mardi 17 novembre 2015

Le juge Marc Trévidic: «Il faut travailler sur les causes»

Marc Trévidic a été juge d’instruction au pôle antiterroriste de Paris pendant dix ans, et était chargé des dossiers islamistes. Il a été promu cet été au tribunal de grande instance de Lille, un juge d’instruction ne pouvant rester plus de dix ans au même poste.

Le juge Marc Trévidic: «Il faut travailler sur les causes»

 |  PAR MICHEL DELÉAN
Pour l'ancien juge d’instruction au pôle antiterroriste de Paris « la porte de sortie, c’est un travail contre la radicalisation et contre l’idéologie islamiste. Ça peut prendre dix ou quinze ans ».

Marc Trévidic.Marc Trévidic. © Reuters
Que nous apprennent le mode opératoire des attentats et le profil des kamikazes du 13 novembre ?
Ce sont des gens qui ont du sang-froid, qui sont déterminés, même si ces attentats ne requièrent pas une très grande technicité sur le plan militaire. On est dans le pur produit « État islamique » actuel. Pour tirer de sang-froid sur autant de gens et les tuer sans trembler, j’ai tendance à penser intuitivement qu’ils se sont battus sur le terrain, en Syrie ou en Irak, ou au moins quelques-uns d’entre eux.
La découverte d’un passeport syrien près d’un corps a-t-elle du sens ?
Il est possible qu’ils aient constitué un groupe mixte, avec des Français, quelques Syriens ou des Égyptiens. Si c’est le cas, cela peut vouloir dire que les petits Français n’étaient pas prêts à mourir, ou qu’ils n’étaient pas suffisamment au point et qu’il fallait les encadrer par des gens plus aguerris. L’avenir nous le dira, l’enquête ne faisant que démarrer. Mais le circuit par l’île de Leros qui a été évoqué à propos de ce Syrien, me paraît un peu bizarre et compliqué. Il y a des filières en France, des réseaux de soutien qui peuvent fournir l’hébergement et les armes. C’est plus simple.
Et en Belgique ?
Il y a déjà eu trois affaires avec des filières de ce type en Belgique. La ville de Molenbeek[dans l'agglomération de Bruxelles, où des arrestations ont eu lieu samedi – ndlr] a déjà connu une affaire de fourniture d’armes. Il y a un foyer salafiste assez ancien sur place, et pas mal de gens sont partis de la ville pour aller en Syrie. Dans les dossiers que j’ai vu passer à l’antiterrorisme, on s’aperçoit que beaucoup de types ont réussi à aller en Syrie et à en revenir sans qu’on le sache. Même en croisant le renseignement, les signalements et la surveillance des voyages en avion, on n’a pas l’outil parfait. D’autant qu’il y a aussi ceux qui passent par la route.
Les attentats en France ne sont pas finis selon vous.
Bien sûr que non. C’est une bataille. Ils vont certainement jouer au chat et à la souris quelque temps, et ça peut reprendre. La vraie question est de comprendre leur stratégie. Que veulent-ils obtenir ? Qu’on entre complètement en guerre sur le terrain, en Syrie ou ailleurs, avec des troupes au sol ? Je ne sais pas. En tout cas, ils ne sont pas idiots et ils nous connaissent bien : ils savent bien que la France ne va pas arrêter ses frappes et retirer ses avions. Ils veulent certainement nous attirer dans une guerre, mais cette guerre, ils risquent aussi de la perdre. Ben Laden savait qu’il perdrait ses camps d’entraînement et ses infrastructures après les attentats du 11-Septembre, mais pour lui, le gain des attentats était plus grand. Ils n’ont pas notre logique, ce sont des nihilistes. Dans leur vision, on se bat jusqu’à la fin du monde. Sur Internet, ils parlent de bataille finale et de fin du monde, le « cham ». C’est leur vision du Coran.
Que peut-on faire ?
À court terme, il faut renforcer les effectifs de la DGSI [Direction générale de la sécurité intérieure], de la PJ [police judiciaire], et créer d’autres postes de magistrats antiterroristes. Depuis les attentats, la masse de travail est considérable, et plombe tous les autres dossiers. La France restera le pays le plus exposé aux attentats, à cause de notre diplomatie et de nos opérations extérieures, mais aussi parce que les terroristes détestent notre façon de vivre, notre mixité et notre rapport à la laïcité. La porte de sortie, c’est un travail contre la radicalisation et contre l’idéologie islamiste. Ça peut prendre dix ou quinze ans, il faut travailler sur les causes, tout en luttant contre les groupes terroristes et en empêchant les attentats. Ça fait trente ans qu’on vit avec le terrorisme islamiste, ça ne va pas disparaître comme ça.
source : http://www.mediapart.fr/