vendredi 20 novembre 2015

Guerre idéologique : Le plus beau service que la France peut rendre à l’islam


« Daech est passé là. Tout est ruine et deuil/Paris, ville des vins, n'est plus qu'un sombre écueil. » Victor Hugo en son temps avait traduit l'effroi de la guerre entre Grecs et Turcs. Daech a remplacé les Turcs et Paris Chio, mais l'effroi demeure. Et pour la première fois depuis la guerre d'Algérie, la France se sent en guerre.
Daech – qui a attaqué la Russie il y a deux semaines parce que Poutine avait décidé de bombarder la Syrie – s'en prend maintenant à la France. Des témoignages des victimes, on retient cette phrase attribuée aux terroristes : « C'est la faute de votre Président, il n'a pas à intervenir en Syrie. » Œil pour œil, dent pour dent. Et ils pensent probablement déjà aux Etats-Unis, l'autre grande puissance impliquée dans les bombardements anti-Daech en Syrie. Le message est donc différent des attentats contre Charlie Hebdo et l'épicerie casher : ce n'est pas l'idée même de liberté qui est ciblée, c'est la jeunesse française, sa joie de vivre, sa force qui est visée.
Puisque c'est la guerre de Syrie qui est en jeu, la France va devoir faire évoluer sa position vers plus de Realpolitikcomme je l'évoquais déjà la semaine dernière. La ligne qui a été tenue jusqu'à présent - « Rien qui pourrait conforter Bachar bourreau de son peuple » - va sauter. Et tout doit être fait pour organiser une coalition contre Daech, avec les ennemis d'hier qui sont tous, pour des raisons différentes, unis par les mêmes intérêts : les Américains et les Russes rejoints par les Français et les Anglais, d'accord pour ne plus faire du départ de Bachar al-Assad un préalable à toute discussion.
Mais aussi les Iraniens et les Saoudiens, avec les Turcs et les Qataris, tous dorénavant hostiles à Daech. Depuis longtemps pour les Iraniens (Daech cible les chiites et leur ami Bachar), depuis plus récemment pour les Turcs et les Saoudiens, qui ont compris malgré tout que le démantèlement de la Syrie et de l'Irak tel que mené par Daech ne pouvait que créer le chaos au Proche-Orient et finalement faire le jeu de leurs pires ennemis : les Kurdes pour Erdogan, les Iraniens pour les Saoudiens. Quant aux Syriens eux-mêmes, pro ou anti-Bachar, ils sont finalement dépassés par les événements.
La question est simple : Iraniens et Saoudiens vont-ils être capables de s'entendre sur une vision commune de l'équilibre des forces au Proche-Orient ? Rendre possible cette entente, c'est probablement le rôle que devrait prendre aujourd'hui Barack Obama, lui qui a décidé de remettre en selle les Iraniens, lui l'allié historique des Saoudiens. De cet accord dépend le déploiement d'une force internationale crédible, sur le terrain, en Syrie (et en Irak d'ailleurs) pour lutter contre Daech, avec les bons outils : une couverture aérienne, une infanterie spécialisée mais aussi et peut-être surtout, des négociateurs capables de parler aux tribus sunnites locales pour les retourner, comme les Américains avaient su – provisoirement - le faire en 2005 et 2006 face à al-Qaïda.
La France est en guerre contre Daech. Mais elle n'est pas en guerre contre l'islam ni contre les musulmans. Bien sûr, des voix généreuses vont s'élever pour s'inquiéter de l'amalgame. Bien sûr, des musulmans vont se plaindre de l'islamophobie. Bien sûr, quelques mosquées vont être salies avec des graffitis hostiles. Mais, contrairement aux idées reçues, les Français savent très bien faire la part des choses.
Si ce n'était pas le cas, la France serait en guerre civile. Et pourtant, rien. Ou presque. Depuis le début des années 1980 et les premiers attentats, l'actualité française et internationale est remplie des crises en Palestine, en Jordanie, au Liban, en Irak, en Afghanistan et aujourd'hui en Syrie, des révolutions islamiques (Iran) ou démocratiques (Tunisie et Printemps arabe) et des attentats terroristes (de la rue des Rosiers au 13 novembre 2015, en passant par la gare RER à Saint-Michel en 1995, les attentats de 1986 et bien sûr Charlie et l'Hyper Casher en début d'année). Les débats sur l'islam font les gros titres de l'actualité : débat sur le voile en 1993, à nouveau débat sur le voile en 2003, débat sur l'identité nationale, débat sur les terroristes de Charlie, islamisation des banlieues. Crainte d'une cinquième colonne, menace sur l'identité française, assassinats ciblés ou pas… La crise de l'islam sature l'espace médiatique depuis 40 ans.
Dans d'autres contextes, et par exemple dans le monde arabe que je connais bien, une telle confrontation entre la population majoritaire et une minorité religieuse se serait terminée par des lynchages sauvages. En France, bien sûr, les discriminations sont très importantes, la peur s'installe après des attentats, certains discours dérapent. Mais, finalement, il n'y a pas de confrontation. Il n'y pas de guerre en France ni contre l'islam ni contre les musulmans.
Ce qui ne signifie pas qu'il ne faille pas agir. Formation des imams, enseignement de l'arabe, représentation des musulmans, financement du culte, les dossiers sont ouverts depuis de nombreuses années. Quelques aberrations persistent : l'Education nationale fait tout pour ne pas ouvrir de classes d'arabe là où il y a des élèves d'origine arabe. C'est de l'idéologie assimilationniste : on n'a pas appris le breton aux Bretons, il ne faut pas apprendre l'arabe aux Arabes. Du coup, ils vont apprendre l'arabe à la mosquée. Est-ce ce que l'on veut ?
Le financement du culte, lui, est toujours assuré par des Etats étrangers, avec la bénédiction de la République, qui trouve un intérêt commun avec le Maroc, l'Algérie et la Turquie à faire du contrôle social par l'intermédiaire des mosquées et des imams que ces pays envoient. Quant à l'argent du halal, il ne circule pas. Il est accaparé par quelques mosquées et personnalités qui l'utilisent pour renforcer leur pouvoir. Dans ces domaines, agir est compliqué, il faut le reconnaître : les musulmans ne veulent pas s'organiser par eux-mêmes, les intérêts sont divergents et aucune conscience communautaire n'émerge vraiment.
Mais là n'est pas l'essentiel. Le plus important à mes yeux est idéologique. C'est dans ce domaine qu'il faut faire la guerre, en France. Car le discours sur l'islam, la vision de l'islam, la représentation de ce qu'est l'islam, sont devenus le monopole du duopole formé par les Frères musulmans et les salafistes. Alors que les intégristes ne représentent probablement que 10 % des Français et étrangers vivant en France de culture musulmane, ils dominent le débat et les représentations, sans parler bien sûr des djihadistes.
C'est contre eux qu'il faut se battre, avec les armes de la communication et du marketing, du savoir-faire en matière de fabrication du discours, en imaginant une promesse capable d'attirer à elle et à la France des jeunes souvent désœuvrés, soucieux de substituer à leurs identités partielles française et maghrébine une identité universelle.
Mener cette guerre, la gagner, c'est probablement le plus beau service que la France pourrait rendre à l'islam.
Hakim el Karoui est fondateur du Club XXIe siècle.
http://www.lopinion.fr/edition/autres/plus-beau-service-que-france-peut-rendre-a-l-islam-90584