Guillaume Bonnefont
Dossier réalisé par Olivier Rioux
Photos Guillaume Bonnefont (sauf place Saint-Ravy, André Hampartzoumian, et statut des Trois des grâces, Paul Plaisance)
Photos Guillaume Bonnefont (sauf place Saint-Ravy, André Hampartzoumian, et statut des Trois des grâces, Paul Plaisance)
La Gazette de Montpellier n° 1366 - Du 21 au 27 août 2014
Elles sont où, ces places ?
Infographie André Yanelle
Saint-Pierre : la cathédrale assiégée
La sérénité minérale de la place Saint-Pierre est fort trompeuse. C’est ici que les guerres de Religion ont fait le plus de ravages. En 1561, une troupe de protestants envahit la cathédrale et massacre une vingtaine de catholiques. L’année suivante, les parpaillots s’emparent des cloches et des grilles pour fondre des munitions et défendre la ville assiégée par une armée catho. Enfin, en 1567, les huguenots assiègent la cathédrale gothique : d’un coup de bombarde, ils abattent la tour carrée de droite, qui ne sera reconstruite qu’en 1875. À l’origine, le site est pourtant d’un calme monastique. Il est occupé par une chapelle bénédictine fondée en 1364 par le pape Urbain V – dans le prolongement du monastère Saint- Germain (ou Saint-Benoît) qui abritera la fac de médecine à partir de 1795. Puis, en 1536, l’évêché est transféré de Maguelone à Montpellier. Et la chapelle, élevée au rang de cathédrale, prend des faux airs de forteresse.
LA LÉGENDE DE LA BOÎTE À GRILLONS
Depuis le parvis de la cathédrale, on peut voir, au 16 rue Saint-Pierre, un élégant balcon en acier forgé à la main. Au centre de cette grille, datant du XVIIIe siècle, un petit coffret métallique longtemps considéré comme une boîte à grillons : car selon certaines superstitions, le chant des grillons apporte bonheur et fertilité au maître de maison. Las ! Il s’agit en fait d’une sorte d’enseigne publicitaire à l’ancienne. La maison appartenait, en effet, à un maître serrurier dénommé Catrix, suivi par son confrère Pierre Bongue, connu pour avoir réalisé les grilles de l’aqueduc. Le petit coffret, surmonté de clefs croisées, n’est rien d’autre qu’une pub en 3 D pour les artisans serruriers !
Comédie : le cœur palpitant
Place au tram ! Cœur palpitant du réseau tramway depuis l’an 2000, la place de la Comédie est au cœur du pouvoir dès la fin du XVIIe siècle, avec l’édification de l’Hôtel du Gouvernement royal, à la place du McDo actuel. En 1755 est inauguré un théâtre maudit, qui va brûler deux fois. Mais c’est à la fin du XIXe, parallèlement à la création de la gare, que se structure vraiment la Comédie : une vitrine parisienne et haussmannienne de 16 500 m2, forte d’un nouveau théâtre (1888) qui imite l’opéra Garnier et de luxueux immeubles de rapport. Déjà, les bistrots envahissent la place, avec notamment le Café de France à l’emplacement de Monoprix, qui fait aussi marché aux vins et aux dames de petite vertu. Autour de l’Œuf, forme ovoïde entourant les Trois Grâces, les jeunes draguent en rond, remplacés aujourd’hui par les danseurs de hip-hop.
LE VOYAGE DES TROIS GRÂCES
C’est dans le hall de l’Opéra-Comédie qu’est conservée la statue originale des Trois Grâces. La fin d’un tumultueux périple qui commence en 1773 par la commande du monument, initialement destiné à la place de la Canourgue, au sculpteur provençal Étienne d’Antoine. Fâché avec la Ville, qui critique la qualité du marbre de Carrare employé et ne veut pas le payer, l’artiste intente un long procès qu’il gagnera.
Ce n’est qu’en 1797 que les filles de Zeus, Aglaé, Euphrosyne et Thalie, grimperont sur leur rocher pour incarner Beauté, Joie et Abondance. Mais en 1893, elles s’éloigneront du théâtre à cause de la réfection du perron. Et finalement, en 1989, les Trois Grâces dégradées par la pollution et les fêtards sont remplacées par des moulages en résine. Les vraies trônent désormais dans le hall de l’Opéra.
Ce n’est qu’en 1797 que les filles de Zeus, Aglaé, Euphrosyne et Thalie, grimperont sur leur rocher pour incarner Beauté, Joie et Abondance. Mais en 1893, elles s’éloigneront du théâtre à cause de la réfection du perron. Et finalement, en 1989, les Trois Grâces dégradées par la pollution et les fêtards sont remplacées par des moulages en résine. Les vraies trônent désormais dans le hall de l’Opéra.
Saint-Ravy : le meurtre du page
C’est un petit bijou qui se cache dans les plis parfois obscurs du quartier Saint-Roch. Passé une arche
porte, on découvre subitement un îlot ensoleillé agrémenté d’une fine fontaine. Cette placette Saint-Ravy a été créée en 1860, grâce à la démolition d’un immeuble délabré. À gauche de la photo, sur la façade, on voit une fenêtre ogivale trilobée, rare vestige du XIIIe siècle gothique, qui appartient à l’ancien palais des rois d’Aragon et de Majorque – seigneurs de Montpellier de 1204 à 1349. C’est dans cet hôtel, dit de Jacquet, que Jacques III d’Aragon a tué son page, coupable d’avoir taché son habit en lui versant du vin. Grave erreur : le père du page, Arnaud de Roquefeuil, s’est alors joint aux ennemis de Jacques III... qui a fini ruiné, contraint de vendre Montpellier au roi de France ! À ne pas rater : les magnifiques voûtes médiévales de la Galerie Saint-Ravy qui fait le coin.
porte, on découvre subitement un îlot ensoleillé agrémenté d’une fine fontaine. Cette placette Saint-Ravy a été créée en 1860, grâce à la démolition d’un immeuble délabré. À gauche de la photo, sur la façade, on voit une fenêtre ogivale trilobée, rare vestige du XIIIe siècle gothique, qui appartient à l’ancien palais des rois d’Aragon et de Majorque – seigneurs de Montpellier de 1204 à 1349. C’est dans cet hôtel, dit de Jacquet, que Jacques III d’Aragon a tué son page, coupable d’avoir taché son habit en lui versant du vin. Grave erreur : le père du page, Arnaud de Roquefeuil, s’est alors joint aux ennemis de Jacques III... qui a fini ruiné, contraint de vendre Montpellier au roi de France ! À ne pas rater : les magnifiques voûtes médiévales de la Galerie Saint-Ravy qui fait le coin.
LE MYSTÈRE DE LA FAÏENCE
C’est quoi, cette fresque colorée, placée sous la fenêtre gothique de la place Saint-Ravy ? Un autre témoignage du Moyen Âge ? Pas du tout. Composée de carreaux de faïence, cette fresque a été réalisée en 1905 par un certain Raoul Bussy. Cette année-là, à cet endroit, s’installe la Schola Cantorum de Montpellier. Cette école de chant religieux a été créée par le compositeur Charles Bordes, qui a fait de même à Paris et Avignon.
La Canourgue : entre licorne et atlante
Haut lieu catholique à l’origine, la place de la Canourgue a basculé dans la mythologie païenne. En 1152, Guilhem VII y attribue une Maison des "chanoines" ("canourgue" en occitan) aux prêtres de l’église Saint-Firmin. Puis une église Sainte-Croix est érigée sur place. Mais elle est détruite par les guerres de Religion. Ce qui permet d’aménager, en 1666, une promenade verdoyante, bordée de magnifiques hôtels aristocratiques. L’un d’eux, l’hôtel Richer de Belleval, présente sur sa façade un curieux atlante aux oreilles pointues qui porte un balcon – tout comme le titan Atlas portait le monde. Au fond du jardin, la féerique fontaine à la licorne apparaît en 1865. Elle a suivi l’hôtel de ville qui a été un temps transféré de la place Jean-Jaurès à l’hôtel de Belleval.
Chabaneau : la petite place des grands hommes
Noire de monde la nuit, cette placette révèle son charme discret de bon matin. À l’heure du café, on peut y méditer sur deux illustres Montpelliérains qui sont nés ici même : l’archichancelier de l’Empire, Jean-Jacques Régis de Cambacérès (1753-1824) et le poète Francis Ponge (1899- 1988). Autre sujet de réflexion : la destruction du Grand Temple protestant qui se trouvait là, sur ordre de Louis XIV, en 1682. C’est ainsi qu’est née la placette. Tout comme la place Saint-Côme après la démolition du Petit Temple, Jean- Jaurès (ex-église Notre-Dame-des- Tables) ou la Canourgue (ex-église Sainte-Croix). Bref, Montpellier doit son grand nombre de places, et son sex-appeal touristique, aux guerres de Religion ! Retour à Chabaneau où il ne faut pas oublier la fontaine dite de la Ville de Montpellier, incarnée par la déesse Cybèle. Créée par Journet en 1775, elle verse de l’eau et tient l’écu des Guilhem et de Notre-Dame.
Sainte-Anne : du gothique devenu contemporain
Bâti dès le XIe siècle autour de l’église Saint-Firmin (1), le quartier Sainte-Anne est le plus ancien de la ville. AuXIIIe siècle est édifiée l’église Sainte-Anne, sur l’emplacement actuel. Détruite par les guerres de Religion, reconstruite par la suite, elle se délabre dangereusement au XIXe siècle. Le maire Jules Pagézy décide alors d’en construire une autre, plus grande, dans un style néogothique. En 1869, l’église réalisée par l’architecte Jean Cassan est inaugurée. Mais un siècle plus tard, en 1984, elle ferme ses portes pour cause de dégradation. En 1991, Georges Frêche transforme l’édifice désacralisé en “Carré” d’exposition d’art contemporain. Et ajoute cette fontaine champignon au charme intemporel.
(1) Entre les rues Saint-Firmin et Rebuffy, démolie en 1568.
(1) Entre les rues Saint-Firmin et Rebuffy, démolie en 1568.
UNE FLÈCHE DE 68 MÈTRES
"La flèche hardie de Sainte-Anne doit servir de signal. L’aspect trop uniforme de la ville, quand on l’aperçoit de loin, sera ainsi modifié de la manière la plus heureuse", projette en 1862 Gaston Bazille, adjoint du maire Jules Pagézy et père du peintre Frédéric Bazille. Dès le départ, la nouvelle église Sainte-Anne est conçue comme "le monument le plus élevé de Montpellier".
Haute de 68 mètres, la flèche de l’église néogothique dépasse en effet de 34 mètres les tours de la cathédrale Saint-Pierre. Et elle domine de 25 mètres les maisons les plus élevées de la ville. Cette flèche, cantonnée de clochetons, repose sur un clocher porche à trois étages. Elle s’inspire, notamment, des flèches de Notre-Dame à Paris.
Au pied de la tour, deux statues d’Auguste Bassan, placées sur des culots, entourent le porche : à gauche, un homme tenant un serpent (la Luxure), à droite, un autre s’agrippant à sa bourse (l’Avarice).
Haute de 68 mètres, la flèche de l’église néogothique dépasse en effet de 34 mètres les tours de la cathédrale Saint-Pierre. Et elle domine de 25 mètres les maisons les plus élevées de la ville. Cette flèche, cantonnée de clochetons, repose sur un clocher porche à trois étages. Elle s’inspire, notamment, des flèches de Notre-Dame à Paris.
Au pied de la tour, deux statues d’Auguste Bassan, placées sur des culots, entourent le porche : à gauche, un homme tenant un serpent (la Luxure), à droite, un autre s’agrippant à sa bourse (l’Avarice).
Peyrou : un cheval, deux lions
Presque un siècle ! Lancé en 1689, le chantier du Peyrou n’est achevé qu’en 1774. Aménagée hors les murs sur un belvédère naturel, ancienne aire à grains, la place Royale dessinée par Jean Antoine Giral couvre trois hectares. Le château d’eau au style classique est relié à l’aqueduc des Arceaux. La statue de Louis XIV à cheval (1828) est deux fois plus petite que l’originale détruite à la Révolution – originale acheminée depuis Paris par bateau, coulée et repêchée dans l’estuaire de la Garonne... Autre cocasse histoire statuaire : celle des deux lions d’Antonin Injalbert (1883) encadrant l’entrée. Dotés d’un sexe, leurs angéliques dompteurs ont fait un tel scandale qu’il fallut les garder jour et nuit pendant des mois pour qu’ils ne soient pas émasculés !
Castellane : des babas aux bobos
Dans le vieux Montpellier, pour créer une place, il faut raser une église... ou créer un marché. La place Castellane est aménagée en 1859, en même temps que les halles du même nom – d’après le patronyme du maréchal Castellane, commandant de la région sud-est, qui en a posé la première pierre. Dans les années 1970, la placette aux terrasses arborées est très fréquentée par les étudiants baba-cool. Les bars Le Novelty et Le Vert anglais sont toujours là aujourd’hui. Mais la clientèle, favorisée par la piétonnisation de la rue Saint-Guilhem, est plutôt formée de quinquas bobos. Ces derniers temps, les conversations tournent souvent autour du petit vélo fixé récemment, de nuit, sur la façade des halles, par cet artiste de rue surnommé BMX. “C’est illégal, d’autant que le bâtiment est classé”, proteste le tenancier du café des Halles. D’autres saluent la performance, trouvent ça rigolo. En revanche, personne ne défend les grafs qui défigurent la devanture à l’ancienne de la droguerie Estoul.
Saint-Roch : protégez-nous du choléra
Une terrible épidémie de choléra frappe Montpellier dans les années 1832 et 1849. La ferveur du
peuple catholique pour saint Roch redouble alors de vigueur : car le saint montpelliérain (1340-1379), sans doute médecin, savait soigner les pestiférés, et attrapa lui-même cette maladie à laquelle il survécut. C’est à partir de cette angoisse sanitaire qu’est souhaitée l’édification de l’église Saint-Roch. Construite en 1862-1867 par Cassan, dans un style néogothique comme Sainte-Anne, elle abrite le tibia de saint Roch et son bâton de pèlerin. Le saint en personne est représenté par une sculpture d’Auguste Bassan... qui lui aurait donné le visage du peintre montpelliérain Frédéric Bazille !
peuple catholique pour saint Roch redouble alors de vigueur : car le saint montpelliérain (1340-1379), sans doute médecin, savait soigner les pestiférés, et attrapa lui-même cette maladie à laquelle il survécut. C’est à partir de cette angoisse sanitaire qu’est souhaitée l’édification de l’église Saint-Roch. Construite en 1862-1867 par Cassan, dans un style néogothique comme Sainte-Anne, elle abrite le tibia de saint Roch et son bâton de pèlerin. Le saint en personne est représenté par une sculpture d’Auguste Bassan... qui lui aurait donné le visage du peintre montpelliérain Frédéric Bazille !
DES GARGOUILLES INACHEVÉES
En levant les yeux, vous apercevrez sur la façade de Saint- Roch ces bizarres rectangles de pierre brute. Ils devaient être sculptés en forme de gargouille mais sont restés inachevés. Tout comme les niches de pierre sur la photo ci-dessus qui n’ont jamais accueilli les statues prévues !
Le financement devait être assuré par une loterie et une collecte de fonds. Mais les recettes ne furent pas suffisantes et les travaux interrompus. Dommage, car le projet était grandiose : en particulier l’intérieur, où seule la nef a été réalisée, sur le modèle de l’église abbatiale cistercienne de Valmagne.
Fort heureusement, on a tout de même eu le temps de créer la place isolant l’édifice – avec de délicieux espaces arborés des deux côtés. Des vestiges de l’ancienne église Saint-Paul sont conservés sur le côté gauche. Face à Saint-Roch, vous serez peut-être abusé par un mur en trompe-l’œil où se reflète la rosace... pour de faux.
Pour ce dossier, nous avons utilisé les livres de Roland Jolivet, Marie Susplugas, Jean-Michel Renault, Jean Nougaret. Ainsi que les indications de la guide de l’office de tourisme Danièle Christol. Remerciements à tous.
par Gazette de Montpellier | 25 septembre 2014