
L'auteur britannique de Deux ans, huit mois et vingt-huit
nuits, commente dans un entretien accordé à L'Obs la crise politique et
religieuse qui se profile dans les pays européens où «l'islam s'est
radicalisé».
«Il faut arrêter l'aveuglement stupide face au djihadisme
qui consiste à dire que cela n'a rien à voir avec l'islam», affirme avec
conviction l'écrivain britannique Salman Rushdie lors d'un entretien accordé à
L'Obs. «Je suis en désaccord total avec ces gens de gauche qui font tout pour
dissocier le fondamentalisme de l'islam», ajoute l'auteur de Deux ans, huit
mois et vingt-huit nuits.
En septembre 1988, Salman Rushdie publie en Angleterre son
quatrième ouvrage: Les Versets sataniques. L'auteur dresse, parmi d'autres
faits inspirés des réalités historiques, un portrait de Mahomet, le prophète
fondateur de l'islam. Jugé blasphématoire, il déclenche l'ire des populations
musulmanes car il constituerait une offense à l'islam, au prophète et au Coran.
Premier pays à réagir, l'Inde dénonce le caractère injurieux
de l'ouvrage et le fait interdire, suivi au mois d'octobre par le Pakistan,
l'Arabie saoudite, l'Égypte, la Somalie et de nombreux autres pays. Installé à
New York depuis dix-sept ans, la casquette bien vissée sur la tête, l'humeur
légère et joyeuse, l'homme de lettres continue d'ausculter le monde.
«Depuis 50 ans, l'islam s'est radicalisé», soutient Salman
Rushdie. Selon lui, «il y a bien sûr une tradition d'un islam éclairé. Mais il
n'est pas au pouvoir aujourd'hui». «Côté chiite, il y a eu l'imam Khomeini et
sa révolution islamique. Dans le monde sunnite, il y a eu l'Arabie saoudite,
qui a utilisé ses immenses ressources pour financer la diffusion de ce
fanatisme qu'est le wahhabisme. Mais cette évolution historique a eu lieu au
sein de l'islam et non à l'extérieur», insiste l'écrivain.
«Aujourd'hui, on m'accuserait d'islamophobie et de racisme»
Salman Rushdie, le 5 septembre 2016
«Quand les gens de Daech se font sauter, ils le font en
disant ‘Allahou Akbar', alors comment peut-on dès lors dire que cela n'a rien à
voir avec l'islam?», interroge-t-il. Rushdie explique qu'il dit «comprendre» la
crainte de «stigmatisation de l'islam» mais il explique aussitôt que «pour
éviter cette stigmatisation, il est bien plus efficace de reconnaître la nature
du problème et de le traiter».
Un peu partout dans le monde, la religion s'infiltre dans la
politique. Pour l'écrivain, les choses sont évidentes. Les islamistes veulent
le pouvoir politique. Ils pensent que la société parfaite a existé au VIIe
siècle, et la révolution khomeyniste, comme la communiste, se présente comme
une révolution contre l'Histoire. «Aujourd'hui, on m'accuserait d'islamophobie
et de racisme. On m'imputerait des attaques contre une minorité culturelle»,
avait déjà affirmé l'écrivain, lors de la sortie de son dernier roman. Il
défend la liberté de penser et affirme avoir le droit de dire que la religion
est une stupidité.
Salman Rushdie trouve ainsi «consternant» d'entendre «Marine
Le Pen analyser l'islamisme avec plus de justesse que la gauche». «C'est très
inquiétant de voir que l'extrême droite est capable de prendre la mesure de la
menace plus clairement que la gauche». «Le présupposé constant de la gauche,
c'est que le monde occidental est mauvais. Et donc tout est passé au crible de
cette analyse», déplore-t-il en terminant cet entretien.
Par Thomas Romanacce