François Hollande : “Notre ennemi en Syrie,
c’est Daesh. Il ne s’agit donc pas de contenir, mais de détruire cette
organisation. La Syrie
est devenue la plus grande fabrique de terroristes que le monde ai connue et la
communauté internationale est divisée et incohérente.”
Matthieu Aron : Face au terrorisme, une
communauté divisée et incohérente, dit François Hollande. Et bien nous allons
revenir ce soir sur la fabrication du monstre Daesh. A-t-on fermé les yeux sur
la montée en puissance de ce groupe terroriste ? Quelle est l’implication de
l’Arabie Saoudite et du Qatar et quel rôle a joué la diplomatie française
? Avec Benoit Collombat, vous avez donc enquêté et pour bien comprendre il
faut revenir au début de l’histoire. Tout part de la guerre en Irak.
Jacques Monin : Oui, de la chute de Saddam
Hussein parce que lorsqu’ils le renversent, les Américains commettent deux
erreurs. D’abord, ils mentent sur les armes de destruction massive et sur les
liens supposés entre Saddam Hussein et al-Qaida. Mais surtout ils marginalisent
les Sunnites pour mettre les Chiites au pouvoir et Paul Bremer, qui est alors
le gouverneur américain à Bagdad, commet une faute qui va jeter des dizaines de
milliers de soldats aguerris dans les bras du futur EI. Cette faute, un des
hommes le plus mieux informés de France, Alain Juillet, l’ex patron du
renseignement de la DGSE ,
nous la raconte.
extrait Alain Juillet : “Brener fait une erreur
colossale. C’est qu’il donne l’ordre de licencier tous les militaires
de l’armée irakienne. On envoie, je ne sais plus combien ils étaient, 200
000 ou 300 000 gens, qui vivaient avec une solde de l’armée. Ils partent avec
leurs armes, ils n’ont plus rien. Et comme ils sont Sunnites et qu’on fait la
chasse aux Sunnites, il va y avoir l’impossibilité pour eux de retrouver des
emplois et autres. Donc ça va créer un ressentiment, une frustration, une
haine terrible envers l’occupant et envers les Occidentaux.”
Matthieu Aron : Les Américains produisent donc
un terrain de haine et un terreau sur lequel va se développer l’EI.
Jacques Monin : Oui. D’autant plus facilement
qu’il n’y a plus de véritable État, les services publics n’existent plus,
l’économie est moribonde, la corruption est devenue la norme. C’est donc
effectivement sur ces cendres que le groupe EI va prendre racine et pour Myriam
Benraad, qui est docteur en science politique et spécialiste de l’Irak, c’est
un peu comme dans la jungle, ce sont les plus forts qui émergent dans ce chaos.
extrait Myriam Benraad : “Il y aura un certain
nombre de groupes qui vont pulluler, les milices, les djihadistes, la tendance
al-Qaïda, c’est une nébuleuse d’acteurs mais le fait est que les combattants
d’al-Qaïda Irak deviendra l’EI sont les plus zélés, les plus déterminés. Donc
l’État Islamique va faire le vide, va coopter un certain nombre de chefs de
tribus, qui de fait parfois même quittent leur tribu pour rejoindre
l’organisation. Donc d’une mouvance hétéroclite on a un processus d’unification
et ils ont fait à mon avis fortune, bâti beaucoup de leur succès, sur cette
unité qu’ils ont su construire dans un terrain qui était par ailleurs très
divisé, très morcelé.”
Jacques Monin : Et sur ce terrain, une
personnalité va émerger, c’est Abou Bakr al-Baghdadi qui règne toujours
d’ailleurs aujourd’hui en maitre sur Daesh. L’autre groupe djihadiste dominant
dans la région, c’est al-Nosra, qui est plus proche d’al-Qaïda.
Matthieu Aron : Et ces groupes qui montent en
puissance, eh bien on les voit dans un premier temps plutôt d’un bon œil chez
les voisins de la Syrie
et notamment en Arabie Saoudite.
Jacques Monin : Oui parce que l’Arabie Saoudite
est sunnite, elle a donc très mal vécu l’arrivée au pouvoir des chiites en Irak
et l’avènement des groupes djihadistes, c’est un peu à ses yeux une manière de
freiner un axe chiite (Liban Syrie, Irak, Iran) qui commence à prendre un peu
trop d’espace à son goût. C’est ce qu’analyse Alain Chouet, un autre ex-patron
du renseignement de la DGSE.
extrait Alain Chouet : “L’Arabie Saoudite essaye de
s’opposer à la création de ce que l’on appelle le croissant chiite au Moyen-Orient
et de maintenir un axe sunnite à travers l’Arabie, la Jordanie et la Turquie. Ces
mouvements salafistes, sunnites, sont le seul moyen actuellement pour l’Arabie
de s’opposer à la création d’un vaste ensemble chiite qui lui serait évidemment
hostile. Il y a aussi l’enjeu pour l’Arabie Saoudite de s’opposer à toutes
possibilités de dérives démocratiques et nationalistes dans les pays arabes.
L’État Islamique l’a dit x fois, la démocratie est une abomination.”
Matthieu Aron : Voilà donc pour le contexte
géopolitique, mais ce qu’il faut préciser c’est que derrière cette toile de
fond, il y a aussi des enjeux économiques absolument considérables.
Jacques Monin : C’est un aspect qui était assez
peu évoqué jusqu’ici mais il y a effectivement en arrière-plan le
pétrole et le gaz, parce que jusqu’ici l’Arabie Saoudite domine la
production de pétrole et le Qatar celle du Gaz. Or ces deux pays apprennent que
l’Iran, leur plus farouche rival, projette de construire un pipeline qui
traverserait l’Irak et la Syrie
pour s’assurer un débouché vers la Méditerranée , alors ça redistribuait totalement
les cartes du marché du pétrole et du gaz, et pour Alain Juillet c’est un des
éléments qui vont pousser ces deux pays à déstabiliser Bachar el-Assad.
extrait Alain Juillet :” L’Arabie Saoudite et le Qatar prennent très mal l’idée d’un pipeline qui pourrait aller depuis l’Iran jusqu’à
Jacques Monin : Et preuve qu’un mouvement se met
en route, le prince qui dirige les services de renseignements saoudiens va
alors voir Vladimir Poutine, chez lui en Russie, pour lui demander de ne plus
soutenir Bachar el-Assad, vous comprenez qu’il sera éconduit sans ménagement.
Matthieu Aron : Avec ou sans l’appui des
Russes, une opération de déstabilisation de Bachar el-Assad est donc lancée
pour des raisons économiques liées à l’acheminement du pétrole, ça on l’a
compris, mais pas uniquement.
[ALERTE ALERTE, un journaliste s’est introduit à France
Inter !!!!]
Jacques Monin : Non, l’Arabie Saoudite
et le Qatar financent aussi les rebelles pour faire tomber le régime laïc de la Syrie et pour y instaurer un
régime islamique extrêmement sévère, explique encore Alain Juillet.
extrait Alain Juillet : “Les opposants religieux,
c’est-à-dire les Frères Musulmans, dont le Qatar est un des support reconnu,
hein, les Frères Musulmans et les saoudiens ne vont pas hésiter à financer des
gens pour réinstaller dans ce pays laïque la vraie religion, la religion vue
par les salafistes en définitive. Et c’est ça qui va se passer, donc on va voir
le Qatar financer des mouvements, Jabhat al-Nosra en particulier, qui est
proche d’al-Qaïda et qui va se battre au niveau religieux, en disant “il faut
imposer l’islam”. Et puis il y a Daesh, là encore au départ c’est un groupement
qui reçoit beaucoup d’argent, de la part, on le sait bien, de la part des
saoudiens et des qataris. Mais qui n’a pas encore pris l’ampleur qu’il a pris,
mais qui démarre.“
[ALERTE ALERTE, deux journalistes se sont introduits à
France Inter !!!!]
Jacques Monin : Oui vous avez donc compris, on
a deux mouvements terroristes principaux, Daesh et al-Nosra, qui sont financés
par le Qatar et par l’Arabie Saoudite, et ça a d’ailleurs encore été relevé
très récemment, c’était en mai 2015 dans un rapport du Congrès américain.
Matthieu Aron : Cela dit, le souci, Jacques
Monin, c’est que ce financement, tout le monde en parle, mais que personne
jusqu’ici n’a réussi à en apporter la preuve.
Jacques Monin : Alors plus ou moins, mais c’est
très difficile parce que les circuits financiers sont compliqués à établir.
Mais Pierre Conesa, qui lui est un ex haut-fonctionnaire du Quai d’Orsay, et
donc un spécialiste de l’islam, croit savoir comment cet argent sort des
comptes des hauts dignitaires du Golfe pour arriver jusqu’aux groupes
djihadistes.
extrait Pierre Conesa : “L’Arabie Saoudite est poreuse,
en terme financier, parce que l’argent public et l’argent privé n’existent
pas, la distinction n’existe pas. Quand il manque de l’argent dans la caisse
publique, c’est le roi qui verse. Et quand il y en a trop, c’est lui qui
ramasse. Et donc toutes les familles des 10 000 princes qui tournent
autour, c’est exactement pareil. Et pourquoi c’est poreux ? Parce que si vous
voulez, l’Arabie Saoudite, c’est une espèce de Disney World de l’islam,
c’est-à-dire que tout est faux. Vous croyez que les gens sont religieux etc.,
en fait c’est une espèce de ghetto dans lequel il n’y a aucun cinéma, aucun
théâtre. Et quand les Saoudiens sortent à l’étranger à ce moment-là ils
s’éclatent, évidemment ils font tout ce qui est interdit là-bas. Et quand ils
reviennent, comme ils se sentent coupables, ils achètent des indulgences. Et
ces indulgences, ils ne disent pas “cet argent doit aller à al-Nosra” ou “il
doit aller à Daesh”. Simplement cet argent va de fait vers ces groupes
islamistes.“
Jacques Monin : Vous avez compris, des
indulgences. C’est en fait de l’argent qu’on donne à des fondations, des ONG
saoudiennes, dont les objectifs sont parfois plus que discutables.
Matthieu Aron : L’Arabie Saoudite et le Qatar
ont donc aidé des groupes djihadistes. Mais au même moment,nous aussi, la France , nous avons aidé des
groupes rebelles.
Jacques Monin : Oui. L’ASL l’Armée Syrienne
Libre, qu’on décrit alors à Paris comme une alternative démocratique possible,
crédible, à Bachar el-Assad. Mais en fait, dès le départ, la France prend fait et cause
pour les rebelles, contre le dictateur syrien. Rappelez-vous “le départ
de Bachar el-Assad ce n’est qu’une question de semaines”, expliquait Laurent
Fabius. Et en août 2012, lors d’un déplacement à la frontière turque.
Le ministre des affaires étrangères français prononce ces phrases désormais
célèbres.
extrait Laurent Fabius : “Les personnes que je viens de
voir, qui sont des Syriens d’un village qui a été bombardé juste de l’autre
côté de la frontière. Euh… Ces témoignages sont absolument bouleversants, j’ai
dit à mes interlocuteurs que quand on entend ça, et je suis conscient de la
force que je suis en train de dire. Monsieur Bachar el-Assad ne méritait pas
d’être sur la Terre.“
Matthieu Aron : “Ne méritait pas d’être sur la Terre.” Les mots
sont terribles et ça justifie, et bien que l’on arme les rebelles.
OB : Je me permets de rappeler que c’est juste totalement
illégal au regard du Droit International, qu’on est censé défendre en tant que
membre permanent du Conseil de Sécurité de l’ONU hein, je dis ça, je dis rien…
Jacques Monin : Effectivement, c’est ce qu’on
pense à ce moment-là. Alors officiellement on livre des gilets
pare-balles, des outils de cryptage pour les communications, des masques contre
les armes chimiques, ou des lunettes de vue nocturnes, mais en fait ce sont
bien des canon 20mm, des mitrailleuses, des lances roquettes et des missiles
anti-char que nous avons livrés à ces groupes.
OB : 90 000 morts à ce jour dans l’armée syrienne et les
milices, à savoir les troufions appelés du contingent et les volontaires comme
vous ou moi… Mais attention, on défend la Démocratie et les Droits de l’Homme (blanc)
Matthieu Aron : Ces armes, officiellement
destinées à l’Armée Syrienne Libre, et pourtant dans les faits, on ne
sait pas trop dans quelles mains elles sont tombées.
OB : Non, on ne sait pas hélas… C’est un mystère absolu…
Jacques Monin : Bah non. On le réalise aujourd’hui. L’ASL ne pesait rien. Ce qu’on appelle les rebelles, c’est une nébuleuse illisible. Certaines de ces armes sont donc effectivement passées dans les mains d’al-Nosra, le groupe proche d’al-Qaïda, et c’est ce qui fait dire à l’ex-patron du renseignement extérieur de
OB : Mais qui, qui, qui, aurait pu s’en douter ?
Robert Baer, l’ancien chef de région de la CIA au Moyen-Orient (dont le
rôle est tenu par Clooney dans le film Syriana) a indiqué ”Les
États-Unis ont été incapables d’identifier le moindre groupe syrien dit «
modéré » lorsque la guerre civile a débuté.” (Source : L’Humanité).
extrait dialogue Alain Juillet et Jacques Monin :
Alain Juillet : Moi je pense qu’il y a eu une faillite
des services de renseignements dans ce domaine. Et ça se comprend, puisqu’une
des premières réactions qu’on a faite, ça a été de couper les ponts, fermer
l’ambassade. Une première réaction c’est de fermer l’ambassade en Syrie et de
ne plus avoir de contact avec les services syriens. Mais dans ce genre de
choses, il faut avoir des contacts en permanence.
Jacques Monin : On a livré des armes aux rebelles
?
Alain Juillet : Bien sûr.
Jacques Monin : La France a livré des armes à al-Qaïda ? A l’État
Islamique ?
Alain Juillet : Les Américains ont livré des armes pour
empêcher la progression de l’armée de Bachar contre Jabhat al-Nosra et Daesh.
Les Américains ont livré des missiles anti-char encore récemment. La question,
c’est qu’on entendait à ce moment-là “Nous soutenons les Syriens libres”. Mais
quand on regarde sur le terrain ce que c’est que les Syriens libres, c’est rien
du tout.
OB : Je rappelle que François Hollande a avoué en
2014…
Matthieu Aron : La France se serait
donc totalement trompée dans son évaluation de la situation. On a
quand même du mal à le comprendre. Comment, au sommet de l’État français, on
ait été aussi mal informé ? Comment on a pu croire que l’ASL pouvait peser face
à ces groupes djihadistes ?
Jacques Monin : Alors, il y a plusieurs aspects
dans cette question. D’abord, pour Pierre Conesa, qui lui connait bien les
rouages du quai d’Orsay. C’est tout l’appareil diplomatique qui s’est laissé
aveugler. C’est donc un système, un fonctionnement, le fonctionnement même du
Ministère des Affaires Étrangères, qui dit-il, est à revoir.
extrait Pierre Conesa : “D’abord il y a eu un axe
diplomatique qui a été dès le début extrêmement insistant sur le thème “notre
ennemi c’est Assad”. À partir de ce moment-là, l’analyse de la crise a
été monologique. Ça allait dans le sens de ce qu’avait décidé
Fabius, et pas en fonction de ce qu’était la réalité du terrain.C’était
“qu’est-ce que dit notre chef ?” et on va effectivement conforter ce que dit
notre chef. C’est-à-dire “c’est Assad, il faut se battre contre Assad”. Et donc
pour ne pas subventionner les groupes islamistes, c’était “on va subventionner
l’ASL”. Mais c’est vrai que c’est une faillite terrible.”
Matthieu Aron : Et cette faillite elle a
peut-être aussi d’autres explications.
Jacques Monin : Oui. Économique par exemple. Là
aussi, l’Arabie Saoudite et le Qatar, ce sont des partenaires
économiques de la France.
Et face à eux la
Syrie ne pèse pas lourd. Alain Chouet, l’ancien
patron du renseignement de la
DGSE , qui s’est rendu plusieurs fois en Syrie, se souvient de
ce qu’on lui répondait au début de la crise lorsqu’il alertait les autorités
françaises sur la réalité de la situation sur le terrain.
extrait Alain Chouet : “La réaction que j’avais en
général, en rentrant de Syrie, où je venais un peu raconter ce que j’avais vu,
ce que j’avais entendu, les messages qu’on avait essayé de me faire passer. La
réaction, une fois, la plus caricaturale, a été “écoute tu ne vas pas nous
embêter avec la Syrie ,
c’est même pas le PNB de la
Slovénie , alors on a mieux à faire avec nos amis Qataris et
Saoudiens !”
OB : j’ai toujours pensé qu’avec la globalisation, on
finirait par payer dans notre chair tout le mal qu’on a fait… – oui, je sais ça
fait Miss France.
Matthieu Aron : Bon, sans commentaire… Et
en plus Jacques Monin, ce n’est pas la première fois qu’on se trompe.
RIP Diplomatie Française, 1958-2007
Jacques Monin : Non. Rappelez-vous, au
moment de l’intervention en Libye. On a commis le même type d’erreur de
jugement. Écoutez ce que raconte à ce sujet Patrick Haimzadeh, qui est un
ancien diplomate à Tripoli [Patrick Haimzadeh a travaillé à l’ambassade de
France à Tripoli durant de nombreuses années. Cet ancien officier de l’Armée de
l’air française est un parfait connaisseur de la Libye ], qui a rencontré
Benoit Collombat. À l’époque, Paris s’engage contre Kadhafi, on s’en souvient.
Mais c’est le Qatar qui tire les ficelles en s’appuyant sur sa chaine
de télévision Al Jazeera.
extrait dialogue Patrick Haimzadeh et Benoit Collombat :
Patrick Haimzadeh : Dès le départ, l’objectif c’était
effectivement de faire sauter Kadhafi. Al Jazeera avait dès le départ
mis en place une cellule de désinformation, en tout cas pour relayer
les paroles de libyens qui étaient en fait dans les studios d’Al Jazeera à Doha
et qui ont évoqué notamment l’histoire des bombardements. Qui a été
centrale, parce que l’histoire des bombardements c’est ce qui a été repris par
Nicolas Sarkozy le 21 février, 4 jours après le début de
l’insurrection, à Bruxelles, pour déclarer la logique de guerre contre Kadhafi. Mais
les bombardements, il n’y en a jamais eu.
Benoit Collombat : Des bombardements de populations civiles
imputés aux kadhafistes ?
Patrick Haimzadeh : oui. Donc ça c’est le premier
volet de l’intervention qatari, c’est l’intervention médiatique. La
deuxième intervention, c’est le soutien à une certaine frange de
l’insurrection, à certains courants islamistes, qui ne sont pas tous maintenant
des gens qui se reconnaissent dans l’État Islamique, mais qui sont des gens qui
ont été soutenus par le Qatar. Des livraisons d’armes, françaises
d’ailleurs, par le Qatar, ça s’est fait.
Benoit Collombat : Est-ce que la France savait, selon vous,
le jeu que jouait le Qatar ?
Patrick Haimzadeh : Bien sûr. On avait des hommes sur le
terrain, on savait très bien. Il fallait que ça aille vite et l’objectif
militaire premier c’était la chute de Kadhafi, donc à ce moment-là personne ne
voulait voir ce qui commençait à se dessiner en Libye.
OB : Énorme, et zou, ça glisse comme rien… Par ailleurs,
pas de souci, la parité a été respectée : si les armes étaient françaises, les
morts étaient bien libyens.
Matthieu Aron : Voilà pour la Libye donc. Retour
maintenant en Syrie. On a un groupe, l’État Islamique, qui monte en
puissance grâce à l’argent des Qataris et des Saoudiens, mais cette
aide va peu à peu s’interrompre.
Jacques Monin : Oui parce que le groupe État
Islamique devient de plus en plus dangereux, il va s’approcher des frontières
saoudiennes, il devient si incontrôlable que ses alliés vont finir par couper
effectivement les ponts avec lui. Et selon Alain Chouet, l’ex patron du
renseignement de la DGSE. A
la mi-2013, les Saoudiens prennent en fait conscience que ces rebelles, les
rebelles qu’ils ont aidés, peuvent se retourner contre eux.
extrait Alain Chouet : “A l’été 2013, le cabinet royal
saoudien a coupé les vivres complètement aux frères d’Égypte, mais aussi aux
mouvements violents qui agissaient aussi bien dans le nord de l’Irak qu’en
Syrie. C’est là qu’apparait d’ailleurs l’État Islamique, parce que jusque-là,
il n’existe pas l’État Islamique. Il y a un État Islamique en Irak, mais il n’y
a pas d’État Islamique en Irak et au Levant. C’est important de le comprendre
parce qu’à partir du moment où l’Arabie et le Qatar coupent les vivres au
mouvement, il est obligé de sortir du bois. Et on le voit sortir du bois, sa
première action, ça a été d’aller piller la banque centrale de Mossoul. Ils
ont raflé 500 millions de dollars en billets et en lingots d’or avec
lesquels ils se sont payé des chefs de tribus du nord de l’Irak. Qui paie,
commande. N’étant plus payé par l’Arabie Saoudite, l’État Islamique échappe à
son créateur et reprend la stratégie classique des Frères Musulmans, qui est de
condamner la famille Saoud. Le monstre a échappé à ses créateurs.“
Matthieu Aron : L’Arabie Saoudite prend
donc conscience qu’elle a enfanté un monstre, et cette analyse, Jacques
Monin, ce n’est pas simplement celle d’anciens patrons du renseignement
français.
OB : telle mère, telle fille…
Jacques Monin : Non. À ce moment-là, même
les plus hauts dignitaires d’Arabie Saoudite reconnaissent qu’ils ont commis
des erreurs. Prenez par exemple le prince et homme d’affaires saoudien
al-Walid Ben Talal. C’est l’un des plus grands investisseurs saoudiens en
France, c’est la vingtième fortune du monde, il possède entre autres le George
V à Paris et plusieurs hôtels de DisneyLand. Eh bien écoutez ce qu’il répond en
octobre 2014 à une journaliste de CNN lorsqu’elle l’interroge sur le sujet.
extrait journaliste de CNN et Al-Walid Ben Talal
journaliste de CNN : Qu’en est-il du financement du
terrorisme par des grandes fortunes saoudiennes ? Est-ce qu’il est autorisé ?
Est-ce qu’on réprime le financement des groupes terroristes quels qu’ils soient
?
Al-Walid Ben Talal : Très honnêtement, je dois
vous dire que oui, on avait une faiblesse de ce côté-là. Malheureusement
quelques éléments extrémistes en Arabie Saoudite ont financé des éléments
extrémistes en Syrie mais l’Arabie Saoudite a pris des mesures très sévères
pour y mettre fin. Et maintenant tout ça c’est terminé.
Matthieu Aron : “C’est terminé.” Explique ce
prince saoudien. Les choses sont peut-être un peu plus complexes.
Jacques Monin : Oui parce que comme souvent, il
y a ce que l’on dit et ce que l’ont fait, ou plutôt en l’occurrence ce que l’on
ne fait pas. Parce que si les Saoudiens ne font plus rien pour aider
le groupe État Islamique, ils ne font plus rien non plus pour lutter contre
lui. Et c’est ce que remarque l’ancien haut-fonctionnaire du quai d’Orsay
Pierre Conesa
extrait Pierre Conesa : “L’Arabie Saoudite ne combat
pas Daesh. En fait ce sont des pays de l’OTAN qui vont battre
Daesh. Il y a 12 pays de l’OTAN, y compris l’Australie, plus 5 pays arabes. En
fait surtout la Jordanie
plus quelques pays du Golfe. Mais en fait quand on regarde la composition des
forces aériennes, on s’aperçoit que l’Arabie Saoudite met autant d’avions que la Hollande et le Danemark
additionnés. Mais par contre elle met 5 fois plus d’avions pour se
battre au Yémen contre les Houthis, c’est-à-dire contre les chiites.
Donc l’Arabie Saoudite fait la même politique que Daesh, c’est-à-dire
la persécution des chiites,mais il n’y a aucune raison de se battre
entre eux. La société saoudienne ne comprendrait pas pourquoi on va essayer de
faire disparaitre une société qui leur ressemble autant, celle-là même qui
décapite, qui crucifie, qui coupe les mains des voleurs, qui opprime les femmes
et qui interdit les autres religions.“
Matthieu Aron : L’Arabie Saoudite ne fait donc
rien pour intervenir véritablement et en coulisse son rôle pourrait
être encore plus trouble ?
Mais qui, qui, qui aurait pu s’en douter ?
« Le rapport [de la Commission
parlementaire que j’ai présidée sur les services de renseignement durant
le 11 septembre] montre la participation directe du gouvernement
saoudien dans le financement du 11 septembre. Nous savons au moins que
plusieurs des 19 kamikazes ont reçu le soutien financier de plusieurs entités
saoudiennes, y compris du gouvernement. Le fait de savoir si les autres ont
aussi été soutenus par l’Arabie saoudite n’est pas clair, car cette information
a été cachée au peuple américain. On nous dit que cela ne peut être fait pour
des raisons de sécurité nationale, mais c’est exactement le contraire. Publier
est important précisément pour notre sécurité nationale.
Les Saoudiens savent ce qu’ils ont fait, ils savent
que nous savons. La vraie question est la manière dont ils interprètent notre
réponse. Pour moi, nous avons montré que quoi qu’ils fassent, il y aurait
impunité. Ils ont donc continué à soutenir Al-Qaïda, puis plus récemment dans
l’appui économique et idéologique à l’État islamique. C’est notre refus de
regarder en face la vérité qui a créé la nouvelle vague d’extrémisme qui a
frappé Paris. » [Sénateur Bob Graham, ancien Président de la Commission du Renseignement
du Sénat américain, Le
Figaro, 02/02/2015]
Jacques Monin : Si l’on en croit des
sources bien informées, comme on dit, l’Arabie Saoudite continuerait
indirectement de financer Daesh en achetant son pétrole au marché noir avec la
complicité de la Turquie. C’est
ce que soutient en tout cas un fin connaisseur du sujet, l’ancien patron d’Elf,
Loïk Le Floch-Prigent, qui a lui-même longtemps travaillé en Irak et en Syrie.
extrait Loïk Le Floch-Prigent et Benoit Collombat
Loïk Le Floch-Prigent : Le pétrole de Daesh ne peut
sortir, ne peut être payé, que par des gens qui sont prêts à le payer et à
étouffer son existence. C’est forcément un mélange de Turcs et de Saoudiens. Il
n’y a pas d’autres solutions. C’est-à-dire que c’est les deux pays qui sont en
contact et qui ont la possibilité de le faire.
Jacques Monin : Qu’est-ce qu’ils en font les Saoudiens de
ce pétrole ? Ils le blanchissent ?
Loïk Le Floch-Prigent : Oh, ils l’utilisent forcément,
ils ne peuvent pas le blanchir. Je vous rappelle qu’un pétrole a un ADN et par
conséquent on sait d’où il vient si jamais il est sur le marché. Si jamais ils
exportaient ce pétrole, ce serait su. Ce pétrole ne vient jamais sur le marché
donc ils l’utilisent, c’est tout. La laverie s’appelle une raffinerie.
Matthieu Aron : Voilà donc pour les
éléments qui jettent le doute sur l’implication du Qatar et de l’Arabie
Saoudite. Et pourtant la France
continue d’entretenir les meilleurs rapports avec ces pays.
Jacques Monin : Rappelez-vous, François Hollande
s’est rendu dans le Golfe, c’était en mai dernier. Il signe avec le Qatar un
contrat qui porte sur la vente de 24 Rafales. Et puis il y a un mois, il y a un
mois à peine, en octobre dernier, Manuel Valls se rend à son tour à Ryad pour
signer des promesses de contrat et voilà d’ailleurs ce qu’il lance devant un
parterre de dignitaires saoudiens.
extrait Manuels Valls : “Avec l’Arabie Saoudite
nous avançons en confiance, nous approfondissons une relation économique que
nous tournons résolument vers l’avenir. Venez investir dans notre pays au cœur
de l’Europe, c’est le moment, plus que jamais.”
Matthieu Aron : À ce stade de votre enquête,
Jacques Monin, ce que l’on peut retenir c’est qu’en Syrie de très nombreux pays
ont joué avec le feu.
Jacques Monin : Les États-Unis qui ont
déstabilisé l’Irak, les pays du Golfe qui ont financé des mouvements
djihadistes, la France
qui a joué les rebelles contre le pouvoir syrien sans voir qui elle avait
véritablement en face d’elle et la
Turquie qui laisse prospérer les trafics sur son territoire. Bref,
pour Hocham Daoud qui est anthropologue au CNRS, les responsabilités sont
multiples.
extrait Hocham Daoud : “Tout le monde a joué avec Daesh.
Tout le monde voulait jouer à travers Daesh pour s’imposer. En fait, on a créé
Frankenstein, aujourd’hui tout le monde essaye de trouver un moyen pour
l’arrêter. Oui il y a des moyens, on peut avoir des forces de coordination pour
venir à bout de Daesh s’il y a une volonté politique.”
Matthieu Aron : Une réponse politique, sans
doute, mais en attendant c’est une réponse militaire qui est apportée.
Jacques Monin : C’est d’abord un signe adressé à
l’opinion française, c’est un signe de fermeté et de détermination. Mais sur le
terrain l’efficacité des frappes est limitée et rien ne dit d’ailleurs qu’elles
n’auront pas des effets pervers. Écoutez ce que pense à ce sujet, l’ancien
colonel de marine Michel Goya, toujours interrogé par Benoit Collombat.
extrait Michel Goya et Benoit Collombat :
Michel Goya : Vous savez, les frappes françaises c’est 3
% du total de toutes les frappes de la coalition qui n’a pas détruit l’État
Islamique. Des 200 et quelques frappes que nous avons réalisées, en réalité
c’est un petit coup porté à l’État Islamique, donc on peut imaginer d’augmenter
les doses je dirais, mais fondamentalement ça ne va pas changer grand-chose.
Benoit Collombat : Et est-ce que ça n’alimente pas le
terrorisme encore un peu plus ?
Michel Goya : Oui, cette campagne de frappes
c’est un sergent recruteur remarquable pour l’État I’Islamique. La
campagne aérienne, la coalition dans son ensemble a peut-être tué 400 civils. Donc
tout ça, ça alimente globalement le ressentiment sur place, ça alimente
l’idée que ce sont toujours les arabes sunnites qui se prennent des bombes
dessus. Le bilan de la coalition, on a tué 10 000 combattants, c’est
un chiffre invérifiable en réalité. 10 000 combattants mais elle en a recruté
aussi un certain nombre.
Matthieu Aron : Voilà, c’est ce que l’on appelle
un cercle infernal, mais comment faire autrement ? Aucune solution simple ne
semble, au moins à court terme, se dégager. Reste l’autre question,
qu’il est peut-être aussi temps de poser. C’est celle de nos alliances, avec
Jacques Monin, notamment le Qatar et l’Arabie Saoudite.
Jacques Monin : Oui, peut-on adopter une
posture morale lorsqu’il s’agit de Damas et fermer les yeux sur ce que font
Doha et Riyad ? Comment peut-on être crédible si l’on fait du
commerce avec des pays qui soutiennent que l’on dénonce par ailleurs. Là-dessus
le spécialiste du renseignement Alain Chouet est catégorique.
extrait Alain Chouet : “On ne pourra pas continuer
éternellement dans une politique schizophrène qui consiste à
vouloir imposer la démocratie dans certains pays en maintenant une alliance
entre nos démocraties et la démocratie qui est la plus grande du monde, et les
états théocratiques les plus réactionnaires de la région. On a fermé
les yeux sur l’idéologie prônée par ces pays, parce qu’on ne la voyait pas,
parce qu’on n’en voyait pas les effets. On n’en mesurait pas les effets parce
que rien ne se passait chez nous, ou s’il se passait des choses on ne les
voyait pas, eh bien maintenant on les voit.“
Jacques Monin : Oui alors question. La France va-t-elle
évoluer de ce côté-là ? Rien n’est moins sûr, pour l’instant Matignon affiche
un embarras prudent et préfère insister sur l’évolution de ses alliés, plutôt
que sur ses turpitudes.
Matthieu Aron : Merci Jacques Monin pour cette
enquête réalisée en collaboration avec Benoit Collombat. Enquête à retrouver
sur notre site internet franceinter.fr et
la page
Facebook de Secret d’Infos.
Source : France Inter, Matthieu Aron, 20/11/2015
(merci de signaler les coquilles…)