lundi 16 octobre 2017

Jean Soler : "Les athées sont plus intelligents que les croyants"

Auteur de "Dieu et moi", l'historien, critique vis-à-vis des religions monothéistes, déplore que les non-croyants soient occultés par les médias. Interview.

Jean Soler en février 2013. © DR

Agrégé de lettres classiques et diplomate culturel, Jean Soler a commencé à s'intéresser aux fondements du monothéisme lors de son séjour en Israël à la fin des années 1960. En 2012, la publication de Qui est Dieu ?, qui synthétise ses travaux, a déclenché une vive polémique à la suite de cet éloge enthousiaste que lui a consacré Michel Onfray dans Le Point. On reprocha alors à Jean Soler (et à Onfray) de faire du dieu d'Israël une divinité tribale, et non pas universaliste, de noircir la violence inhérente aux monothéistes par rapport à un polythéisme grec jugé plus tolérant et, surtout, d'avoir écrit que nazisme comme communisme sont influencés par le « modèle hébraïque » du Dieu unique. Aujourd'hui âgé de 83 ans, Jean Soler raconte dans une autobiographie intitulée Dieu et moi (Éditions de Fallois) comment il a « pris congé » d'un être supérieur, avant de mener une longue enquête sur lui. Alors que, dans l'actualité, il est beaucoup question d'un « vote catholique », de la menace djihadiste et plus généralement d'un « retour du religieux », cet indécrottable athée assure que comme Osiris ou Zeus, Yahweh, Jésus et Allah finiront eux aussi par entrer au musée des croyances. Entretien.

Le Point.fr : Pourquoi ce livre de souvenirs intitulé Dieu et moi  ?
Jean Soler : C'est l'itinéraire d'un garçon qui est passé d'une croyance qui lui paraissait évidente, dans une famille catholique d'une piété irréprochable, à une incroyance tout aussi totale. J'ai voulu expliquer comment on peut passer de la croyance à l'incroyance sans événement extérieur, comme la mort d'un proche, un dépit amoureux ou un accident, simplement par un travail sur soi. J'ai été un enfant pour qui la foi était aussi naturelle que l'air ou l'eau. Mais quand j'ai pris en compte de nombreuses données étrangères à mon milieu, j'ai élargi ma vision du monde et j'ai constaté qu'il n'y a rien d'absolu ni d'universel où que ce soit, ni dans la morale, ni dans les connaissances, ni dans l'art.
Vous dites que c'est en classe de khâgne que vous « avez pris congé de Dieu ». Comment cela s'est-il passé ?
J'étais en khâgne à Montpellier. Mon but premier était de réfléchir à fond sur tous les sujets plutôt que de préparer scolairement le concours d'entrée à l'École normale supérieure. Tout ce que j'ai découvert m'a donné un sens très fort du relatif et du temporaire. Différentes interrogations ont convergé pour se cristalliser une nuit dans la conviction qu'il n'y a pas de Dieu.
C'est une épiphanie, mais à l'envers...
Oui, une conversion à rebours. Cette « révélation », si j'ose dire, n'a pas été pour moi traumatisante. On pourrait penser qu'en remettant en cause sa religion, on va se sentir bien seul ou en difficulté. Mais j'ai éprouvé au contraire un sentiment de libération. J'appartenais tout entier à l'univers, je n'étais qu'une étincelle de conscience dans l'univers, et ce n'était pas tragique. Le ciel était rempli d'étoiles et rien n'y manquait. Ce sentiment n'a fait que se renforcer au fur et à mesure de mes expériences dans plusieurs pays et de toutes sortes de péripéties...
 "J'ai découvert que la Bible n'est pas un livre monothéiste "
Alors que vous étiez conseiller culturel à l'ambassade de France en Israël, comment vous est venue l'idée de vous intéresser aux origines du monothéisme ?
J'étais en Pologne en 1968 lorsque le Quai d'Orsay m'a nommé brusquement en Israël. Cette mutation m'a irrité, parce que je n'avais pas demandé à travailler dans le pays natal du monothéisme. Après m'être séparé de Dieu à l'amiable, je pensais cette question réglée pour moi définitivement. Je n'avais aucune envie d'y revenir. Mais dans l'avion qui s'apprêtait à atterrir à l'aéroport de Tel-Aviv, je me suis dit que ce séjour en Israël serait l'occasion de comprendre les fondements de la religion dans laquelle j'avais été élevé, ainsi que de la religion juive, que je connaissais mal. Et j'ai décidé de commencer par lire la Bible attentivement, du premier au dernier verset.
Qu'est-ce que cette lecture intégrale vous a appris ?
J'ai découvert, au cours de mon second séjour en Israël, vingt ans après, principalement, que la Bible n'est pas un livre monothéiste. Le dieu de la Bible n'a jamais dit à Moïse : « Je suis le seul Dieu qui existe, voilà la vérité. » Non ! Le dieu qui s'adresse à Moïse dit : « Je suis Yahvé, le dieu de tes ancêtres. J'ai conclu une alliance avec eux, que je renouvelle avec toi. Si toi et les Hébreux vous me mettez au-dessus des autres dieux, je vous mettrai au-dessus des autres peuples. » Voilà la religion de la Bible hébraïque. Je ne le voyais pas vraiment pendant mon premier séjour, parce j'étais persuadé, comme tout le monde, que la croyance en un seul Dieu remontait à Abraham ou tout du moins à Moïse, au XIIIe siècle avant Jésus-Christ. Or, le dieu de la Bible n'est pas Dieu, l'Unique. Je l'ai donné à comprendre avec cette formule « Moïse ne croyait pas en Dieu ». Par ailleurs, j'ai aussi découvert que Yahvé n'aurait pas pu graver ses Dix Commandements sur des tables de pierre et que Moïse n'aurait pas pu transcrire sur des rouleaux ce que le dieu lui avait dit, parce qu'à l'époque de Moïse, l'hébreu ne s'écrivait pas. On voit là un exemple où la science dément les assises d'une religion. L'hébreu ne s'est écrit que trois ou quatre siècles plus tard ! Nous avons affaire à des mythes, et non pas à l'histoire. En ce qui concerne Moïse, la Bible nous raconte également qu'il a fait sortir les Hébreux d'Égypte et qu'il les a conduits pendant quarante ans dans le désert du Sinaï. Là encore, c'est impossible pour des raisons scientifiques. Les archéologues israéliens n'ont pas trouvé la moindre trace, le moindre tesson, de cette errance. Quand on confronte les fondements littéraires des trois religions monothéistes à ce que nous savons aujourd'hui grâce à l'histoire, l'épigraphie, l'archéologie, la connaissance des civilisations qui entouraient Israël (celles de la Mésopotamie et de l'Égypte en particulier), on est obligé de voir les choses autrement. Si le dieu de la Bible n'est pas Dieu et si la Bible n'est pas un livre monothéiste, c'est quand même considérable ! Mais les fidèles des trois religions monothéistes ne veulent pas le savoir. Ils ne peuvent imaginer que la croyance en un seul Dieu ne remonte qu'au IVe siècle avant notre ère et qu'il s'agit d'une hypothèse née dans le peuple juif pour surmonter des obstacles qui mettaient en question sa religion traditionnelle.
Vous vous êtes aussi intéressé aux interdits alimentaires. Quels sont leurs fondements ?
C'est le travail que j'ai fait lors de mon premier séjour de quatre ans en Israël, parce que j'étais étonné du caractère apparemment absurde de ces interdits. J'ai cherché s'il y avait en eux une logique. Ces lois sont au croisement de plusieurs lignes explicatives. Dans le mythe de la Création, la nourriture prévue pour l'homme devait être végétarienne. La consommation de viande a dès lors posé un problème. C'est seulement après le Déluge, dit la Bible, que le dieu a permis à l'homme de manger de la viande, à la condition de procéder à un sacrifice qui sépare le sang, considéré comme étant la partie divine de l'être vivant et donc réservé au dieu, de la partie carnée qui devient profane. D'où l'importance, aujourd'hui encore, de l'abattage rituel et de l'exclusion du sang. D'autre part, pour qu'un animal soit « pur » (« casher » dans le langage actuel), il doit appartenir exclusivement à l'un des trois règnes voulus par le Créateur, ceux de la terre, de l'eau et des airs. L'animal qui est à cheval sur deux règnes est « impur » et interdit à la consommation. Mon déchiffrement du code alimentaire des Hébreux a été approuvé par Claude Lévi-Strauss et par des universitaires israéliens. Cet adoubement m'a encouragé à continuer mes recherches, alors que je n'étais ni juif ni spécialiste du judaïsme.
Vous avez notamment souligné le problème que posait une divinité masculine dans les monothéismes pour l'autre moitié de l'humanité, les femmes...
L'humanité étant constituée d'hommes et de femmes, la dualité se retrouve dans toutes les religions que nous connaissons, avec des divinités masculines et féminines. Et tout d'un coup, on nous dit : il n'y a qu'un dieu. Les théologiens vont certes vous expliquer que la sexualité n'entre pas en jeu et que Dieu n'est ni masculin ni féminin. Mais le « Père éternel » qui a fait l'homme à son image possède tous les caractères de la masculinité. Ce qui renforce et légitime le statut d'infériorité attribué aux femmes. Il a marqué pendant longtemps notre civilisation chrétienne, et il est encore très important dans la civilisation musulmane. Même dans le judaïsme. En Israël, un homme peut divorcer très facilement. Il lui suffit de remettre un papier de répudiation à sa femme, tandis qu'elle, elle n'a pas le droit de divorcer.
Vous avez expliqué que le monothéisme est plus violent que le polythéisme quand il s'allie avec le politique...
C'est la thèse que je soutiens dans La Violence monothéiste (2009). Pour bien faire comprendre qu'il existe une violence spécifique de la religion du dieu unique, j'ai fait dans ce livre une synthèse, sur une centaine de pages, de la pensée grecque que je connais bien pour avoir enseigné le grec au début de ma carrière. Du fait même de l'existence de plusieurs dieux, les dieux se neutralisent entre eux. Même Zeus, le roi des dieux, n'est pas tout-puissant, comme on le voit dans Homère. Il est contré par d'autres dieux, et il est obligé de transiger avec eux. Pour ce qui est des hommes, ils peuvent s'adresser à un dieu, et s'il n'est pas bien disposé, ils passent à un autre. Il y a donc la possibilité d'un jeu, qui fait qu'aucun dieu n'est en position de dire aux hommes : « Voici ce que tu dois faire. » À l'inverse, dans un monde où il n'y a qu'un dieu, celui-ci, qui est par définition l'auteur et le responsable de tout ce qui existe, ainsi que le garant de la vérité et du bien, peut édicter des impératifs absolus. Et à partir du moment où des hommes sont persuadés de détenir la vraie vérité, ils ont une tendance naturelle à vouloir l'imposer aux autres. Pour ces raisons structurelles, il y a ainsi dans le monothéisme une propension à la violence qui se manifeste quand les circonstances s'y prêtent. Cette violence s'exerce aussi entre les trois religions monothéistes. Au lieu de mettre en avant leurs points communs, à la manière de l'œcuménisme, elles sont en conflit depuis toujours. Si vous êtes persuadé en effet qu'il n'y a qu'un dieu, vous croyez également qu'il n'y a qu'une façon légitime de le vénérer. Les deux autres religions sont dans l'erreur. Et pour faire prévaloir le vrai culte du vrai dieu, il faut parfois recourir aux armes.
" Les religions sont des productions humaines destinées à rendre le réel matériel plus agréable ou moins difficile à supporter  "
À l'intérieur même des religions, les différentes interprétations peuvent créer des violences schismatiques, comme l'a démontré l'histoire : catholiques contre protestants, chiites contre sunnites...
Oui, c'est une violence supplémentaire, qui oppose des variantes dans chacune des trois religions. Pour la même raison. Si vous pensez qu'il n'y a qu'une unique façon de vénérer le Dieu unique, les variantes concurrentes au sein de votre religion sont des hérésies qu'il faut combattre par tous les moyens. Cet état d'esprit est typique du monothéisme. Dans la Grèce ancienne, la notion d'hérésie n'existe pas.
Mais le monothéisme a aussi imprégné des leaders pacifiques comme Martin Luther King ou le mouvement de résistance de la Rose blanche contre les nazis...
L'athée que je suis ne rejette pas les religions comme quelque chose qui serait fondamentalement mauvais. Je constate qu'il y a des religions dans tous les peuples dont nous avons connaissance. Ce seul fait prouve que les religions sont sinon nécessaires du moins utiles aux êtres humains, qui élaborent à ce sujet des constructions mentales collectives. Ces constructions sont fictives, mais elles ont un impact sur les sociétés, en bien comme en mal. J'écrivais dans la première phrase de mon premier livre : « Les dieux sont des personnages historiques, Dieu y compris. » Ils apparaissent à un moment donné dans un coin du globe, ils vivent aussi longtemps qu'il y a des hommes qui sont persuadés de leur existence et ils finissent par mourir. Les dieux sont imaginaires sans doute, mais l'imaginaire est une composante du réel. Les religions, comme les mythes ou les contes, sont des productions humaines destinées à rendre le réel matériel plus agréable ou moins difficile à supporter. C'est ainsi que les religions peuvent être bénéfiques. Heureusement ! Je ne condamne que celles qui nous ordonnent de tuer pour l'amour de Dieu.
Dans cette autobiographie, vous dévoilez aussi vos drames intimes avec notamment votre femme Maria qui a perdu la mémoire à la suite d'un AVC. Face à la maladie, face à la mort qui approche, avez-vous eu des moments de doute ?
J'ai eu un ou deux moments de doute très brefs dans ces épreuves-là. Je me suis dit : « Si j'avais gardé la foi de mon enfance, elle m'aurait aidé. » Mais ce sentiment était fugitif, parce qu'à partir du moment où on a franchi un certain cap dans le chemin de l'incroyance, on ne peut pas revenir en arrière. Ce n'est pas moi qui demanderai sur mon lit de mort qu'on m'apporte l'extrême-onction. Autrement dit, j'attends la mort sereinement. Les épreuves sont difficiles à supporter, mais je les supporte sans la moindre nostalgie pour une religion qui serait consolatrice.
" Il faudrait donc qu’au nom même de la laïcité, on octroie un espace public dans les médias aux athées pour qu’ils puissent s’y s’exprimer "
Les religions aujourd'hui occupent une place importante dans les médias, et certains intellectuels évoquent un « retour du religieux ». Est-ce que vous trouvez que les athées ne sont pas assez présents dans les médias ?
Vous avez tout à fait raison de souligner ça. Ce qui me frappe, c'est qu'on ne parle que des religions et des conflits qu'elles provoquent, mais on ne parle pas de la partie du peuple qui n'a aucune religion. Les athées véritables sont peu nombreux. En France, nous sommes peut-être 10 %, et c'est un pays en pointe en la matière. Il n'en reste pas moins qu'il faudrait dans les médias donner une place équitable aux athées à côté des religieux. Par exemple, le dimanche matin, je regarde par curiosité sur France 2 les émissions consacrées au christianisme, au judaïsme ou à l'islam. Je trouverais normal qu'il y ait aussi une émission pour les athées. Dans l'esprit même de la laïcité, n'importe qui peut croire en n'importe quoi. Mais n'importe qui peut aussi ne pas croire et critiquer toutes les religions. Il faudrait donc qu'au nom même de la laïcité, on octroie un espace public dans les médias aux athées pour qu'ils puissent s'y s'exprimer. Et ils auraient des choses à dire pour analyser en particulier les violences qui sont commises au nom du Dieu unique !
Que les deux finalistes de la primaire à droite, François Fillon et Alain Juppé, se soient réclamés du pape François, ça vous choque ?
J'ai trouvé ça absurde. On voit que, dans leur esprit, la France reste un pays chrétien, et ils se basent là-dessus pour séduire des électeurs. L'identité de la France serait principalement religieuse et chrétienne. Et les tenants des autres religions n'auraient pas le droit de rivaliser avec la religion chrétienne, car ce serait contraire à l'identité française. La religion joue en effet un rôle important dans l'identité des peuples. Mais il n'empêche qu'aujourd'hui, dans un pays comme la France qui a conçu la notion de laïcité, on ne peut pas définir un pays en fonction d'une religion, même si elle est majoritaire. Le propre de la France, ce qui fait la force de sa culture et de sa philosophie, c'est d'avoir empêché, avec Voltaire et la Révolution, qu'une religion domine notre pays.
Les musulmans ont une pratique religieuse plus soutenue que le reste de la population française, notamment chez les jeunes. Et selon l'Institut Montaigne, 29 % des musulmans estiment même que la loi islamique est plus importante que la loi de la République. Cela vous inquiète-t-il ?
Je trouve inadmissible que des musulmans vivant en France mettent la loi islamique au-dessus des lois de la République. Aucun gouvernement ne doit le tolérer. Si ces croyants veulent être logiques avec eux-mêmes, ils doivent quitter la France et aller vivre dans un pays musulman.
« Aucun dieu n'a vécu plus de quelques millénaires », écrivez-vous. Les monothéistes vont-ils donc disparaître ?
Après une conférence que j'ai faite dans une université parisienne, deux Chinoises se sont levées et m'ont dit : « Monsieur, nous ne comprenons pas ce que c'est le monothéisme. » Je leur ai dit qu'elles avaient raison. L'idée qu'il n'y a qu'un dieu est une anomalie récente dans l'histoire des religions. Elle a 2 400 ans à peine et elle est circonscrite à une partie seulement de l'humanité. La question « Dieu existe-t-il ? », avec une réponse attendue par « oui » ou par « non », peut nous sembler évidente, mais elle ne dit rien à des Chinois ou à des hindous et elle n'aurait rien dit à des Grecs de l'Antiquité. Je suis convaincu que cette religion finira par disparaître, comme ont disparu la religion des Égyptiens qui a duré plus de trois millénaires ou celles des Grecs et des Romains.
 "Il faudrait créer des couvents pour athées "
Les athées vont-ils, selon vous, devenir majoritaires dans le monde ? Ou d'autres spiritualités se développeront-elles, car l'homme a toujours besoin de croire en quelque chose ?
Ça m'attriste, mais je pense que les athées resteront longtemps minoritaires. Les religions sont si importantes pour la plupart des individus, comme pour les sociétés humaines, que les religions qui vont disparaître feront place à d'autres religions, avant qu'on n'arrive un jour peut-être à un monde majoritairement athée. Mais en attendant, nous pouvons faire avancer la réflexion sur la nature et les visées des religions, si bien que le religieux devrait être peu à peu marginalisé. Il y a une lutte engagée depuis des siècles et des siècles entre la clairvoyance et la crédulité. La clairvoyance, de mon point de vue, c'est la conviction qu'il n'y a pas de dieu. La crédulité, c'est le besoin de croire à tout prix, envers et contre tout, parce qu'on y trouve des avantages, qu'il existe un monde surnaturel où un dieu qui sait tout se préoccupe de nous.
D'un strict point de vue marketing, l'athéisme peut-il, sur le marché des convictions, concurrencer des religions qui offrent une consolation pour la mort et des cérémonials spectaculaires ?
C'est vrai qu'il manque aux athées des rituels pour la naissance, le mariage et la mort. Les rituels sont très importants, ils sont présents dans toutes les sociétés. C'est une lacune dans l'athéisme. Je dis dans mon dernier livre qu'il faudrait créer des couvents pour athées. Avant de quitter Israël, j'ai passé quinze jours merveilleux à l'École biblique de Jérusalem chez les dominicains. Je me sentais très bien chez eux, à la seule réserve que je ne croyais pas en Dieu.
Pour vous, le meilleur antidote contre les religions serait de faire une « cure d'Homère ». Pourquoi ?
Lorsque j'ai lu entièrement Homère du premier vers de l'Iliade au dernier vers de l'Odyssée, comme je l'avais fait pour la Bible, j'ai découvert des aspects qui m'avaient échappé. J'avais traduit Homère devant des élèves, mais je n'avais pas été véritablement sensible à la façon désinvolte, ironique, irrévérencieuse avec laquelle il traite les dieux. Il se moque d'eux. Il y a là un jeu, un esprit d'indépendance, qu'on ne trouve pas dans les religions monothéistes où le sérieux plombe tout. Les illuminés qui tuent pour l'amour de Dieu feraient bien de se plonger dans le monde de la Grèce ancienne, où ce genre de fanatisme n'existe pas. La multiplicité des dieux et la liberté des hommes à leur égard inclinent à la tolérance. Si tout est relatif, il ne peut pas y avoir d'absolu. Alors que les fidèles des religions monothéistes affirment que l'homme doit servir Dieu, les Grecs se servaient des dieux, avec un mélange de pragmatisme et d'humour. D'où le titre de mon livre : Le sourire d'Homère (2014).
 "Quand on est passé de la croyance à l’incroyance, on a fait un pas en direction de l’intelligence "
Pour critiquer vos thèses, Claude Lanzmann a rappelé que chez les polythéistes grecs, les massacres, viols et esclaves ne manquaient pourtant pas...
Bien sûr qu'il y a eu des violences en Grèce. Le polythéisme n'est pas forcément facteur de douceur de vivre. Mais si on regarde de près la civilisation grecque sur un millénaire, de Homère à Plutarque, on constate qu'il n'y a jamais eu de guerres de religion. Le plus grand conflit, celui qui a opposé Athènes et Sparte, la guerre du Péloponnèse, n'avait pas de fondements religieux. Si les conflits provoqués par les monothéistes sont les plus sanglants de tous, c'est parce que ces croyants transfèrent dans la politique l'Absolu qui caractérise leur religion, celle de l'Unique.
Pensez-vous que les athées soient des personnes plus intelligentes que les croyants ?
De mon point de vue, oui. Les athées ont une plus grande ouverture d'esprit et plus de lucidité que les croyants. C'est ma conviction. Évidemment, vous allez me dire que je prêche pour ma chapelle, si on peut parler de chapelle à propos d'athéisme (rires). Mais je m'inscris dans la lignée des Grecs, qui avaient décidé d'être intelligents. Comprendre, ce n'est pas une question de gènes, mais de volonté. Le désir de comprendre est fondamental chez les athées. Quand on est passé de la croyance à l'incroyance, de mon point de vue, oui, on a fait un pas en direction de l'intelligence.
Si vous n'aviez droit qu'à un seul argument pour « convertir » un croyant à l'athéisme, que lui diriez-vous ?
Regarde autour de toi ! Au lieu de rester prisonnier de ce qu'on t'a dit quand tu étais enfant, de ce qu'on t'a présenté comme la vérité incontestable dans ta famille, ton milieu social ou ton pays, ouvre les yeux sur l'extérieur. Regarde tout ce que les hommes ont pensé de différent, dans d'autres régions du monde et dans des passés lointains. Tu en viendras naturellement à considérer que ce qui te paraissait évident est relatif. Et tu auras l'impression d'acquérir une meilleure compréhension de l'aventure humaine.

Dieu et moi, de Jean Soler (Éditions de Fallois, 340 p., 22 euros).

source : Le Point Publié le