vendredi 3 novembre 2017

Tariq Ramadan : Tartuffe, le fanatisme et la haine des femmes ! Par Valérie Toranian

Le scandale du monde est ce qui fait l’offense, Et ce n’est pas pécher que pécher en silence », fait dire Molière à son Tartuffe
Molière au XVIIe siècle moquait les faux dévots, les hypocrites, hommes de grande « morale » et de petite vertu. À la fin de la pièce, l’imposteur était démasqué par une femme, celle qu’il tentait de posséder.
« Le Tartuffe en chef de la confrérie des dévots a cru qu’il prêcherait et pécherait tranquillement “en silence”. »
C’est ce qui vient d’arriver à Tariq Ramadan. Le Tartuffe en chef de la confrérie des dévots, grande figure des Frères musulmans, invité de marque des congrès de l’Union des Organisations Islamiques de France, a cru qu’il prêcherait et pécherait tranquillement « en silence », sûr de la discrétion de ses victimes qui n’oseraient pas l’attaquer en justice. L’omerta vient d’être brisée.
Deux femmes (mais d’autres pourraient suivre) ont eu le courage de se tourner vers la justice. La première, Henda Ayari, ancienne salafiste devenue militante féministe et laïque, a déposé plainte contre l’islamologue suisse, pour « viol, agressions sexuelles, violences volontaires, harcèlement, intimidation ». Dans son livre J’ai choisi d’être libre, paru en novembre 2016 chez Flammarion, elle avait décrit l’emprise qui fut la sienne pendant ses années salafistes, son combat pour sortir du radicalisme et parlait de son viol, par celui qu’elle appelait « Zoubeyr » par peur de représailles. L’affaire Weinstein et les plaintes déposées par ses victimes lui ont donné le courage de donner son vrai nom.
« Son récit, à la violence inouïe, est glaçant. »
Une nouvelle plainte a été déposée, le vendredi 27 octobre, par une femme de 45 ans qui souhaite rester anonyme. Son témoignage concerne des faits qui auraient eu lieu en 2009, donc non prescrits. Son récit, à la violence inouïe, est glaçant. « Tariq Ramadan m’a donné rendez-vous au bar de l’hôtel Hilton de Lyon, où il était descendu pour une conférence », raconte cette Française convertie à l’islam qui correspondait avec l’islamologue depuis plusieurs mois, recherchant ses conseils. « Il s’est jeté sur moi en disant : “Toi, tu m’as fait attendre, tu vas prendre cher !” » Suivent alors, selon ses déclarations, des gifles au visage, aux bras, aux seins et des coups de poing dans le ventre. Fellation et sodomie imposées de force, nouveaux coups, nouveau viol.
« J’ai hurlé de douleur en criant stop ! », dit-elle. Puis, selon son témoignage, Tariq Ramadan la viole à nouveau, avec un objet cette fois. « Plus je hurlais et plus il tapait », raconte-t-elle. La plaignante fournit par ailleurs, à l’appui de son témoignage, des certificats médicaux établis à l’époque des faits.
« Les soutiens de Tariq Ramadan, eux, ne sont pas sereins puisqu’ils se déchaînent sur les réseaux sociaux contre Henda Ayari. »
L’homme aux deux millions d’abonnés sur Facebook va-t-il se retirer dans le silence et « se faire soigner » comme Harvey Weinstein ? Pas dans l’immédiat en tout cas. Le petit-fils de Hassan El-Banna, fondateur des Frères musulmans en Égypte, a porté plainte pour dénonciation calomnieuse. « Je suis depuis plusieurs jours la cible d’une campagne de calomnies, qui fédère assez limpidement mes ennemis de toujours », écrit-il sur son compte Facebook : « le droit doit maintenant parler, nous nous attendons à un long et âpre combat. Je suis serein et déterminé ».
Ses soutiens, eux, ne sont pas sereins puisqu’ils se déchaînent sur les réseaux sociaux contre Henda Ayari évoquant, pour certains, un délirant complot judéo-sioniste.
Tariq Ramadan prêche la bonne parole, le respect des lois coraniques, le mariage et la pureté des mœurs depuis plus de vingt ans. Médiatisé dans les années 2000 après sa demande de « moratoire » sur la lapidation des femmes (comme si on pouvait discuter du bien-fondé de la lapidation !), Tariq Ramadan avait eu en travers de sa route quelques intellectuels outrés et des féministes laïques dénonçant sa duplicité.
« Double jeu. Et désormais, c’est public, double vie. »
C’est le cas depuis toujours de l’essayiste Caroline Fourest, auteure de Frère Tariq paru en 2004 chez Grasset, où elle pointait le double langage permanent du prêcheur : habile face aux politiques et dans le débat télévisé, jouant sur les mots, condamnant sans condamner… et beaucoup plus virulent et rigoriste dans ses conférences, surtout en langue arabe. Double jeu. Et désormais, c’est public, double vie.
Caroline Fourest connaissait les agissements de Tariq Ramadan depuis 2009, explique-t-elle sur son blog et dans Marianne, mais « je n’ai pas pu l’écrire. Les faits les plus graves ne pouvaient être révélés sans preuves solides, sans qu’une victime porte plainte. (…) Je souriais en écoutant ses sermons puritains sur la tentation et le devoir de chasteté. Comme cette cassette sur “les grands péchésˮ, où il s’emporte contre les hommes osant se baigner dans des piscines mixtes… »
« Vous avez une conception très moraliste de la sexualité et je suppose que vous vous l’appliquez à vous-même », avait lancé Caroline Fourest lors du débat qui l’opposait à Tariq Ramadan, le 16 novembre 2009 sur le plateau de « Ce soir (ou jamais !) », l’émission de Frédéric Taddeï, sur France 3. Le prédicateur n’en avait eu cure. Incapable d’imaginer que les femmes qu’il violentait le terrasseraient un jour.
« Pour Tariq Ramadan et ses congénères, la femme est le démon tentateur qui incite l’homme à la débauche. »
Le Tartuffe est démasqué, le dévot serait un violeur. Pas un violeur « banal ». Le détenteur de la chaire d’études islamiques contemporaines, financée par le Qatar, à Oxford. Le prédicateur charismatique qui expliquait aux femmes l’importance de leur pureté et de leur vertu. Un dogme de pureté que l’islamiste ne s’applique pas à lui-même. Car dans le discours intégriste, la femme est toujours responsable de la tentation. C’est pour cette raison qu’elle doit se cacher et se couvrir. Pour Tariq Ramadan et ses congénères, la femme est le démon tentateur qui incite l’homme à la débauche. En se couvrant, elle reconnaît qu’elle est la source de la tentation et qu’elle doit faire attention à ne pas susciter le désir.
Dans sa logique intégriste, Tariq Ramadan considère certainement qu’une femme qui le suit dans sa chambre, à sa demande, pour parler des versets du Coran, sait bien, « dans le fond », qu’elle n’est pas à sa place. Qu’elle n’aurait jamais dû accepter de le suivre (c’est d’ailleurs ce que disent certains de ses soutiens sur les réseaux sociaux). Il appâte, il teste, il piège, puis il traite la femme « comme elle le mérite » puisqu’elle a transgressé la loi de soumission et d’invisibilité censée être la sienne ? Il peut exprimer sa haine et se défouler ?
En admettant que les faits soient avérés, Tariq Ramadan se sent-il même coupable ? Au-delà des accusations graves portées contre Tariq Ramadan, écoutons plus simplement le discours que les islamistes adressent à leurs ouailles : se sentent-ils gênés dans leurs prêches d’opérer une différenciation entre les femmes vertueuses et les autres ? Sûrement pas, c’est même l’un des fondements de l’islam politique, porté avec orgueil par les femmes islamistes elles-mêmes.
« Ce qui est à l’œuvre dans les sévices subis par les femmes, relève d’une violence patriarcale et misogyne longtemps (et encore) impunie : elle n’a épargné dans l’histoire aucune religion aucune culture, sous aucune latitude. »
Nous savons bien que la majorité des violeurs et agresseurs sexuels n’a pas besoin d’une quelconque incitation fanatique religieuse pour passer à l’acte. Ce qui est à l’œuvre dans les sévices subis par les femmes, relève d’une violence patriarcale et misogyne longtemps (et encore) impunie : elle n’a épargné dans l’histoire aucune religion aucune culture, sous aucune latitude.
Mais le nouveau discours sur la vertu des filles, valorisé et glamourisé par exemple par la mode « pudique », est la fable moderne du discours de normalisation de la femme bien. À force d’entendre que les filles convenables ne serrent pas la main des hommes, ne les regardent pas dans les yeux, ne leur parlent pas en privé, couvrent leurs bras, leurs cheveux et leurs jambes, on en vient petit à petit à penser que toute femme qui transgresse cette norme se met en dehors de la communauté des femmes respectables.
De là à penser qu’une fille qui vous suit dans une chambre est forcément une fille à violer… Le très pieux Tariq Ramadan, lui, semblerait avoir allègrement franchi le pas.

source : Revue des deux mondes