jeudi 4 décembre 2014

Béziers sous Ménard : voyage à fachosland

Le maire de Béziers, Robert Ménard, devant l’hôtel de ville où il a fait afficher la devise républicaine : Liberté, égalité, fraternité. © Guillaume Bonnefont
Depuis plus de six mois, le très médiatique Robert Ménard dirige Béziers avec le soutien du Front national. Quel premier bilan en font les Biterrois ? Si l’homme de la rue plébiscite police municipale et baisse des impôts, les observateurs dénoncent l’absence de traitement de fond des problèmes économiques et sociaux.
Allées Paul-Riquet, lundi 20 octobre, 21 h. Une dégustation de vins est organisée sous les platanes et les nuages d’étourneaux. Soudain, une explosion d’aboiements déchire la nuit. Tenu en laisse par un policier municipal, un berger belge malinois, "vif et vigoureux",comme l’écrit Robert Ménard dans le journal municipal, tient en respect un type pétrifié. Selon les policiers, l’individu, alcoolisé, proférait des menaces de mort. Est-ce exact ? La nouvelle brigade canine est-elle un moyen d’intervention proportionné ? En tout cas, sur l’esplanade, personne n’y trouve rien à redire. Bienvenue à Béziers !
Au nouveau Béziers, devrait-on dire. Le 30 mars dernier, Robert Ménard, 61 ans, ancien journaliste patron de Reporters sans frontières (RSF), reconverti depuis 2009 en polémiste réac télé et radio, est élu maire de Béziers avec 47 % des voix – à l’issue d’une triangulaire l’opposant à l’UMP Élie Aloud (34,62 %) et au socialiste Jean-Michel Du Plaa (18,38 %). N’appartenant à aucun parti, Ménard a bénéficié du soutien du Front national, de Debout la République, de Mouvement pour la France et du Rassemblement pour la France (1). Pour les médias, l’affaire est entendue : Ménard dirige désormais la plus grande ville FN de France. Une cité de 71 000 habitants, marquée par la pauvreté et le délabrement, qui selon certains pourrait jouer les laboratoires d’une France frontiste en pleine ascension.
Une ville délabrée. La question est donc d’importance : plus de six mois après les élections municipales, comment les Biterrois perçoivent-ils la gestion Ménard ? L’homme de la rue voit-il une différence avec les dix-neuf ans de municipalité Cou- derc (UMP) qui ont précédé ? Et les experts – politiques, économiques, culturels –, quel bilan font-ils de ce début de mandat d’un tout nouveau genre ?
Mais à Béziers, comme partout, c’est d’abord le décor qui a des choses à dire. Avec sa cathédrale Saint- Nazaire perchée au-dessus de l’Orb, la cité cathare et ses ruelles médié- vales ne manquent pas de charme. Cependant, c’est bien vite un senti- ment de déclassement qui s’impose au visiteur.
Sur les allées Paul-Riquet, le Bar Angelica ou la boutique de La Redoute ne proposent plus que des vitrines vides et crasseuses. Dans le centre historique, les commerces aux rideaux fermés abondent. Tout comme les hôtels particuliers aux murs lépreux et aux volets clos, bien loin de la prospérité viticole de la fin du XIXe siècle, quand Béziers était la ville la plus riche du Languedoc. Parallèlement à cette dégradation économique et immobilière, la bourgeoisie a quitté le centre. Des familles plus modestes, souvent maghrébines ou gitanes, ont pris leur place, ainsi que des populations précaires. En particulier des SDF qui ont longtemps squatté les marches du théâtre des Franciscains, tout au bout des Allées.
"Eh bien ça, c’est fini, se félicite le serveur du Mathi’s, un salon de thé proche du théâtre.Depuis l’élection de Ménard, la police municipale les a fait partir (ils se sont en fait repliés un peu plus loin, dans des rues plus discrètes). Il y a aussi davantage d’animations sur les allées Paul- Riquet, brocante le mardi, animations sportives pour les jeunes le mercredi."
"Moins de racaille". Bien sûr, notre reportage n’a pas valeur de sondage. Mais force est de reconnaître que la quasi-totalité des Biterrois que nous avons interrogés dans la rue trouvent que la gestion Ménard va "dans le bon sens". "La ville est plus tranquille, plus sociable", comme dit Allisson, 14 ans.
À notre hôtel, la réceptionniste est plus précise : "Ménard a chassé les vendeurs de drogue qui se battaient devant notre porte. A présent, nos clients ne fuient plus en les voyant. Autre bon point : l’interdiction par arrêté du linge que certains font sécher aux fenêtres. Faut pas oublier qu’on est une ville touristique, quand même !"
Désormais, une voiture de police municipale stationne jusqu’à 23h sous la statue de Pierre-Paul Riquet, le fondateur du canal du Midi. Treize nouveaux agents ont été recrutés. Et d’ici quelques semaines, une fois l’autorisation de port d’arme à feu obtenue, la PM patrouillera toute la nuit (lire l’interview de Robert Ménard ci-joint). "Beaucoup reste à faire, mais y a moins de racaille en centre-ville", approuve Martine, une brocanteuse de 54 ans. En ajoutant, sans peur de l’amalgame : "Les Français en ont marre de l’immigration massive." La propreté est également plébiscitée : "Les poubelles sont mieux vidées, poursuit Martine. Et depuis l’arrêté anti-crottes, les gens les ramassent davantage. Tout ça avec moins d’impôt : ma taxe d’habitation, qui s’élève à 1 400, a baissé de 100 euros." Rare voix discordante dans ce concert de louanges, celle d’un jeune papa gitan : "Moi, je suis toujours au RSA, ça n’a pas changé avec le nouveau maire, le travail, je trouve pas"...
De la com’ pour faire parler de soi. Arrêtés anti-crottes, anti-linge, mais aussi anti-antennes paraboliques trop voyantes, anti-crachats, anti-jeunes de moins de treize ans traînant seuls la nuit, anti-manifs d’opposants aux corridas : en six mois, Robert Ménard a multiplié les annonces ultra-médiatisées, faisant sourire "dans certains arrondissements parisiens" (dixit le canard municipal), mais séduisant bon nombre de Biterrois.
Toutefois, certains d’entre eux se montrent critiques, notamment du côté des élus. D’abord, à l’instar d’Élie Aboud, ils pointent l’inutilité des arrêtés : "Ça n’a aucun sens, on ne peut pas mettre un policier derrière chaque cracheur, observe le député UMP. Ce n’est que de la communication pour manipuler les médias et faire parler de soi."
D’autres font remarquer que le texte anti-crachats fait doublon avec un décret pris en 1942... par le gouvernement de Vichy. Ou que la police n’a pas besoin d’un couvre-feu par arrêté local pour ramener chez lui en pleine nuit un mineur de moins de 13 ans.
Ensuite, les décrypteurs d’arrêtés en fustigent la fonction cachée. "Nationalement, il s’agit de transformer Béziers en vitrine politico-médiatique et en test pour le Front national",dénonce Brice Blazy, conseiller municipal qui vient de quitter la majorité Ménard – nous y reviendrons. "Localement, les arrêtés servent de messages subliminaux pour stigmatiser certaines populations", complète le conseiller général sociaiste Jean-Michel Du Plaa. En clair, ce sont les Maghrébins et les Gitans, réputés portés sur la parabole, le crachat dans la rue ou le linge au balcon, qui sont mis à l’index. En caressant un certain électorat dans le sens du poil...
Rien n’est réglé, au fond. Reste que  "ces arrêtés ne règlent absolument pas le problème de fond qui est d’ordre économique, déplore Agnès Jullian, PDG de Technilum (fabricant de lampadaires de 50 salariés) et conseillère municipale d’opposition (2). Au contraire, les polémiques qu’ils génèrent ont plutôt tendance à faire fuir les investisseurs". Et de rappeler que Ménard avait vanté pendant la campagne son carnet d’adresse international. Depuis, pas grand-chose, si ce n’est la perspective d’un jumelage avec une ville de Taiwan...
Or, il y a urgence. Troisième ville la plus pauvre de France, fortement endettée de surcroît, Béziers a été mise par la Préfecture sous surveillance spéciale depuis l’annonce de la baisse des impôts, donc des recettes en moins. Les relations assez fraîches entre un Ménard fustigeant "les corps intermédiaires" et le Conseil régional, tout comme le Département, ne devraient pas favoriser l’obtention de subventions. Quant à l’Agglo de Béziers, partenaire incontournable pour le développement économique, Ménard a d’abord menacé de la quitter, avant d’y revenir sans grand enthousiasme....
"On a pourtant des atouts à jouer, avance Brice Blazy, commercial formé à Sup de Co Montpellier : deux autoroutes, A9 et A75, un aéroport dynamisé par Ryan Air, une importante réserve foncière, le canal du Midi, un projet de gare TGV", soupire ce conseiller municipal en charge du développement économique, qui n’est pas vraiment arrivé à valoriser ses idées.
"Des HLM, Ménard n’en veut pas". Le volet social de la gestion Ménard n’est pas mieux pourvu. "Prenez le problème, bien réel, des mineurs qui traînent la nuit, commente le socialiste Du Plaa. Verbaliser des parents (NDLR : souvent insolvables), en brandissant un arrêté, ça ne sert pas à grand-chose. Ce qu’il faudrait faire, c’est les aider à mieux exercer leur autorité parentale et à mieux éduquer leurs enfants. Mais là, la mairie ne propose rien." A l’opposé, le budget du Centre communal d’action sociale a été réduit. Et le service Prévention-Médiation vient d’être rattaché... à la police municipale ! Idem pour le logement social. "Il y a beaucoup de taudis insalubres en centre-ville, occupés par des précaires, poursuit le conseiller général socialiste. Si on veut une meilleure mixité, et en finir avec des gamins réveillés la nuit par des cafards, il faut construire des HLM. L’Office a deux projets, mais Ménard n’en veut pas : il pense que les HLM font venir les Roms, alors que son rêve, c’est de vider le centre des pauvres." Certes, en matière urbanistique, comme sur les autres plans, Ménard hérite des trois mandats peu dynamiques du maire précédent. "Ça fait longtemps que la ville a abandonné toute ambition culturelle, regrette par exemple Jean Varela, directeur de Sortie Ouest, théâtre géré par le Conseil général. La programmation ne donne pas à réfléchir, ne questionne pas le monde."
Mais avec Ménard, les choses s’aggravent. Car "l’idéologie prend la place du questionnement culturel", s’inquiète Christophe Coquemont, créateur d’un Comité de vigilance. Ainsi, le palais des congrès est mis à disposition des penseurs d’extrême-droite, tel Éric Zemmour le mois dernier, Philippe de Villiers en décembre, peut-être Dieudonné et Alain Soral par la suite.
"Ménard de plus en plus despote". De surcroît, l’engagement catholique du maire est de plus en plus affiché. En témoigne la création d’une messe dans les arènes en ouverture de la feria – au grand dam des laïques et de certains occitans qui revendiquent le modèle cathare du vivre ensemble, un "paratge" qui mettait sur plan d’égalité catho- liques, juifs et musulmans.
Tous ces travers ont suscité plusieurs départs de responsables culturels (3). A présent, c’est le cœur de la machine qui se fissure. "A la mairie, l’ambiance est délétère, Ménard est de plus en plus despote", dénonce Alain Renouar, le chef du service Prévention-Médiation, qui attaque son licenciement "pour cause d’opinion".
"J’ai quitté la majorité municipale pour deux raisons, explique de son côté Brice Blazy, le représentant du RPF. Un : Ménard est de plus en plus influencé par des conseillers d’extrême-droite (4). Deux : il fait de la com’à objectif électoral régional ou national, pas de la gestion biterroise." Autrement dit, derrière le cinéma du héros des arrêtés, il n’y a pas de vrai plan d’action pour sauver Béziers.
Olivier Rioux
La Gazette de Montpellier n° 1377 - Du 6 au 12 novembre 2014
(1) Debout la République : parti national-républicain et gaulliste, créé par Nicolas Dupont-Aignan. Mouvement pour la France : parti souverainiste créé par Philippe de Villiers. Rassemblement pour la France : parti souverainiste et gaulliste, à la droite de l’UMP.
(2) Agnès Jullian est aussi une conseillère régionale sans étiquette, recrutée à la base par Frêche, puis débauchée par Élie Aboud pour les municipales à Béziers.
(3) Départs de Bruno Deschamps, directeur des affaires culturelles, Jean-Bernard Pom- mier, responsable du théâtre des Francis- cains, Michel Cardoze, conseiller culturel...
(4) En particulier le directeur de cabinet André-Yves Beck, ex-dircom’ de Bompard à Orange, ex-membre de Troisième Voie, ou Christophe Pacotte, membre du Bloc identitaire, ex-chef de cabinet de Ménard.


Alain Renouar, chef du service Prévention- Médiation : licencié.


Brice Blazy, conseiller municipal RPF qui a quitté la majorité Ménard.


Christophe Coquemont, animateur du Comité de vigilance biterrois.


Agnès Jullian, PDG de Technilum.


Jean-Michel Du Plaa, conseiller général socialiste.

LES MILLE ET UNE CASQUETTES DE "BOB" MÉNARD

Né en 1953 à Oran, Robert Ménard est fils d’un imprimeur, militant de l’OAS (organisation militaire clandestine pro-Algérie française). En 62, sa famille débarque en Aveyron, puis à Béziers, dans le quartier pauvre de la Devèze. Collégien dans un établissement religieux, il étudie ensuite la philo à la fac de Montpellier. C’est alors qu’il rejoint la Ligue communiste révolutionnaire (LCR, trotskiste), pendant six ans, puis le PS, de 79 à 81. Militant des radios libres, Ménard devient journaliste à Radio France Hérault. Puis il crée avec d’autres confrères Reporters sans frontières (RSF), qu’il dirige jusqu’en 2008. Influencé par sa femme, très catholique, il devient alors le chroniqueur réac des talk-shows. Pour finir à Béziers.


Des policiers municipaux sur les allées Paul-Riquet dont on voit la statue : treize nouveaux PM ont été recrutés.
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