Elle porte un joli nom : Perle d’espoir. Lors de sa déclaration à la préfecture deParis, le 10 janvier 2012, cette association caritative se donnait pour mission devenir en aide aux peuples palestinien et syrien à travers des actions valorisant l’éducation, la santé, le « civisme » et la « démocratie ». Selon les services de renseignement, elle profitait de ses convois humanitaires pour financer des groupes de combattants syriens.
Vendredi 21 novembre, ses deux principaux dirigeants, Nabil O., 22 ans, responsable opérationnel, et Yasmine Z., 34 ans, présidente de l’association, ont été mis en examen pour financement du terrorisme et association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste. Les gardes à vue des trois autres membres de l’association ont été levées.
Pour la sous-direction antiterroriste et la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI), cosaisies de l’enquête ouverte en avril par le parquet de Paris, cette affaire de financement – la première impliquant une association – illustre le glissement entre engagement humanitaire et participation active au conflit syrien. Une confusion qui conduit un nombre croissant de jeunes Français à s’égarer dans le djihad armé.
UN JEU D’ALLIANCES AUSSI COMPLEXE QUE VERSATILE
Ce dossier met également en lumière la difficulté des enquêteurs à qualifier la nature « terroriste » des agissements des suspects : sur le terrain, le jeu des alliances entre les rebelles opposés à l’armée syrienne et les groupes djihadistes est aussi complexe que versatile. L’enquête souligne enfin le rôle désormais décisif des réseaux sociaux dans le travail des services de renseignement.
Selon les premiers éléments du dossier, les membres de Perle d’espoir sont entrés en contact à l’été 2013 avec le cheikh Bassam Ayachi, un imam franco-syrien établi en Belgique. Son fils, ancien leader d’un groupe affilié à la Brigade des faucons du Cham, est mort à Idlib le 19 juin. Le cheikh a lui-même purgé quatre ans de prison en Italie pour terrorisme et s’est envolé en décembre pour la Syrie. C’est par son entremise que les membres de l’association auraient noué des contacts en Syrie pour leur premier convoi.
« ÉQUIPER UN HÔPITAL DE FORTUNE »
Le 27 août 2013, deux ambulances chargées de matériel médical traversent l’Italie avant de rejoindre la Grèce par bateau, puis la Turquie. Emmené par Nabil O., le convoi s’enfonce jusqu’à Idlib, fief de la Brigade des faucons du Cham, affiliée au Front islamique.
Le Front islamique est une nébuleuse de rebelles salafistes – mais non djihadistes – opposée à Bachar Al-Assad comme à l’Etat islamique (EI). Il est considéré comme un allié objectif de l’Occident. Il s’est cependant rapproché localement d’Al-Nosra, qui a prêté allégeance à Al-Qaida, pour résister aux offensives de l’EI. Cette porosité entre les parties prenantes au conflit – avec ses renversements d’alliances – conduit la justice antiterroriste à s’intéresser à quiconque entre en contact avec des combattants syriens n’appartenant pas à l’Armée syrienne libre (ASL).
La nature de la cargaison de ces deux ambulances est attestée par des photos publiées sur la page Facebook de l’association, montrant des distributions de chaises roulantes et de boîtes de médicaments. Interrogée par Le Monde avant sa garde à vue, Yasmine Z. affirme que l’objectif du convoi était d’équiper « un hôpital de fortune dans la région d’Idlid avec du matériel médical ».
Si la réalité de la démarche humanitaire de l’association n’est pas remise en question par les enquêteurs, la duplicité de son projet apparaît déjà. Selon les services de renseignement, Nabil O. se serait vanté à son retour d’avoir noué des contacts avec des « moudjahidin » et reçu un entraînement au maniement des armes.
PLUSIEURS MILLIERS D’EUROS EN LIQUIDE REMIS AUX COMBATTANTS
Un mois plus tard, Perle d’espoir lance un nouvel appel aux dons sur les réseaux sociaux et aux abords de mosquées franciliennes pour financer une autre opération : « Un mouton pour l’Aïd ». Le 9 octobre, Nabil O. et deux autres membres de l’association s’envolent pour Antalya, en Turquie.
A la douane de l’aéroport de Lyon, ils sont contrôlés chacun en possession de 9 900 euros en liquide, une somme qui leur permet d’échapper à l’obligation légale de déclaration douanière, fixée à 10 000 euros. Des éléments de renseignement humain ont établi que seuls 6 000 euros seront consacrés à l’achat de moutons, le reste de la somme étant remise à des groupes de combattants.
Le 14 janvier, un arrêté ministériel prononce le gel des avoirs de Perle d’espoir, ainsi que de quatre de ses membres. Le troisième convoi est avorté. Le 27 janvier, Nabil O. commente cette sanction sur sa page Facebook : « A nouveau on cherche à nous empêcher d’œuvrer pour la Oumma, tout cela nous conforte dans le fait que nous sommes sur la bonne voie. Aider le peuple syrien ça ne plaît pas,aider les enfants syriens ça ne plaît pas, ils voudraient que l’on assiste à cela en spectateurs sans rien faire… »
PROFESSION, « SOLDAT, À IDLIB »
Le jeune homme ne restera pas longtemps sans rien faire. Deux jours plus tard, il dit adieu à ses proches et s’envole pour la Syrie. Le lendemain, il détaille son programme sur Facebook : « Qu’Allah anéantisse les chiites où qu’ils se trouvent. » Et actualise son profil : profession, « soldat, à Idlib » ; études, « engin explosif à université Al-Azhar de Gaza ». Ce convoi-là n’a plus rien d’humanitaire.
Nabil O. est rentré en France en juillet, avant d’être incarcéré pour une condamnation de droit commun prononcée avant son départ. Contacté en prison par les réseaux sociaux, il n’a pas souhaité répondre à nos questions. Placé en garde à vue mardi, il a insisté sur le fait qu’il avait rejoint en tant qu’« ambulancier »un groupe proche de la Brigade des faucons du Cham, qui n’est pas considérée comme un groupe terroriste.
Le profil Facebook de ce jeune homme originaire d’Argenteuil est là pour relativisersa vocation humanitaire et sa fidélité au Front islamique. Entre des photos le montrant en armes et des images de décapitations, il reproduit le drapeau noir des djihadistes. Au printemps 2014, Nabil O. publie ce message, qui illustre aux yeux des enquêteurs sa tentation djihadiste : « Si le Front islamique attaque Al-Nosra, nous irons avec Al-Nosra. »
Les confidences et les images publiées par le jeune homme sur les réseaux sociaux constituent à ce jour l’essentiel des charges qui pèsent contre lui. Il a été placé vendredi en détention provisoire. La présidente de l’association, Yasmine Z., a été placée sous contrôle judiciaire.
- Soren Seelow
Journaliste - http://www.lemonde.fr/