vendredi 17 octobre 2014

Montpellier : elles se jouent du cancer à la salle d’escrime

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L’escrime permet de travailler la mobilité du bras, de l’épaule et du buste.
L’escrime permet de travailler la mobilité du bras, de l’épaule et du buste. (BRUNO CAMPELS)
Elles ont été opérées du sein, sont en chimiothérapie ou sous radiothérapie. À Montpellier, elles soignent le corps et la tête.
"Moi qui rêvais devant les films de cape et d’épée, je n’aurais imaginé ça..." Isabelle est venue à l’escrime par hasard, elle ne dira pas par chance. Il y a six mois, elle était opérée d’un cancer du sein à l’ICM (ex-Val d’Aurelle). Ce vendredi matin, elle aligne les fentes avant et manie le bâton avant de s’emparer d’un sabre allégé, une fois revêtus les masque et cuirasse réglementaires. Geneviève a, elle aussi, été opérée en septembre dernier. Pour Isabelle, c’était en mars. Flora est là entre deux séances de chimiothérapie.
Entraînement deux fois par semaine
Depuis le mois dernier, elles se retrouvent deux fois par semaine pour deux heures d’entraînement à la salle d’escrime de Montpellier. Volontaires pour un programme de rééducation expérimental, testé depuis deux ans à Toulouse, lancé à Montpellier grâce à la ténacité d’Anne-Gaëlle Bresson, à la faculté des sports.
Étudiante en master de réhabilitation par l’activité physique adaptée, la jeune femme a monté un programme destiné à restaurer la mobilité du bras, de l’épaule et du buste des femmes opérées d’un cancer du sein, à partir de la gestuelle de l’escrime. Grâce à la mobilisation de plusieurs partenaires (*) , les élèves n’ont rien à payer.
Yves Barthélémy, maître d’armes : "C’est un bonheur de travailler avec elles"
Yves Barthélémy, un des deux maîtres d’armes du Muc escrime, 300 licenciés, s’enthousiasme pour le projet qui l’oblige à revisiter les cours habituellement dispensés. Il a relevé le défi d’une "escrime à but thérapeutique sans appréhension", "au contraire". Pour plus d’efficacité, il a remplacé le fleuret par le sabre. Il est "persuadé" de l’intérêt de ces leçons particulières.
"Des membres de ma famille ont eu un cancer, je viens de perdre une nièce des suites de la maladie... Je crois que quand on se sent bien, on guérit mieux. Ici, on parle souvent de la maladie, mais on a aussi déjà arrêté le cours à cause d’un fou rire. C’est un bonheur de travailler avec elles. Elles ont envie de s’en sortir, elles s’accrochent", rapporte ce professeur expérimenté.
Amélioration de 20 % des capacités physiques
À Toulouse, les premiers résultats montrent une amélioration de 20 % des capacités physiques des femmes entraînées, rappelle Anne-Gaëlle Bresson, qui n’a aucun mal à motiver ses élèves. Très peu d’absentéisme, hormis pour raison médicale. "Quand on part de là, on est en forme", glisse Geneviève, belle et grande femme de 49 ans, fonctionnaire en arrêt maladie, lassée de ruminer ses idées noires chez elle : "C’est original, ça nous sort de chez nous."
Sans compter qu’elle témoigne de résultats déjà probants, alors qu’elle s’échauffe pour sa huitième séance d’escrime : "Je n’osais plus utiliser mon bras comme avant, je sens que je retrouve de la mobilité." "Ça redevient naturel", enchaîne Chantal qui se sent "moins seule" depuis que les cours ont commencé. "Quand je suis là, j’oublie tout, je ne pense à rien. Je pars fatiguée, une bonne fatigue physique. Et je dors beaucoup mieux le soir."
"Tout le monde se pose les mêmes questions sans réponse"
Isabelle a le sentiment de refaire fonctionner son cerveau et sa mémoire, anesthésiés par les chimiothérapies. Chantal rappelle combien elle apprécie de retrouver chez les autres le miroir que lui renvoie la maladie : "Au début, je cogitais beaucoup. Pourquoi moi ? En fait, tout le monde se pose les mêmes questions sans réponse, les médecins n’en savent pas plus." Elles qui ne se connaissaient pas, prennent simplement plaisir à se retrouver, "ça crée des liens". Avec une nouvelle arme tranchante pour combattre le cancer.
SOPHIE GUIRAUD
source : Midi Libre