samedi 22 novembre 2014
LE VIN , C'EST DIVIN :L'Islam n'a pas interdit l'alcool, mais l'ivresse !
LE VIN , C'EST DIVIN :L'Islam n'a pas interdit l'alcool, mais l'ivresse !
Le problème de notre religion, aujourd’hui plus que jamais, C’est qu’on l’appréhende avec autre chose que nos propres yeux. Pour certains, c’est avec les yeux de nos ancêtres et pour d’autres, avec les yeux des juifs et des chrétiens; et d’autres encore, avec ceux d’athées. Dans tous les cas, on ne fournit pas l’effort de l’objectivité en adoptant une attitude qui soit neutre, examinant l’islam en lui-même, d’une manière scientifique.
C’est pourtant ce que recommande et commande notre religion. Si cela était fait, l’islam ne serait plus ce qu’il est aujourd’hui : au mieux un simple culte; au pire, une caricature qui est l’œuvre aussi bien de ceux qui l’attaquent que de ceux qui croient le défendre. Aussi, l’on ne peut que se demander où est donc passée la culture islamique qui a fondé une civilisation universelle.
Heureusement, des voix libres et des consciences pures commencent à dire tout haut ce que les vrais savants de l’islam pensent tout bas. Nous ne citerons ici que l’un d’eux, cheikh Moustapha Rached, docteur égyptien d’AlAzhar (1).
Revenir à l’islam populaire
Ce que je tente depuis quelque temps est cette approche scientifique à laquelle j’appelle, que tout croyant honnête ne peut que vouloir aussi. C’est ce que je poursuivrai dans le présent article.
J’y soutiendrai l’affirmation véridique formulée en titre et qui en étonnera certainement — bien à tort — plus d’un : l’islam ne condamne pas la boisson enivrante, alcool et vin en tant que tels ; c’est l’ivresse qu’il réprouve et ses effets. Il ne s’agit même que de condamnation relative, relevant de la catégorie de ce qu’il est conseillé d’éviter. Pour tout croyant consciencieux, étudiant correctement le Coran et la Sunna en se libérant du conditionnement opéré par les jurisconsultes tant anciens que modernes, c’est la stricte vérité.
Nous en donnerons ici la preuve textuelle en commentant les versets du Coran relatifs à la question ainsi que la tradition prophétique. En précisant l’origine de l’erreur grave qui colonise les esprits des musulmans depuis des siècles, nous en profiterons pour donner scientifiquement la conception authentique du péché en islam qu’il est temps aux musulmans de redécouvrir et de réactiver dans leur théorisation de la religion. Je dis théorisation, car dans la pratique et sans que le croyant s’en rende compte, cette conception est bien mise en oeuvre, ce qui explique le décalage qui a toujours existé entre l’islam populaire et l’islam institué ou institutionnel.
C’est d’ailleurs une telle conception qui fait que l’islam populaire a toujours été, conformément à l’esprit d’origine de l’islam, parfaitement tolérant et ouvert à l’altérité. Il est temps qu’il le redevienne !
L’interdiction est une création des jurisconsultes
Disons, pour commencer, que s’il y a une interdiction qui a prévalu en islam jusqu’à nos jours relativement à tout ce qui est alcool, qu’il soit vin ou autre produit alcoolisé, c’est le fait de la jurisprudence.
Or, cette exégèse obéissait aux lois de son époque et ne peut durer éternellement, l’éternité étant le propre des préceptes coraniques et non des interprétations humaines qui peuvent et doivent varier selon leur temps pour rester en harmonie avec les exigences en évolution des humains et de leurs sociétés.
Pourtant, les musulmans se sont contentés de se reposer sur le travail d’interprétation de leurs devanciers et n’ont plus cherché à interpréter les textes sacrés pour en adapter la compréhension à leur époque. Cela est bien évidemment contraire à la lettre et à l’esprit de l’islam qui appelle à l’effort continuel. C’est pour cela que l’islam, selon un dire du prophète bien connu, demeure en évolution constante, devant être renouvelé chaque début de siècle.
Comment cela serait-il donc possible sans que les fidèles reviennent au Coran et à la Tradition de leur prophète pour les relire et les réinterpréter au vu non seulement du texte et sa forme, non seulement au vu de la société et sa morale à un moment donné de l’histoire, mais aussi et surtout de l’esprit et des visées de la loi religieuse et de la mentalité qui évolue des humains en leur communauté restreinte comme universelle, l’islam étant ouvert par définition à l’altérité et à tous les acquis de l’humanité.
L’islam respecte les libertés humaines
Car l’islam est fondamentalement libéral. Ainsi, après avoir démontré qu’il n’est aucune interdiction en islam de l’apostasie et de l’homosexualité (2), nous démontrons dans cet article que l’alcool et le vin, toute boisson enivrante n’est pas interdite en islam, car ce n’est que l’ivresse qui l’est. Aussi, nous pensons que le musulman qui boit du vin et ne s’enivre pas le fait sans pécher nullement; surtout, il lui faut veiller particulièrement à ne pas faire ses prières en étant ivre. Je dirais même : en ne touchant pas à l’alcool, par sécurité et respect total pour la prière.
Au fond, ne vaut-il pas mieux un tel musulman qui boit une boisson enivrante et qui s’applique à ne pas verser dans l’excès en sachant qu’ainsi il ne pèche pas que les musulmans que nous voyons chez nous abuser de l’alcool avec le sentiment de pécher, et pour cela ne se retenant plus de s’enivrer ?
En levant le tabou de l’interdiction, nous aurons des musulmans responsables veillant, s’ils ne peuvent se retenir de boire de l’alcool, à véritablement respecter leur religion en n’allant pas jusqu’à l’état d’ivresse. C’est la mesure qu’ils apprendront; or, tout est dans la mesure !
Une telle tempérance, d’ailleurs, n’est-ce pas la juste façon de boire, que cela soit de l’alcool ou de toute autre boisson ? C’est assurément la règle d’or en matière d’alimentation et de vie. C’est à la mesure et à la tempérance que l’on reconnaît normalement le vrai musulman, cet être libre et libéré de toute soumission, sauf à son créateur avec lequel il a un rapport direct.
Pour cela, il ne doit pas y avoir d’interdiction en des matières relevant de l’ordre de la vie privée où c’est le libre arbitre qui est seul en mesure de prouver notre foi et sa sincérité. Or, on sait que les hypocrites ne manquent pas et n’ont jamais manqué en islam, et ce depuis le début. C’est d’ailleurs à l’amenuisement au maximum de cette part du diable, inévitable dans la psychologie humaine, que l’islam fait de l’effort maximal, le Jihad Akbar, le seul jihad digne de ce nom en islam. Tout le reste n’est qu’enfantillage et fausse foi depuis la naissance de l’État de l’islam.
Les textes coraniques sur l’alcool
Citons à présent les textes du Coran relatifs à la boisson enivrante. Nous les reproduisons dans la traduction d’une dame qui a su s’imposer aux musulmans grâce à son érudition et dont nombre de machistes cherchent toujours à occulter le sexe en se limitant, consciemment ou inconsciemment, à ne mentionner que l’initiale de son prénom : Denise Masson.
Il s’agit des versets suivants :
البقرة 219 : «يسألونك عن الخمر والميسر قل فيهما أثم كبير ومنافع للناس وإثمهما أكبر من نفعهما».
La vache (219 ) : «Ils t’interrogent au sujet du vin et du jeu de hasard, dis : Ils comportent tous deux, pour les hommes, un grand péché et un avantage mais le péché qui s’y trouve est plus grand que leur utilité.»
المائدة 90 – 91 «يا أيها الذين آمنوا إنما الخمر والميسر والأنصاب والأزلام رجس من عمل الشيطان فاجتنبوه لعلكم تفلحون * إنما يريد الشيطان أن يوقع بينكم العداوة والبغضاء في الخمر والميسر ويصدكم عن ذكر الله وعن الصلاة فهل أنتم منتهون».
La Table servie (90 – 91) : «Ô vous qui croyez ! Le vin, le jeu de hasard, les pierres dressées et les flèches divinatoires sont une abomination et une oeuvre du Démon. Évitez-les… — Peut-être serez-vous heureux — * Satan veut susciter parmi vous l’hostilité et la haine au moyen du vin et du jeu de hasard. Il veut ainsi vous détourner du souvenir de Dieu et de la prière. — Ne vous abstiendrez-vous pas ?—»
النساء 43 : «يا أيها الذين آمنوا لا تقربوا الصلاة وأنتم سكارى حتى تعلموا ما تقولون»
Les femmes (43) : «Ô vous qui croyez ! N’approchez pas de la prière, alors que vous êtes ivres — attendez de savoir ce que vous dites !»
Ce sont ces versets qui sont utilisés pour justifier une interdiction mythique puisque, comme on le voit, il n’y est aucune interdiction. À tout le moins, pour pratiquer le raisonnement par l’absurde, s’il y avait interdiction, elle ne serait nullement expresse, directe, claire et sans ambiguïté.
À ces versets, nous ajoutons trois autres où il est aussi question de vin, boisson enivrante ou alcoolisée, et qui renforcent à la fois l’absence d’interdiction ou l’ambiguïté quant à l’attitude du Coran en la matière ;
محمد 15 : «مثل الجنة التي وعد المتقون فيها أنهار من ماء غير آسن وأنهار من لبن لم يتغير طعمه وأنهار من خمر لذة للشاربين».
Muhammad (15) : «Voici la description du Jardin promis à ceux qui craignent Dieu. Il y aura là des fleuves dont l’eau est incorruptible, des fleuves de lait au goût inaltérable, des fleuves de vin, délices pour ceux qui en boivent.» النحل 67 : «ومن ثمرات النخيل والأعناب تتخذون منه سكرا ورزقا حسنا إن في ذلك لآية لقوم يعقلون».
Les Abeilles (67) : «Vous retirez une boisson enivrante et un aliment excellent des fruits des palmiers et des vignes. — Il y a vraiment là un Signe pour un peuple qui comprend ! —»
سورة المطففين 25-28 : «يُسقون من رحيق مختوم* ختامه مسك وفي ذلك فليتنافس المتنافسون * ومزاجه من تسنيم * عينا يشرب بها المقرّبون».
Sourate des Fraudeurs (25-28) : «On leur donnera à boire un vin rare, cacheté par un cachet de musc — ceux qui en désirent peuvent le convoiter — et mélangé à l’eau de Tasnim, une eau qui est bue par ceux qui sont proches de Dieu.»
Tout comme la Bible (3), le Coran présente donc la vigne parmi les bienfaits de Dieu et les élus boiront du vin au Paradis, puisqu’il y est des fleuves de ce nectar, un vin qui n’enivre point.
Interprétation des textes coraniques
La première chose à noter est que le Coran ne procède nullement par interdiction. Ainsi, il n’emploie pas, par exemple, des expressions claires comme : «Il est interdit» ou «telle chose est prohibée», comme c’est le cas dans d’autres matières où l’interdiction est explicite.
Les jurisconsultes ont bien évidemment trouvé des explications à cette attitude qui ne manque pas d’interpeller sur l’intention divine prohibitionniste comme ils le prétendent. Le plus incorrect et le moins islamique dans ces interprétations, c’est non pas la thèse développée qui se respecte étant un effort d’interprétation, mais le fait de vouloir en faire une loi divine. Ainsi, on passe du texte coranique où il n’est nulle obligation à une interprétation humaine qui fait loi contre le Coran. Cela mérite d’interpeller toute conscience libre de tout vrai musulman.
De plus, ce qui relativise la validité de l’interprétation qui a prévalu à ce jour de nos fuqahas, c’est que Dieu précise bien qu’il est des avantages dans le vin à côté de ses inconvénients. Or, au lieu de s’interroger sur la manière de maximiser les avantages et minimiser les inconvénients, on préfère la solution de facilité de tout rejeter. Comme s’il pouvait y avoir sur terre quelque chose purement bonne ou purement mauvaise. Le croire, c’est ôter la raison même de toute religion, surtout la nôtre, qui fait d’ici-bas une terre d’épreuve pour un perfectionnement jamais atteint.
Par ailleurs, il est à noter que le terme qu’on traduit souvent par péché en la matière n’a pas nécessairement en arabe le sens français de transgression de la loi divine. En effet, le terme إثم signifie ce qui emporte exclusion de la rétribution et dont il faut se méfier; ainsi le mensonge en est (4). On voit bien que la gravité est loin d’être la même que celle du terme français consacré. Il en va de même de l’autre expression où le vin est qualifié d’oeuvre du diable رجس. Terme polysémique, il veut dire entre autres : le mal, le sale et la saleté, le puant au propre comme au figuré. On l’utilise aussi pour la punition et par extension pour les idoles. Mais c’est aussi le doute et l’hypocrisie (5). On voit ainsi le décalage entre le sens commun et la vérité sémantique.
Dans un cas comme dans l’autre, ce n’est pas le vin proprement dit qui est concerné, mais ses effets manifestés par l’ivresse. Donc, c’est l’excès de vin qui est l’oeuvre du diable; car tout excès est diabolique. Un excès de justice ne vire-t-il pas en excès d’injustice comme le soutenaient déjà les anciens ? (6)
Dans le Coran, au pire, le vin ou l’alcool sont considérés comme à éviter, ce qu’on appelle مكروه (7) mais jamais interdits; la seule interdiction en cette matière est tout à fait logique et elle concerne la prière qu’il est prohibé de faire en étant ivre. C’est ce que dit textuellement le texte coranique; ce qui permet de supposer, paroxystiquement par syllogisme, qu’on peut s’adonner à l’ivresse en dehors de la prière. Il reste que le Coran étant un tout dont le croyant est tenu d’interpréter les versets les uns par rapport aux autres, cela ne saurait être soutenu, la tempérance étant de règle en islam; et l’ivresse est donc à éviter.
Toutefois, le verset ne reste pas moins une bonne illustration de la licéité de l’alcool en islam, puisqu’il implique a contrario que si jamais l’on se laisse allers à l’excès de ne pas boire raisonnablement au point de l’ivresse, il est impératif alors de bien veiller à ne pas faire ses prières dans cet état. On voit à quel point l’islam a élevé la tolérance et l’esprit de miséricorde divine.
Mais, répétons-le : la position de l’islam reste bien claire en matière de boisson enivrante : il est nécessaire de garder son contrôle sur soi et ne point le perdre; aussi, on doit éviter non pas de boire, mais de boire jusqu’à l’ivresse qui est le résultat d’une intempérance que l’islam réprouve.
Pour montrer encore l’incorrection de l’interprétation actuelle, notons que le premier verset de la Table servie, cité ci-dessus, a été interprété par les fuqahas comme une interdiction indirecte de toucher à l’alcool. Or, il ne faut pas oublier que ce verset est lié au suivant, ce qui prouve que cette interdiction indirecte porte encore sur l’ivresse et ses méfaits, surtout sur le fait de ne pas faire la prière dans un tel état.
Il va de soi que la plus grande preuve de la licéité du vin en islam reste son existence au paradis. Il est bien précisé, en effet, que c’est un vin qui n’entraîne pas l’ivresse, le croyant demeurant maître de lui-même. Aussi, il suffit au musulman sur terre de boire du vin comme il boirait celui du paradis. Cela veut dire de ne pas en boire au point de perdre ses esprits et tomber en ivresse. Boire raisonnablement, c’est éviter d’être ivre; alors, on ne viole pas la loi religieuse qui ne prohibe, au mieux, que l’ivresse.
La Tradition prophétique en matière d’alcool
S’agissant de la Sunna authentique(8), nous ne trouvons, bien évidemment que ce qui conforte ce que nous venons d’exposer du Coran. Ainsi, Mouslem et Boukhari rapportent les dires suivants : —(9) كل مسكر حرام
— «Tout ce qui est enivrant est illicite»(10) — كل ما أسكر عن الصلاة فهو حرام (11)— «Tout ce qui enivre éloignant de la prière est illicite » (12)
— كل مسكر خمر وكل مسكر حرام، ومن شرب الخمر في الدنيا فمات، وهو يدمنها، لم يتب، لم يشربها في الآخرة — Tout ce qui est enivrant est du vin et tout ce qui est enivrant est illicite. Or, quiconque boit du vin ici-bas et meurt alcoolique, sans s’en repentir, n’en boira pas dans l’au-delà.(13)
— من شرب الخمر في الدنيا ثم لم يتب منها حرمها في الآخرة(14) — Quiconque boit une boisson enivrante ici-bas sans s’en repentir, en sera privé dans l’au-delà.(15)
Interprétation de la Tradition prophétique
On voit bien que la Sunna parle d’ivresse et d’alcoolisme; et pour toute sanction divine, elle prévoit juste la privation dans l’au-delà. Toutefois, et la Tradition est claire, la punition n’est prévue que pour quiconque s’accoutume à la boisson enivrante au point de ne plus pouvoir s’en passer; c’est bien d’alcoolisme qu’il est question.
D’ailleurs, on trouve dans les Sahihs un chapitre consacré à la licéité de la boisson alcoolique tant qu’elle n’enivre pas.(16) On y raconte aussi que lors de la nuit du voyage nocturne الإسراء on présenta à l’Envoyé de Dieu deux coupes, l’une contenant du vin et l’autre du lait, en précisant qu’il choisit le lait. Cela prouve qu’aucune réprobation ne concerne le vin en tant que tel sinon il n’aurait pas été présenté au prophète. Aussi, quand on conclut l’histoire par l’exclamation de Jibrîl que si le prophète avait choisi le vin, sa communauté se serait égarée, cela prouve deux choses : que le prophète aurait bien pu prendre la coupe de vin, d’une part, et que l’égarement de sa communauté serait venu de l’abus de vin jusqu’à l’alcoolisme. Ce qui confirme cette analyse, c’est que les Arabes étant réputés être portés à l’excès, surtout du temps de l’Antéislam; c’est d’ailleurs l’un des vices que leur religion est venue corriger. (17)
On trouve de plus chez Mouslem les conditions qui ont amené la révélation supposée de l’interdiction de la boisson alcoolisée et qui concernaient un comportement fort répréhensible de la part de Hamza, oncle du prophète, causé par l’ivresse.
S’agissant de la sanction, il est clair qu’elle concernait plutôt des faits d’ivresse. Et malgré cela, il est établi que le prophète n’édicta aucune sanction à part ce qu’il pratiqua de sa vie et qui était plus symbolique qu’autre chose. En effet, la seule peine connue du temps du prophète était de frapper l’ivre, tantôt à l’aide de palme, tantôt de sandales. Ce n’est que du temps d’Abou Bakr que les 4O coups de fouet firent leur apparition.(18) Il ne fait aucun doute que la tradition de flageller s’est répandue après le prophète qui disait juste de frapper celui qu’on lui amenait en état d’ébriété.(19)
D’ailleurs, on lit chez Boukhari que Ali Ibn Abi Talib a bien confirmé que le prophète ne fit aucune recommandation précise au sujet de la punition; et faisait attention, pour sa part, à ne pas trop faire de mal quand il châtiait, estimant que si le puni devait mourir sous ses mains, il serait redevable du prix du sang.(20) Quelle plus belle preuve de l’erreur de nos jurisconsultes qui condamnent sévèrement non pas l’ébriété, mais le simple fait de toucher à l’alcool !
Car c’est bien pour ébriété que le prophète a sanctionné. Par ailleurs, ce qui est important à dire ici, c’est que ce n’est pas la question de savoir si une peine a été prescrite ou pas; puisque la peine si elle était prescrite l’était assurément pour une époque révolue. Et avec l’évolution du temps, elle ne reste pas inscrite dans le marbre puisque notre religion se veut adaptée parfaitement aux exigences de son temps et donc évolue, seuls son esprit et ses visées étant éternels. Ainsi, aujourd’hui, appliquerait-on l’ablation de la main, pourtant expressément prescrite ?
Influence de la tradition judéo-chrétienne
Il est clair que l’interprétation faite par nos jurisconsultes dans le sens de l’interdiction en islam du vin et de toute boisson enivrante vient de l’influence de la tradition judéo-chrétienne. Il ne faut pas oublier, à ce propos, ce que rappelait Ibn Khaldoun à propos des savants musulmans qui étaient pratiquement tous non Arabes :(21) في أن حملة العلم في الإسلام أكثرهم العجم
Cela veut dire que les exégètes de l’islam qui a été révélé en arabe devaient connaître cette langue et ses subtilités; ce que ces savants firent de la meilleure façon qui soit. Il n’empêche, et les sciences psychologiques et sociologiques le démontrent aujourd’hui assez, ils n’ont pu se défaire d’une certaine influence, bien que souvent inconsciente, de leur milieu d’origine marqué par une tradition judéo-chrétienne évidente.
Or, comme l’islam est venu rétablir la vérité en matière de révélation abrahamique, ses exégètes n’ont pu que puiser dans la tradition abrahamique ce qui ne leur a pas semblé contraire à l’esprit de la nouvelle religion, osant interpréter cet esprit au vu de celui des religions judaïque et chrétienne. En la matière, ils ne faisaient certes que se conformer à une tendance généralisée dans la société, une morale ambiante, un esprit d’ensemble. Or si cela était valable pour cette époque-là, il ne peut plus l’être aujourd’hui.
Pourtant, et on l’a noté ci-dessus, il n’existait pas non plus dans la Bible une condamnation du vin ni des boissons enivrantes. Il ne demeura pas moins qu’on y trouvât de quoi orienter l’exégèse du Coran, des dispositions spécifiques qui ont été généralisées.(22)
Aujourd’hui, la sécularisation ayant triomphé en Occident, on est unanime à dire que les Écritures saintes n’interdisent pas le vin, mais condamnent l’ivresse et ses effets. Ce qui est assez juste au vu des textes de la Bible; mais cela n’était pas nécessairement l’interprétation dominante à l’époque de la constitution du fiqh musulman.
Cela venait surtout de la notion du péché qui était dichotomique dans la tradition judéo-chrétienne alors qu’elle était dans la tradition grecque plutôt contradictorielle (23) comme on dit aujourd’hui, c’est-à-dire acceptant l’harmonie et la complémentarité des contraires. La langue arabe en donne d’ailleurs la plus parfaite des illustrations qui accepte le sens et son contraire. Ainsi, encore une fois, l’islam était-il, dans les textes coraniques, en avance sur son temps.
La vraie conception islamique du péché
La conception islamique du péché était donc plutôt conforme à une tradition antérieure à la tradition judéo-chrétienne qui est la tradition grecque oubliée par l’Occident. On sait désormais, d’ailleurs, que c’est la civilisation musulmane qui a ramené l’Occident à son héritage grec.
En effet, il existe dans la pensée grecque une distinction importante entre ce qui est qualifié de péché et ce qui relève de la «pollution».(24) Si l’on peut agir sur le péché, arriver de diverses manières à l’éviter, on a affaire à une sorte de péché automatique avec la pollution qui est aussi impitoyable qu’un virus, et est donc indépassable. Par conséquent, il nous faut accepter une telle fatalité, «faire avec», comme on dit. Ainsi, pour la nature humaine, le péché est ponctuel, mais la pollution est structurelle. Et il importe de reconnaître cet aspect des choses pour aboutir à une sorte de sagesse de la nécessité. Or, c’est le cas en islam qui fait une telle distinction.
Le lieu n’est pas indiqué ici pour nous étendre sur la théorie islamique du péché (on y reviendra); appliquée à l’alcool, cette théorie permet au musulman d’être en mesure d’adopter, dans sa vie quotidienne, une posture existentielle, sage et équilibrée, intégrant le mal qu’on ne peut dépasser et qu’il nous faut dompter. C’est tout le sens et la philosophie de l’effort maximal, الجهاد الأكبر en islam.
En matière de boisson alcoolisée, la logique islamique n’est donc pas celle d’un quelconque dépassement du mal, mais d’une tension jamais achevée vers la perfection, qui n’ignore pas l’imperfection, en faisant même un élément essentiel de la vie. C’est la voie vers Dieu du pécheur qui est ainsi toujours croyant tant qu’il est engagé sur cette voie, et surtout s’il est dans la bonne direction. Peu importe s’il traîne ou prend même une fausse orientation, l’essentiel est qu’il continue son parcours vers Dieu. C’est ce que les Soufis ont compris avec leurs notions de طريقة (voie) et de سالك : l’itinérant vers Dieu ou encore le pèlerin.
Nous y reviendrons dans la section qui suit; mais disons tout de suite que c’est cette conception grecque réhabilitée par l’islam que la conscience occidentale a répudiée en réalisant une partition aberrante entre le bien et le mal, devenus ainsi antagonistes. Une telle coupure radicale a pris naissance assez tôt marquant la tradition judéo-chrétienne et dessinant les contours du conflit métaphysique entre le bien et le mal que les sciences modernes récusent désormais en admettant une part d’ombre nécessaire pour l’équilibre psychologique de l’être humain.(25)
Le vin, symbole du nouveau vivre-ensemble islamique
Pour finir, notons que le vin est pris chez nos soufis comme une preuve éminente de piété; ainsi, il est souvent utilisé comme un symbole de l’amour divin. Il s’agit, bien sûr, du vin du paradis, celui dont on boit sans s’enivrer. Ainsi, Nabolsi dit : « Ce vin, c’est l’amour divin éternel qui apparaît dans les manifestations de la création.» (26)
Lisons aussi ces beaux vers du poème «Le vin de l’ivresse» de Hafez qui provoqua tant l’admiration de Goethe :
La nuit dernière, j’ai vu les anges qui frappaient à la porte du cabaret,
qui pétrissaient l’argile d’Adam pour en façonner des coupes.
Ceux qui résident au-delà du voile sacré, les purs de l’univers angélique,
m’ont tenu compagnie, à moi, le mendiant des rues, pour boire le vin de l’ivresse.(27)
Goethe
Les soufis nous ont donc donné depuis longtemps la recette magique pour honorer l’islam authentique. Sur terre, pour les musulmans du commun des mortels, il suffit de faire pareil aux bienheureux du paradis et suivre leur exemple en buvant de l’alcool, s’ils ne peuvent s’en retenir, tout en veillant à ne jamais trop boire, ni boire jusqu’à l’ivresse. Ils veilleront ainsi à rester pieux en buvant juste la quantité que l’organisme permet sans la moindre altération du contrôle sur soi.(28)
C’est un peu comme quand on veut conduire une voiture; on veille à ne pas dépasser la dose qu’autorise l’alcotest, au-delà de laquelle il est interdit de conduire aussi bien pour sa propre sécurité que celle d’autrui. Il en va donc de même pour le croyant, son alcotest devenant son respect des prescriptions religieuses pour bien se conduire en société et ne pas avoir à provoquer d’accidents dommageables pour tous. On voit encore une fois à quel point l’islam était en avance sur son temps, inventant une sorte d’alcotest social pour le fidèle !
Cela, nos soufis l’avaient compris depuis bien longtemps en assurant qu’il n’y avait point d’opposition entre une foi honorée de la meilleure façon qui soit en s’en tenant au Coran et à la Sunna et à rien d’autre, tout en ne contrariant pas sa nature, y compris, s’il le fallait, par la consommation de boisson alcoolisée. Écoutons donc ce que disait Omar Kayyam s’adressant aux faux musulmans du salafisme (29) :
يا مدعي الزهد أنا أكرم منك، وعقلي ثملا أحكم تستنزف الخلق، وما استقي، إلا دم الكرم، فمن آثم؟
Il nous faut peut-être ici rapatrier dans nos sociétés musulmanes cette publicité occidentale qui disait ceci : «un verre, ça va ! trois verres, bonjour les dégâts !» En l’occurrence, les dégâts relèveront à la fois de l’ordre civil et religieux. Et voilà notre religion redevenue civile en notre État civil consacré par la nouvelle constitution !
Notre société est donc appelée à se réformer en réformant sa législation basée sur nombre de méprises religieuses. Ainsi, on ne reniera point nos racines religieuses, mais il s’agira de racines qu’on aura déterrées de sous les immondices qui ont manqué de les tuer.
Cela permettra à l’arbre de l’islam de revivre de nouveau et de produire les plus beaux fruits comme avant, alors qu’aujourd’hui il n’a plus de fruits que ce qui s’est pourri sur des branches elles-mêmes en train de mourir. Et c’est surtout faute de racines revitalisées grâce au travail d’entretien nécessaire que notre religion ne recommande jamais assez, ayant même fait une loi de la renaissance de l’islam à chaque début de siècle. Or, nous sommes au début d’un nouveau siècle ! C’est le vivre-ensemble de l’islam reconquérant les esprits, mais un islam tolérant et démocratique, un islam postmoderne, l’i-slam !
Écoutons encore ce que disait du vin le poète andalou Ibn AlFaridh annonçant ce que la spiritualité islamique pourrait apporter comme bienfaits à l’Occident matérialiste si les musulmans savaient renouer avec les trésors de leur religion afin d’en faire justement la foi universelle qu’elle est en tant que sceau des révélations :
« Si les souffles de son parfum s’exhalent en Orient, un homme privé d’odorat devient dans l’Occident capable de les sentir. »(30)
Et terminons en beauté avec le génial Hafez (31) :
وشارب الخمر الذي لا رياء فيه ولا نفاق خير من بائع الزهد الذي يكون فيه الرياء وضعف الأخلاق
Par Farhat Othman