dimanche 10 janvier 2016

La croyance religieuse n'est-elle qu'une illusion ?



Ce travail est en cours, il s'agit donc d'une partie d'un ensemble plus vaste. 

Définitions préalables : 

Qu'est-ce qu'une religion ?

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 Une religion est un ensemble d'idées, de prescriptions morales, de comportements souvent ritualisés organisés autour de deux affirmations principales : 

1) Il existe  un principe absolument premier, un être suprême, éternel, qui est à la base de tout ce qui existe. Ce principe reçoit des noms différents: Dieu, l'Eternel, Brahman, Allah, le grand Esprit... Mais quelle que soit la religion, on peut retrouver l'idée d'un Etre qui est premier et qui porte en lui la totalité de tout ce qui existe.
Il faudrait montrer que c'est vrai même des religions "polythéistes", que derrière la pluralité des "dieux", il y a une intuition plus ou moins claire de ce principe suprême.Nous ne pouvons pas le faire ici, mais pour éviter qu’une telle thèse soit rejetée d’emblée, nous indiquerons ce qu’en pense un spécialiste de la question :
« La thèse du monothéisme primitif de Wilhem Schmidt semble plutôt confirmée par les travaux les plus récents en histoire des religions. Mircéa Eliade repousse toute théorie évolutionniste et pense pouvoir affirmer dès l’origine la croyance en un être suprême qui a les attributs du Dieu créateur. (…) L’existence d’un être suprême, créateur du monde, maître de la vie et de la mort, n’est pas contradictoire avec l’existence d’une multiplicité de dieux qui participent à un titre quelconque aux privilèges de la divinité. Par exemple le concept grec de la divinité est polythéiste. Parce que le monde est plein de divin, il y aura une multiplicité de dieux. Mais cette famille de dieux n’exclut pas l’idée d’un être suprême, père des dieux et des hommes. »
Claude Geffré ; article « L’affirmation de Dieu » ; Encyclopédia Universalis. (1985)

2) L'homme doit se relier à ce principe s'il veut accomplir pleinement sa vie. "Religion" a pour étymologie possible "religare" qui signifie en latin relier. Il s'agit pour l'homme de se relier, c'est-à-dire de rétablir le lien entre lui et le principe dont il est issu. S'il ne rétablit pas ce lien, il est perdu, sans vrai bonheur, ni dans cette vie ni dans l'au-delà.


 Qu'est-ce qu'une illusion ?

Une illusion est une apparence qui passe pour une réalité. L'apparence est alors trompeuse : on croit voir quelque chose mais ce quelque chose n'existe pas, ou en tout cas pas comme on le perçoit. Ainsi l'illusion d'optique. Le propre de l'illusion est qu'elle ne cesse pas dès lors que je comprends qu'il s'agit d'une illusion. Elle persiste et je dois faire un effort pour refuser ce qu'elle me suggère. illusion.gif
La plupart des illusions sont  liées à des désirs : on a envie de percevoir les choses d'une certaine manière, quitte à refuser de voir ce qui ne va pas dans le sens de nos désirs.
Certains pensent que la religion est une illusion : elle serait une invention des hommes qui ont envie de se rassurer en imaginant qu'il y a un être qui les a faits et qui s'occupe d'eux. Même si cet être ne se voit pas, on l'imaginera, on croira voir des signes de sa présence dans des phénomènes naturels. Et on aura tendance à croire que si nous lui sommes agréables, il nous récompensera dans cette vie ou après. Ce qui expliquerait les rites, les prières, les sacrifices...


 
Recherche  des arguments : 

Pour répondre à la question, on commencera par examiner la possibilité de répondre par "non, la croyance religieuse n'est pas qu'une illusion".

 Si la croyance religieuse n'était qu'une illusion, la croyance en l'existence de Dieu serait absurde, dénuée de tout fondement. Car on peut critiquer une illusion et montrer que la réalité qu'elle prétend manifester n'existe pas. L’usage de la raison devrait aboutir sinon à dissiper totalement l’illusion, du moins à l’identifier en tant que telle. Si la religion est une illusion, cela signifie que ce dont elle parle n’existe pas : il n’y a ni Dieu ni bien sûr de relation entre Dieu et l’homme. Mais peut-on démontrer que Dieu n'existe pas ? Que sa possibilité même est absurde ? Si tel était le cas, il n'y aurait pas d'arguments logiques pour aller dans le sens de l'affirmation de l'existence de Dieu. La croyance religieuse serait irrationnelle. C’est d’ailleurs bien ainsi que l’entendent tous ceux qui font de la croyance religieuse une sorte de maladie infantile de l’esprit humain, une sorte de délire reposant à la fois sur l’ignorance et sur la crainte. Or il y a des arguments qui vont bien dans le sens  de l'existence de Dieu, arguments qui sont soutenus par des personnes tout à fait rationnelles, qui exercent leur raison dans des domaines scientifiques, philosophiques, historiques.... Voyons quels sont ces arguments.

 
a)      L'argument de l'ordre.

Cet argument se trouve dans la Bible, dans le Coran, mais aussi chez des scientifiques et des philosophes. Il est appelé par Kant la « preuve physico-théologique ».

Dans la Bible, il est indiqué par exemple par Saint Paul :

« En effet la colère de Dieu se révèle du haut du ciel contre toute impiété et toute injustice des hommes, qui tiennent la vérité captive dans l’injustice ; car ce qu’on peut connaître de Dieu est pour eux manifeste : Dieu en effet le leur a manifesté. Ce qu’il a d’invisible depuis la création du monde se laisse voir à l’intelligence à travers ses œuvres, son éternelle puissance et sa divinité, en sorte qu’ils sont inexcusables ; puisque, ayant connu Dieu, ils ne lui ont pas rendu, comme à un Dieu, gloire et action de grâces, mais ils ont perdu le sens dans leurs raisonnements et leur cœur inintelligent s’est enténébré : dans leur prétention à la sagesse ils sont devenus fous et ils ont changé la gloire du Dieu incorruptible contre une représentation, simple image d’hommes corruptibles, d’oiseaux, de quadrupèdes, de reptiles. »
Epître aux Romains, 1, 18-25
 Saint Paul
















Il constitue la « 5ème voie » par laquelle Saint Thomas d’Aquin pense démontrer l’existence de Dieu :
La 5ème manière de démontrer l’existence de Dieu se tire de l’ordre présent dans le monde. Les êtres naturels sans connaissance se comportent selon des lois précises et composent un univers ordonné. Or cela ne peut être dû au hasard, mais à une intention qui n’est pas dans ces êtres eux-mêmes, puisqu’ils n’en ont pas. « Il y a donc un être intelligent par lequel toutes choses naturelles sont ordonnées à leur fin, et cet être, c’est lui que nous appelons Dieu. »

               Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, 1ère partie, question 2, article 3. (1266-1273)

Horloge



Il e st exprimé  ainsi   par Voltaire : « L’univers m’embarrasse, et je ne puis songer 
Que cette horloge existe, et n’ait point d’horloger. »

Voltaire, Les Cabbales, 1772.

On le trouve chez Newton :
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« Cet admirable arrangement du soleil, des planètes et des comètes, ne peut être que l’ouvrage d’un être tout-puissant et intelligent. Et si chaque étoile fixe est le centre d’un système semblable au nôtre, il est certain que, tout portant l’empreinte d’un même dessein, tout doit être soumis à un seul et même Etre: car la lumière que le soleil et les étoiles fixes se renvoient mutuellement est de même nature. De plus, on voit que Celui qui a arrangé cet Univers, a mis les étoiles fixes à une distance immense les unes des autres, de peur que ces globes ne tombassent les uns sur les autres par la force de leur gravité.  Cet Etre infini gouverne tout, non comme l’âme du monde, mais comme le Seigneur de toutes choses. Et à cause de cet empire, le Seigneur-Dieu s’appelle Panokratos, c’est-à-dire le Seigneur universel ... Le vrai Dieu est un Dieu vivant, intelligent, et puissant; il est au-dessus de tout et entièrement parfait. Il est éternel et infini, tout-puissant et omniscient, c’est-à-dire qu’il dure depuis l’éternité passée et dans l’éternité à venir, et qu’il est présent partout dans l’espace infini: il régit tout; et il connaît tout ce qui est et tout ce qui peut être. »

 Isaac Newton, Scholie général des Philosophiae naturalis Principia Mathematica ; 1713.

Einstein le reprend à son compte, même s’il refuse d’attribuer à Dieu la personnalité et des intentions particulières :

Einstein

« J’éprouve l’émotion la plus forte devant le mystère de la vie. Ce sentiment fonde le beau et le vrai, il suscite l’art et la science. Si quelqu’un ne connaît pas cette sensation ou ne peut plus ressentir étonnement ou surprise, il est un mort vivant et ses yeux sont désormais aveugles. Auréolée de crainte, cette réalité secrète du mystère constitue aussi la religion. Des hommes reconnaissent alors quelque chose d’impénétrable à leur intelligence mais connaissent les manifestations de cet ordre suprême et de cette beauté inaltérable. Des hommes s’avouent limités dans leur esprit pour appréhender cette perfection. Et cette connaissance et cet aveu prennent le nom de religion. Ainsi, mais seulement ainsi, je suis profondément religieux, comme ces hommes.
L’esprit scientifique, puissamment armé en sa méthode, n’existe pas sans la religiosité cosmique. Elle se distingue de la croyance des foules naïves qui envisagent Dieu comme un être dont on espère la mansuétude et dont on redoute la punition – une espèce de sentiment exalté de même nature que les liens du fils avec le père – comme un être aussi avec qui on établit des rapports personnels, si respectueux soient-ils.Mais le savant, lui, convaincu que la loi de causalité régit tout événement, envisage l’avenir et le passé comme soumis aux mêmes règles de nécessité et de déterminisme. La morale ne lui pose pas un problème avec les dieux, mais avec les hommes. Sa religiosité consiste à s’étonner, à s’extasier devant l’harmonie des lois de la nature dévoilant une intelligence si supérieure que toutes les pensées humaines et toute leur ingéniosité ne peuvent révéler, face à elle, que leur néant dérisoire. Ce sentiment développe la règle dominante de sa vie, de son courage, dans la mesure où il surmonte la servitude de ses désirs égoïstes. Indubitablement, ce sentiment se compare à celui qui anima les esprits créateurs et religieux de tous les temps. »
 Einstein ; Comment je vois le monde, 1930-35.

                         

b)      L'argument de la cause première.

Il  est appelé par Kant la « preuve cosmologique ». Il peut être formulé ainsi : le monde doit avoir une cause. Or toute cause prise à l’intérieur du monde a elle-même une cause, et ainsi à l’infini. Mais le monde existe, il doit donc avoir une cause qui l’a déterminé à exister. Cette cause ne peut se trouver dans un état antérieur du monde. Elle se trouve donc hors du monde. Il faut donc poser qu’il existe hors du monde une cause qui n’ait pas elle-même besoin d’une autre cause et qui soit l’être absolument nécessaire, l’être éternel, l’être que l’on appelle Dieu.
Cet argument se trouve chez Saint Thomas d’Aquin, il constitue la deuxième voie que la raison peut emprunter pour démontrer l’existence de Dieu :

La deuxième voie part de la notion de cause efficiente. C’est-à-dire la cause qui produit directement un événement. Ainsi le feu produit de la fumée. S’il n’y a pas de feu, il n’y a pas de fumée. On constate qu’il y a un ordre des causes efficientes. Telle cause produit tel effet, qui peut lui-même être la cause d’autres effets. Mais une cause efficiente ne peut être cause d’elle-même : le feu ne se produit pas tout seul, il a lui-même une cause. « Or il n’est pas possible non plus qu’on remonte à l’infini dans les causes efficientes, car parmi toutes les causes efficientes ordonnées entre elles, la première est cause des intermédiaires et les intermédiaires sont cause du dernier terme, que ces intermédiaires soient nombreux ou qu’il n’y en ait qu’un seul.  D’autre part, supprimez la cause, vous supprimez aussi l’effet. Donc, s’il n’y a pas de premier, dans l’ordre des causes efficientes, il n’y aura ni dernier, ni intermédiaires .Mais si l’on devait monter à l’infini dans la série des causes efficientes, il n’y aurait pas de cause première ; en conséquence, il n’y aurait ni effet dernier, ni cause efficiente intermédiaire, ce qui est évidemment faux. Il faut donc nécessairement affirmer qu’il existe une cause efficiente première, que tous appellent Dieu. »
 Saint Thomas d'Aquin-copie-1
Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, 1ère partie, question 2, article 3. (1266-1273)






c)       L’argument de la raison suffisante.

Pourquoi y a-t-il quelque chose plutôt que rien ? Pourquoi le monde existe-t-il et pourquoi ce monde là plutôt qu’un autre ? A ces questions la physique ne peut répondre. Même si elle peut travailler avec l’hypothèse du « Big Bang » (rappelons d’ailleurs que cette hypothèse est due pour une large part à un physicien qui était aussi un prêtre catholique, Georges Lemaître), la physique ne peut que s’arrêter à une cause donnée dont elle puisse étayer l’existence en la référant à une expérience.lemaitre.jpg
Du « Big Bang » lui-même, on peut demander : qu'y avait-il avant ? Et pourquoi avait-il telles caractéristiques ? Le physicien qui veut s’en tenir à ce qu’il peut physiquement prouver refusera sans doute de répondre. La question portant sur « l’avant » n’a pas de sens si on prend comme principe que le temps lui-même « commence » avec le « Big Bang ». De même la question « pourquoi ? » évoque une finalité qui ne peut être testée expérimentalement. Mais rien n’empêche de tenter d’aller plus loin et donc de chercher une cause métaphysique. Ce que peut faire aussi, on le verra, le physicien qui ne veut pas s’en tenir à la physique. Cette voie a été empruntée par Leibniz. Selon ce philosophe, mathématicien et physicien de surcroît (Leibniz est avec Newton à l’origine du calcul intégral), la raison fonctionne selon deux principes :
« Nos raisonnements sont fondés sur deux grands principes, celui de la contradiction, en vertu duquel nous jugeons faux ce qui en enveloppe, et vrai ce qui est opposé ou contradictoire au faux. Et celui de la raison suffisante, en vertu duquel nous considérons qu’aucun fait ne saurait se trouver vrai, ou existant, aucune énonciation véritable sans qu’il y ait une raison suffisante pourquoi il en soit  ainsi et non pas autrement. »
Leibniz, Monadologie. (1714)

Il est donc tout à fait conforme à la raison de chercher à savoir pourquoi il y a un monde et pourquoi il est comme il est.
Même si le monde était éternel, chaque « big Bang » étant le point de « départ » d’un cycle et la « fin » d’un précédent, la question se poserait tout de même.

 «On peut donc imaginer un monde éternel : on ne pose jamais qu’une succession d’états et aucun d’entre eux ne donne de raison suffisante ; bien plus, si haut qu’on remonte, on ne fait pas le plus minime progrès vers une raison : par suite il est manifeste que la raison doit être cherchée ailleurs. Cependant on comprend qu’il y a une raison. »Leibniz, De l’origine radicale des choses. (1697)leibniz-copie-1.jpg

Où chercher cette raison si elle ne peut se trouver dans le monde lui-même ?

 « Les raisons de ce monde résident donc en quelque réalité qui lui est extérieure et diffère de la chaîne des états ou série des choses, dont l’agrégat du monde est fait. Ainsi faut-il en venir, d’une nécessité physique ou hypothétique qui détermine les événements postérieurs du monde à partir des antérieurs, à quelque chose qui soit une nécessité absolue ou métaphysique et dont on ne puisse rendre raison. La présence du monde en effet est nécessaire physiquement ou hypothétiquement, mais non absolument ou métaphysiquement. Etant une fois posé qu’il est tel, en conséquence toutes choses doivent se produire. Donc, puisque la racine dernière doit être dans quelque chose qui soit d’une nécessité métaphysique, et que la raison d’une existence ne saurait venir que d’une existence, il faut qu’il existe quelque être unique d’une nécessité métaphysique (ou dont l’essence est l’existence) et pour cela, qu’il existe quelque être distinct de la pluralité des êtres (ou du monde) qui, nous l’avons reconnu et démontré, n’est pas d’une nécessité métaphysique. »
Leibniz, De l’origine radicale des choses. (1697)

Cet « être distinct », c’est bien sûr l’être suprême, celui qui n’a pas besoin d’un autre être pour exister et qui produit à la fois les choses possibles et les choses réelles ainsi que leurs lois, selon le principe du maximum d’existence. «  Par là on comprend très manifestrement que parmi les infinies combinaisons de possibles et de séries possibles, celle qui existe est celle par laquelle la plus grande quantité d’essence ou de possibilité est amenée à l’existence. »
Leibniz, De l’origine radicale des choses. (1697)

source : http://philosophia.over-blog.com/article-la-croyance-religieuse-n-est-elle-qu-une-ilusion-88945638.html