lundi 30 octobre 2017

Henda Ayari accuse Tariq Ramadan : « Plus je lui résistais, plus il me tapait. J’ai cru que j’allais mourir. »



Henda Ayari accuse Tariq Ramadan : « Plus je lui résistais, plus il me tapait. J’ai cru que j’allais mourir. »
©Getty
Depuis que le 20 octobre dernier sur sa page Facebook, elle a accusé de viol le célèbre islamologue Tariq Ramadan puis porté plainte en justice contre lui, Henda Ayari n’avait pas accordé d’interview. La jeune femme, ex salafiste devenue militante féministe et laïque, a accepté de parler à ELLE. Alors que Tariq Ramadan, visé désormais par une deuxième plainte pour viol déposée par une autre femme, a opposé un « démenti formel à ces allégations » et se dit, par la voix de son avocat, « victime de dénonciation calomnieuse », Henda Ayari veut dire sa vérité. Et nous livre un témoignage glaçant. 
ELLE. Pourquoi n’avoir pas porté plainte avant ? 
Henda Ayari. Parce que j’avais peur. Quelques jours après que Tariq Ramadan m’eut violée, je l’ai contacté par téléphone pour lui dire que son comportement violent était inacceptable, que j’en étais choquée et bouleversée. Il m’a interdit de parler de lui à qui que ce soit et m’a menacée  en me disant : « Henda, je sais tout de toi. Fais attention, je ne suis pas seul, j’ai beaucoup de gens autour de moi qui me soutiennent. Tu ne voudrais pas qu’il t’arrive malheur ni à tes enfants ? » J’étais hors de moi mais ses menaces m’ont terrifiée. J’en ai cependant,  à l’époque, parlé à quelques proches.  Je n’ai pas révélé son nom dans mon livre*, dans le chapitre où je raconte le viol que j’ai subi, pour me protéger et protéger mes enfants.  Des années après, j’étais encore terrorisée par les menaces qu’il m’avait faites. Je ne voulais pas non plus risquer un procès en diffamation, il est si connu et puissant. 
« IL S’EST LEVÉ, EST ALLÉ SE DOUCHER. IL A POSÉ UN BILLET DE 50 EUROS SUR MON SAC. »
ELLE. Entreteniez-vous une liaison avec Tariq Ramadan ? 
Henda Ayari. Non. Je ne l’ai vu qu’une seule fois. Je l’ai contacté, comme tant d’autre hommes ou femmes le font  parce qu’il est considéré comme un religieux érudit, un grand penseur musulman. Je commençais à quitter la doctrine salafiste, je me posais de nombreuses questions sur la religion, je cherchais des réponses.  J’étais aussi, comme tant d’autres femmes, séduite par l’homme, très charismatique. Nous avons convenu de diner ensemble à son hôtel après une de ses conférences. Mais, en arrivant à l’hôtel, il m’a demandé de monter directement dans sa chambre. Il m’a ouvert la porte, m’a proposé des pâtisseries orientales. Au bout de deux ou trois minutes, il m’a embrassée. J’étais sidérée. Je lui ai dit : « Cela va trop vite ». J’ai voulu me dégager. Il est devenu violent. Plus je lui résistais, plus il me tapait. J’ai cru que j’allais mourir. Il m’a violée. Je suis restée tétanisée dans un coin de la chambre. Je me sentais trahie et salie par un homme qui a une aura et une autorité religieuses. Il s’est levé, est allé se doucher. Il a posé un billet de 50 euros sur mon sac. J’ai eu la force de lui dire que je n’étais pas une prostituée… Il m’a interdit de dire un mot de ce qui s’était passé sinon je ne le reverrais plus jamais. J’étais sous son emprise, comme ensorcelée. Je culpabilisais, je me disais que c’était de ma faute, que j’étais venue à son rendez-vous… Je pensais aussi que l’on ne me croirait jamais, que ma parole ne faisait pas le poids face à la sienne, il manie si bien le verbe, il est si connu, invité sur tous les plateaux télé, vénéré comme un sage, considéré comme un grand intellectuel musulman bien sous tout rapports. Je ne pouvais plus apporter de preuves, médico-légales de cette violente agression, je me disais que cela ne servirait à rien de porter plainte... Je me sentais isolée, j’étais comme toutes les victimes de viol, traumatisée et culpabilisée à la fois. J’avais honte et peur. 
ELLE. Dans « J’ai choisi d’être libre », votre livre  paru en 2016, vous avez raconté avoir été violée par un homme que vous désignez sous le pseudonyme de « Zoubeyr ». Vous n’osiez pas à l’époque, dites vous, révéler le nom de Tariq Ramadan. Celui-ci a t-il cependant réagi lorsque votre livre est sorti ? 
Henda Ayari. Non, pas directement. Mais, à la sortie de mon livre,  il m’a immédiatement bloquée sur les réseaux sociaux. Des gens, anonymes, m’ont contactée me demandant qui était la personne dont je parlais dans ces pages. On m’a proposé de l’argent pour que je révèle la véritable identité de mon agresseur. Je n’ai bien sûr pas accepté. Je me suis demandée si ce n’était pas un piège que Tariq Ramadan, via certains de ses supporters, me tendait. 
« QUAND J’AI VU LE COURAGE QU’ELLES AVAIENT DE PARLER, JE NE POUVAIS PLUS ME TAIRE. J’AVAIS BESOIN DE DIRE MOI AUSSI QUI ÉTAIT "MON PORC". »
ELLE. Vous n’avez pas porté plainte en 2012, persuadée qu’on ne croirait pas votre parole contre la sienne. Pourquoi serait-ce différent aujourd’hui ? 
Henda Ayari. Cela fait des années que j’avais envie de le dénoncer, que je portais ce poids, mais je n’y arrivais pas. Quand j’ai vu que la parole de tant de femmes, actrices célèbres, mais aussi de tant d’autres femmes victimes anonymes, se libérait sur les réseaux sociaux à travers le hashtag #balancetonporc, quand j’ai vu le courage qu’elles avaient de parler, je ne pouvais plus me taire. J’avais besoin de dire moi aussi qui était « mon porc ». Je ne vous le cache pas, juste après que j’ai publié mon post sur Facebook où j’ai révélé son nom, je tremblais, j’étais saisie par l’angoisse. Je me suis dit « Qu’as tu fait ? » Mais, tout au fond de moi, j’ai su très vite que j’avais fait ce que je devais faire.  J’ai senti  à quel point la parole était libératrice, puissante. C’est d’ailleurs dans ce sens que j’ai créé en 2015 l’association « Libératrices » ** et qui, je le déplore, n’a jamais reçu aucun soutien de la part de l’état français.  Avec mes avocats, Jonas Haddad et Grégoire Leclerc, nous avons livré à la justice, lors de mon audition mardi 24 octobre, les éléments dont nous disposons. La justice a déclenché, sur ces bases, une enquête préliminaire pour « viol, agression sexuelles, violences volontaires et menaces de mort ». Peut-être que d’autres femmes qui ont vécu avec lui la même chose que moi, ont des preuves contre lui. J’ai confiance en la justice et dans les enquêteurs qui travaillent sur cette affaire. 
ELLE. Avez-vous, depuis que vous avez publiquement mis en cause Tariq Ramadan, reçu des menaces ?
Henda Ayari. Oui. Des coups de fil anonymes sur mon portable, des messages de haine sur les réseaux sociaux tels que « Espèce de vendue, tu n’es qu’une pute, on va t’égorger, tu vas cramer en enfer » ou « Tu es payée par les juifs pour mentir» ou encore « Tu fais ça pour te faire de la pub, pour vendre ton livre ». Des inconnus ont même sonné à ma porte. Comment connaissent-ils mon adresse ? L’homme que j’accuse a une armée de groupies aveuglés, hommes et femmes, derrière lui. Ils le vénèrent comme un demi-Dieu et sont prêts à tout pour lui. Il les manipule, entretient un culte de la personnalité à la façon des pervers-narcissiques.  Mais j’ai aussi reçu tant de messages de soutien, de réconfort, de la part de femmes et d’hommes bienveillants. C’est grâce à elles, à eux que je tiens le coup face à la virulence des attaques et des menaces contre moi de la part des soutiens de Tariq Ramadan. 
ELLE. Une autre femme a porté plainte contre Tariq Ramadan, vendredi 27 octobre, pour des faits similaires à ceux dont vous l’accusez.  Parmi celles qui vous ont contactée après vos révélations et votre dépôt de plainte, certaines le mettent-elles aussi en cause ? 
Henda Ayari. Oui, une dizaine de femmes m’ont raconté  avoir été victimes de sa part de la même violence. Beaucoup d’entre elles ont peur de parler et de porter plainte parce qu’elles craignent des représailles. Parce qu’elles ont honte aussi, tant le viol est un tabou dans notre communauté et notre religion … Toutes celles qui m’ont dit avoir été victimes d’agression sexuelle de sa part décrivent un homme violent, haineux, qui ne se contrôle pas, qui veut qu’on l’appelle « Maître ». C’est ainsi qu’il voulait que je m’adresse à lui. Elles le voient aussi comme un imposteur.    
ELLE. Pourquoi, un « imposteur » ?
Henda Ayari. Parce qu’on ne s’attend pas à ce qu’un homme qui est une référence religieuse puisse avoir un tel comportement envers des femmes. Je suis musulmane et je ne renie en aucun cas ma religion. Je suis pour un Islam de paix, de tolérance. Et un Islam qui respecte les femmes. Je suis contre les islamistes qui se servent de la religion à leurs fins personnelles, qui l’instrumentalisent pour des intérêts politiques, financiers ou sexuels. Je veux dénoncer le double-discours de ces religieux et intellectuels musulmans, ces imposteurs qui, à l’image de mon agresseur, prétendent respecter les femmes mais les traitent en réalité de façon horrible et usent des pires violences contre elles. Beaucoup de musulmans m’insultent parce que j’ai mis en cause Tariq Ramadan. Mais je n’ai jamais stigmatisé en particulier cette religion, je ne dis pas que la violence envers les femmes n’existe pas parmi les pratiquants catholiques, juifs, protestants ou chez les athées ! Cette violence existe aussi chez les musulmans, comme dans tous les milieux. Pourquoi ne faudrait il pas en parler ? 
ELLE. Dans quel état d’esprit êtes-vous désormais ?
Henda Ayari. Depuis que j’ai surmonté ma peur en désignant publiquement mon agresseur, aussi célèbre, aussi puissant soit-il, je suis déterminée à dénoncer l’hypocrisie, la sienne et celle de tant d’autres. Je ne suis pas fière, j’ai fait une erreur en lui faisant confiance en me rendant à son rendez-vous, mais je veux sortir de la victimisation.  Les risques que j’ai pris en l’accusant  et en déposant plainte contre lui  je ne les prends pas pour moi mais pour toutes  les femmes musulmanes. A elles aussi de bouger. D’aller au delà de leur peur, du tabou, pour que leurs souffrances soient reconnues quand elles sont agressées sexuellement.

* « J’ai choisi d’être libre » Edition Flammarion
source : http://www.elle.fr/Societe/News/Henda-Hayari-accuse-Tariq-Ramadan-Plus-je-lui-resistais-plus-il-me-tapait-J-ai-cru-que-j-allais-mourir-3568448