mardi 17 novembre 2015

A Montpellier, des étudiants inquiets mais pas «va-t-en-guerre»

A Montpellier, des étudiants inquiets mais pas «va-t-en-guerre»

 |  PAR STÉPHANE ALLIÈS
Dans la cité étudiante aux multiples campus, on se sent solidaire de la jeunesse assassinée vendredi soir au Bataclan et dans les bars du centre-ville parisien. Mais on a du mal à se sentir en guerre. Et on redoute autant le terrorisme que ses effets sur une « France repliée ».
Le tramway de Montpellier est bondé, ce lundi peu avant 9 h, sur la ligne 1 des campus et des cités universitaires de lettres et de sciences. À l’intérieur, beaucoup d’étudiants allant en cours ou rentrant de chez leurs parents le sac débordant de linge propre. Certains ont les yeux rivés sur leur portable, mais beaucoup lisent des journaux, le plus souvent gratuits. Deux jeunes se racontent leur week-end, passé devant la télé à suivre les chaînes d’info en continu. L’un dit à l’autre : « – Tu le connaissais, toi ? – Il était avec moi en amphi, ouais, je sais qui c’est. Il venait pas souvent en cours, il était surtout ultra-fan de musique. » Lui, c’est Hugo, l’une des victimes du Bataclan, étudiant en mastère d’intelligence artificielle.
À la cafétéria de la fac de sciences, la vie continue. La terrasse est pleine sous un soleil éclatant. Les mains se “checkent” tout azimut pour se saluer. Certains se roulent un pétard, d’autres engloutissent un sandwich en guise de "petit déj' déjeunatoire". Blancs, Noirs, Arabes, Asiatiques, étudiantes voilées et étudiants au “look métalleux”. Ils seront plus de 2 000 à se rendre devant le bâtiment de l’administration centrale, pour rendre hommage aux tués des attentats de Paris du 13 novembre.
Étudiant en master d’informatique, Jamil juge « tout simplement naturel d’être là ». Il dit d’emblée que lui et ses amis sont musulmans, mais ajoute vite : « On n'a aucune raison de se justifier de quoi que ce soit, mais on fait avec. » Quand il dit « faire avec », c’est avec « ces rapaces de la classe politique qui surréagissent sans penser la situation à long terme ». À ses côtés, cheveux longs en arrière, Arthur dit« prendre conscience qu’on est vraiment en guerre ». Selon cet étudiant en master de mécanique, « aujourd’hui, on est attaqué sur notre sol. On a attaqué, on nous répond, il faut le réaliser. Ce n’est pas 14-18 ou 39-45, mais on n’est plus en sécurité ». Un peu plus loin, Céline est « émue » et a les larmes aux yeux. « Charlie et l’Hyper Casher, c’était ciblé. Là c’est tout le monde, pour peu qu’on aime se retrouver dans un bar ou à un concert. »
Alors qu’un brouhaha résonne autour des escaliers de l’entrée du bâtiment, il s’interrompt net à l’heure de midi. Le président de l’université, Philippe Augé, dit quelques mots, et appelle à « être plutôt unis dans le recueillement que dans des propos violents », et à se « fédérer non pas autour de la République, mais des valeurs de la République ». Il vante aussi l’université comme « un lieu d’échange des savoirs et de libre parole », et conclut : « Ne nous laissons pas atteindre dans notre humanisme. »Aux journalistes avec qui il discute ensuite, il dit vouloir rester « sobre » et « mesuré ». Doit-il renforcer la sécurité ? « On fera sans doute des contrôles aléatoires, mais on ne va pas se barricader non plus. Vous avez vu l’étendue du campus ? L’université est conçue comme un lieu ouvert… »
A la fac de sciences de Montpellier, minute de silence.A la fac de sciences de Montpellier, minute de silence. © S.A
À quelques encablures, à l’université de lettres Paul-Valéry, des barrières ont été disposées à l’entrée, et on demande les cartes d’étudiant. Un appariteur tente de réchauffer l’ambiance. « Bienvenue à la discothèque de Paul-Va, ici les baskets sont autorisées. » Devant la bibliothèque, Laura a les larmes aux yeux. Cette Lilloise devenue montpelliéraine depuis peu raconte à son amie Sarah qu’on lui avait proposé d’aller au concert du Bataclan. « Une copine m’avait motivée, mais maintenant j’habite trop loin. Je n’ai pas eu de nouvelles jusqu’au samedi soir. Elle s’en est sortie, mais blessée et complètement traumatisée. Je lui ai remonté le moral comme j’ai pu, mais je n’avais pas les mots, elle était paniquée, et moi aussi. » Face à elle, Sarah explique son « sentiment bizarre depuis ce matin » : « On est loin, mais on connaît tous quelqu’un qui connaît quelqu’un qui… »
Beaucoup des interrogés disent aussi avoir été plus ou moins récemment à Paris, et à chaque fois dans « les coins du drame ». C’est le cas de Paul, étudiant en master de cinéma. Sur la pelouse, il discute avec son professeur, tandis que d’autres élèves travaillent sur « un plan à la Terence Malick ». « Essaie déjà de faire un plan net », chambre à moitié le prof. Celui-ci n’a pas évoqué les attentats ce matin (« Ce n’est pas mon métier »), mais nous incite à discuter avec les étudiants. Et Paul a envie de parler.
Il a « flippé tout le week-end pour ses potes à Paris», a « regardé BFM en prenant un maximum de recul » et « a discuté avec les anciens de [sa] famille », car il n’avait « pas le courage de faire la fête ». Ce natif de Fontainebleau dit sa « crainte des dérives suite aux mesures qui vont être prises ». « Qu’elles soient justifiées en état de crise, je suis pour, mais j’ai peur que le temporaire s’installe », explique Paul. S’il estime que « dans le milieu étudiant, on est modéré sur les amalgames », il pense « urgent de continuer à vivre » : « Si on reste barricadé chez soi, on devient comme un cours d’eau qui tarit, qui macère et devient un vivier de mauvaises bactéries. »
Surtout, cet adepte des jeux vidéo de stratégie ne comprend pas celle du pouvoir politique. « À World of Warcraft, j’aurais jamais fait comme ça. Si ma base centrale est attaquée, je rapatrie les troupes pour se renforcer là où on est attaqué, puis on prépare une vraie contre-attaque d’ampleur. Attaquer d’entrée la base ennemie, c’est un non-sens. » Pas belliqueux pour autant, Paul redoute « les risques que soient touchées des populations civiles », et dit ne pas pouvoir s’empêcher de craindre « un appel aux armes, à la conscription ».

Le rejet du mot "guerre"

À la faculté de droit, en centre-ville, sur les marches du bâtiment central, les discussions autour des kebab-frites sont passionnées. « C'est l'idéologie qu'il faut combattre, celle de l'obscurantisme mais aussi les théories du complot, celle des amalgames et des racismes décomplexés, estime Guilhem. On a préparé un terrain intellectuel pour que tout ça dégénère. » Selon lui, « le problème c’est qu’on ne fait jamais confiance aux gens : aucun état d'urgence, aucun régime sécuritaire, n’empêchera une “kalach” de faire des dégâts. » Il débattra un long moment avec sa copine, Camille, de l’attitude à avoir face à la religion. « Plus tu l'aimes, moins tu réfléchis », dit l’un.« C’est sur les religions qu’il faut s'appuyer pour changer, répond l’autre, il faut davantage les comprendre, les enseigner. » Cela ne les empêchera pas de s’embrasser et de partir en cours main dans la main.
Dans le bâtiment de science politique, on croise Alexandre Dézé, universitaire spécialiste du FN. Lui ne s'est pas senti d’engager un débat avec ses étudiants de première année. Il leur a juste parlé, « une dizaine de minutes la voix chevrotante, pour leur dire qu’on était ici dans le lieu de la connaissance, et que la logique était donc de faire cours ». Il estime qu’à l’université, « les maîtres n’ont pas le même rôle qu’au lycée ou au collège », et n’est pas « sûr d’avoir des choses intelligentes sur le sujet », soulignant qu’il faut « rester politiquement neutre ». Il comptera en revanche discuter de l’événement avec ses étudiants plus âgés, dans ses cours de communication politique. « Car ça a un rapport direct avec ce que l’on enseigne. »
Son collègue Antoine Guiral, en revanche, a prévu de discuter avec sa dizaine d’étudiants en master « métier du journalisme ». Cet ancien journaliste de Libération(et fondateur du futur site Les jours) explique « le besoin d’en parler comme citoyens et aussi comme futurs journalistes ».
Côté médias, ils se félicitent que « le problème BFM ait été contenu ». « Des leçons ont été tirées des attentats de janvier, les télés ont arrêté le direct quand ça devenait trop dangereux. C’est bien de ne pas avoir les images en fait », dit Gaëlle. « J’ai acheté la presse, et j’étais très émue par les mots. Ça choque moins que les images, mais ça touche plus », enchaîne Virginie. Le rôle des réseaux sociaux est aussi vivement débattu, souvent jugé néfaste, mais aussi souvent cité en exemple.
Côté citoyen, ils rejettent en bloc le mot « guerre » entendu tout le week-end. « Le mot fait peur, mais en vrai on ne sait même pas ce que ça veut dire », dit une autre Gaëlle.« On a l’impression qu’on va faire la même chose que celle qu'ils viennent de nous faire », soupire Aurélien. « Je suis consterné par les frappes à Raqqa, et je ne comprends pas pourquoi Manuel Valls déploie le même discours que celui du FN », ajoute Jonathan. Lui trouve « fou qu’on ne réfléchisse pas plus sur nos interventions militaires et nos ingérences internationales : on répète sans arrêt qu’on est le pays de la liberté, mais on est aussi un pays des ventes d’armes ». Mais pour Alexis, « les frappes rassurent les 60 millions de Français qui attendent une réaction, alors c’est compliqué pour les dirigeants politiques. “Guerre”, c’est nouveau pour tout le monde, ça fait peur, ça mobilise ».
Loubna confie elle son « sentiment d’être doublement touchée, comme Française et comme étant de famille musulmane ». «J’étais au rassemblement samedi, et je viendrai à la marche de solidarité, s’il y en a une d’organisée, assure-t-elle, mais je n’ai pas du tout envie d’y venir avec une pancarte “Je suis musulmane”, ça ne me plaît pas du tout. C’est privé, et je n’en parle jamais, donc si j’y suis, c’est comme Française ».

source : http://www.mediapart.fr/