dimanche 9 novembre 2014

Mazarine Pingeot peut enfin caractériser "œuvre" de Éric Zemmour : "Ce n'est pas une pensée ! Ça s'appelle la rationalisation de la haine. Vous savez ce que c'est ? C'est un procédé psychanalytique qui consiste à essayer de mettre une forme rationnelle sur un affect. Et je pense que vous êtes travaillé par des affects dont le ressentiment, qui est votre moteur principal. Et vous êtes extraordinairement doué pour mettre une enveloppe rationnelle, mais je n'appelle pas ça de la pensée."




Mazarine Pingeot vs. Éric Zemmour sur France 5 : elle a réussi à démasquer le polémiste



LE PLUS. Éric Zemmour poursuit la promotion de son livre, "Le Suicide français". Invité sur France 5, dans l'émission "Les grandes questions", le polémiste a eu un vif débat avec Mazarine Pingeot. Et c'est en allant sur le terrain de la psychologie, et non de la politique, que l'écrivaine a réussi à le mettre en difficulté, explique notre chroniqueur Bruno Roger-Petit.

Édité par Sébastien Billard  Auteur parrainé par Aude Baron







Mazarine Pingeot et Éric Zemmour sur le plateau de France 5 (capture d'écran).


Il faut voir le mâle et viril Éric Zemmour comme qui dirait "fessé cul nu" en deux minutes par Mazarine Pingeot. Ce sera sans doute le duel télévisé de la semaine. C'était sur France 5, dans une émission présentée par Franz-Olivier Giesbert, et intitulée "Quelles frontières pour la France de Zemmour ?"

Et oui. Encore Zemmour. Toujours Zemmour. Il faut bien s'y faire. France télévisions a décidé de faire la promotion du livre de Zemmour et de ses idées. C'est comme ça.

Au moins, l'émission de Giesbert, contrairement à celles de Ruquier et Taddeï, avait-elle le mérite de confronter Zemmour à des contradicteurs moins conciliants que Jacques Attali ou Clémentine Autain. Il y avait sur le plateau Daniel Cohn-Bendit. Et surtout Mazarine Pingeot.

Le choc ne pouvait qu'avoir lieu, et il a eu lieu. Mais pas du tout comme l'on pouvait s'y attendre.

Elle engage le combat sur la virilité 

Contrairement à bien des contradicteurs, qui tentent d’embarrasser Zemmour sur le terrain historique, politique, sociologique, et se laissent prendre dans des marécages de sa rhétorique implacable, Mazarine Pingeot a choisi d'engager le combat sur un terrain où jamais personne ne va : la virilité de Zemmour.

Oui, avec un culot incroyable, l'écrivaine a défié l’apôtre de la défense du mâle dominant émasculé par la société féminisée héritée de Mai 68 et juillet 1789 et le lobby LGBT sur son propre terreau : la virilité.

Et cela donne cet échange incroyable.  

- Mazarine Pingeot dit : "C'est normal que ça travaille un homme la question de la virilité"
- Et Zemmour répond : "Rassurez-vous, je n'ai aucun problème"
- Et Mazarine Pingeot enchaîne, citant un terrible passage du livre de Zemmour, "Le Suicide français", sur la disparition de la virilité masculine dans la société moderne : "C'est l'idée que les hommes doivent 'Prendre les femmes sans les comprendre plutôt que les comprendre sans les prendre'... Vous faites donc l'apologie du viol ou je ne m'abuse...?
- Vous êtes formidable, j'ai l'impression d'être dans "Les Femmes savantes".
- Eh bien voilà ! Le cliché !
- Vous avez raison, à vous écouter, c'est plutôt "Les Précieuses ridicules".
- Oui, car une femme ne doit pas travailler, ne doit pas penser, ne doit pas avorter.
- Mais non...
- Mais c'est exactement ce que vous écrivez dans votre livre.
- Mais pas du tout, excusez-moi, vous ne savez pas lire !
- Excusez-moi, je me suis tapé vos 400 pages avec la nausée au ventre ! J'ai dû le lire ligne par ligne parce qu'en plus c'est assez indigeste et mal écrit...
- Vous avez raison, il vaut mieux écrire vos petits romans ridicules et illisibles. Vous voyez, moi, les gens me lisent, contrairement à vous. C'est dommage ! Ça fait mal, je comprends !
- Ce n'est pas difficile d'aller vers la saleté et la laideur !

Ce qui terrifie Zemmour, c'est la femme 

Survient alors le climax de l'échange, ce moment où, ayant démasqué Zemmour et ses tourments, Mazarine Pingeot peut enfin caractériser son "œuvre" :

"Ce n'est pas une pensée ! Ça s'appelle la rationalisation de la haine. Vous savez ce que c'est ? C'est un procédé psychanalytique qui consiste à essayer de mettre une forme rationnelle sur un affect. Et je pense que vous êtes travaillé par des affects dont le ressentiment, qui est votre moteur principal. Et vous êtes extraordinairement doué pour mettre une enveloppe rationnelle, mais je n'appelle pas ça de la pensée."


Mazarine Pingeot a dit ce que personne n'ose dire. Que Zemmour est une petite boule de haine, travaillée par une psyché torturée, un surmoi terrifiant, et qu'il déplace son ressentiment, sa haine, son affect, sa mésestime de lui-même sur autrui. Sur ce qu'il pense être plus faible que lui. Plus méprisable. Notamment les femmes. La femme.

Ce qui terrifie Zemmour, c'est la femme en tant que vestige psychanalytique érigé en substitut archaïque maternel. La femme le dérange, le perturbe et l'angoisse. La femme est donc l'ennemie.

La séquence est instructive pour ce qu'elle montre. Il est rare, en vérité, de contempler Zemmour confronté sur un plateau de télévision à une femme qui ose le défier, sur son propre terrain. Car il entre dans cet affrontement une étrange dimension physique.

Mazarine Pingeot, dès qu'elle s'adresse à Zemmour, se dresse, comme prête à bondir. Elle est dans la posture du boxeur qui surgit de son coin du ring, quand la cloche sonne la reprise du combat. Elle le défie. Le message corporel est sans ambiguïté : "Montre que tu es un homme, Eric Zemmour !"

Un double défi, intellectuel et physique

Or, Zemmour n'est pas habitué à ce type d'échange. Sur les plateaux de télévision qu'il fréquente, il a affronté peu de femmes, et ces dernières n'ont jamais vraiment osé le défier sur son propre terrain, celui de la masculinité qu'il revendique et défend.

Même Clementine Autain, lors de l'émission "Ce soir ou jamais" où elle s'est retrouvée face à Zemmour, ne s'est pas aventurée sur ce terrain, osant à peine ranger le polémiste, en sa présence intimidante, à l'extrême droite. Mais pas Mazarine Pingeot, qui attaque sur le point réputé fort de l'animal et dévoile qu'en réalité, c'est le point le plus faible.

Zemmour plaide pour le mâle dominant, et le voila fessé en public par une femme, comme on fessait cul nu autrefois, les gamins qui disaient des gros mots pour exister et provoquer. Par une femme qui lui impose un double défi, intellectuel et rhétorique, émotionnel et physique.

Ce n'est plus Nicolas Domenach, par exemple, blasé et fatigué par son rituel débat du vendredi avec Zemmour sur i>Télé, qui oserait ce que Mazarine Pingeot ose en cet instant : lui infliger une confrontation virile, mais féminine, soit rendre fou le disque dur zemmourien.

Une femme qui challenge comme un homme. Ce vertige. Cet indicible.

Zemmour est tombé dans le piège

C'est bien de virilité qu'il s'agit en cet instant du duel télévisé, cet instant où, d'un coup, Mazarine Pingeot ramène Zemmour à son mal-être, jouant à fond la carte de la mère symbolique toute puissante, mère castratrice qui ne permet pas à l’œdipe d'émerger, donc au petit garçon de se libérer et de grandir.

Zemmour tombe dans le piège, qui n'argumente plus, n'ergote plus, ne cite plus. Étouffé par Mazarine Pingeot, il ne lui reste plus qu'à tenter de la blesser, par des petites piques pathétiques, des petits jets de pierres médiatiques, comme le font les enfants démasqués : "Je vends plus de livres que vous".

Encore une façon de se poser en virilité. "J'ai la plus grosse vente". Zemmour se lit à livre ouvert pour qui veut bien ne pas le prendre pour ce qu'il n'est pas. Ni Maurras, ni Bernanos, ni Drieu, mais un petit Brasillach, ce petit écrivain auteur de petits romans à l'eau de rose peuplés de femmes inaccessibles et qui était empli de haine. Comme Brasillach, Zemmour ne sait pas s'aimer (lui qui écrivit un livre sur Chirac, "L'homme qui ne s'aimait pas"), il lui est donc plus facile de haïr les autres.

Ce n'est pas de Gaulle, Mitterrand, Clemenceau, Pétain et autres figures de l'histoire qu'il faut convoquer pour ramener le cas Zemmour à sa réalité, à sa "rationalisation de la haine" qui n'est pas de la pensée, non, c'est Lacan qu'il faut convoquer.

Mazarine Pingeot a eu raison de questionner le cas Zemmour en le situant sur le bon terrain, psychologique avant d'être politique, soit un affect travaillé par le ressentiment. Et puisqu'on dit Lacan, on conclura ainsi : Mazarine, ma tsarine.

http://leplus.nouvelobs.com/contribution/