dimanche 9 novembre 2014

Zemmour, mon grand-père et les juifs

Zemmour, mon grand-père et les juifs

A l'auteur du "Suicide français", qui défend Pétain pour avoir sauvé des juifs français, notre journaliste Philippe Boulet-Gercourt lui répond en racontant l'histoire de son aïeul.

Le "certificat de non-appartenance à la race juive" reçu par Albert Boulet en août 1941, suite à une dénonciation. Le "certificat de non-appartenance à la race juive" reçu par Albert Boulet en août 1941, suite à une dénonciation.
Il se trouve qu'au moment où paraissait ce livre, un de mes frères est tombé sur des documents relatifs à une histoire que je connaissais, mais seulement de façon orale : à l'été 1941, mon grand-père a été juif pendant trois mois.

Dénoncé par un courageux anonyme

Albert Boulet, que tout le monde appelait de son nom de scène, Gercourt, était acteur de profession, un second rôle qui a joué au théâtre et dans une vingtaine de films. Après la débâcle, Albert, son épouse et leur fils unique - mon père - avaient quitté Paris pour Marseille, où Gercourt avait trouvé un emploi à la radio. Les temps étaient durs, ceux qui avaient un job faisaient des envieux. Un courageux anonyme dénonça mon grand-père aux autorités de Vichy : Gercourt était juif.
Un régime soucieux de sauver les juifs français jetterait une telle lettre au panier. C'est tout le contraire qui se produit. Juif, Gercourt est immédiatement menacé de perdre son travail, étant soumis à la loi du 2 juin 1941 "portant statut des juifs", qui interdit à ces derniers l'accès à une multitude d'emplois publics. Et ce ne serait que le début des ennuis... La loi mentionne, pour la première fois, le "droit pour le préfet de prononcer l'internement dans un camp spécial, même si l'intéressé est français".

Les "authentiques français" et les autres

Panique de bon-papa. Le 24 juin, il écrit au maréchal Pétain et au commissaire général aux Questions juives, indiquant qu'il s'agit d'une dénonciation calomnieuse. C'est le commissaire en personne qui répond à la deuxième lettre, demandant à Gercourt de fournir toutes les pièces d'état-civil nécessaires "afin qu'après examen je puisse, s'il y a lieu, vous répondre que vous n'êtes pas juif". Il s'appelle Xavier Vallat, le même Vallat qui, confiait récemment l'historien Robert Paxton au "Monde", "était convaincu que des juifs comme Blum, bien que nés français, étaient fondamentalement incapables de devenir d'authentiques français".
Le 10 juillet, nouvelle lettre du chef de cabinet de Vallat, indiquant :"M. Le Maréchal de France, Chef de l'Etat, a bien voulu me transmettre la lettre que vous lui avez adressée." Il demande à Gercourt de lui faire parvenir "une copie de votre acte de baptême ainsi que de celui de Mme Boulet et me donner toutes les précisions nécessaires quant à la religion de vos grands-parents".

Mots infâmes

On imagine ce que cela représentait de mettre la main sur ces papiers, dans une France en guerre, coupée en deux. Mon grand-père a-t-il aussi dû prouver qu'il n'était pas circoncis ? Je l'ignore... Mais c'était une demande courante.
Le 27 août 1941, Gercourt reçoit enfin son certificat de non-appartenance à la race juive. Fin du suspense, dont mon père garde un souvenir indélébile :
Cela n'a duré que trois mois, mais on a vécu trois mois d'angoisse."
En ce qui me concerne, je n'avais jamais vu un pareil document. En le découvrant, avec le nom de mon grand-père - mon nom - écrit noir sur blanc, mon sang s'est glacé. En quelques mots infâmes, il dit tout sur Vichy.
Philippe Boulet-Gercourt
Le certificat de non race juive délivré par l'administration de Vichy
 
http://tempsreel.nouvelobs.com/debat/20141107.OBS4450/zemmour-mon-grand-pere-et-les-juifs.html