lundi 12 janvier 2015

[#CharlieHebdo] Zineb El Rhazoui : « Charlie doit continuer »

Zineb El Razhoui confie : « Jamais je n’aurais imaginé un tel carnage apocalyptiqueZineb El Razhoui confie : « Jamais je n’aurais imaginé un tel carnage apocalyptique DR

Journaliste de l’hebdomadaire satirique, elle avait couvert la campagne des élections municipales à Béziers pour Charlie Hebdo. C’est avec énormément d’émotion et une vive amertume qu’elle a accepté de revenir sur la tragédie.

Zineb El Rhazoui travaille à Charlie Hebdo comme journaliste. Si elle a survécu au drame atroce de mercredi, c’est parce qu’elle était en reportage au Maroc. Rentrée précipitamment en France, elle livre ses sentiments avec une immense émotion.
 Vous n’étiez pas à Charlie Hebdo lors du drame...
Nous étions deux membres de la rédaction à être à l’étranger, Gérard Biard le rédacteur en chef qui était à Londres et moi-même qui était en reportage au Maroc. Après avoir appris la catastrophe, comme nous avions décidé de rentrer à Paris, nous nous sommes tous les deux rendus dans les ambassades de France du pays où nous nous trouvions, afin que nous puissions être protégés. Quand je suis arrivée tout à l’heure [jeudi 8 janvier, Ndlr], une équipe de protection m’a prise en charge, et depuis, je suis accompagnée dans tous mes déplacements publics par deux officiers que j’aurai 24h/24, avec des consignes très strictes à respecter. C’était la même protection dont disposait Charb, composée de Franck [Brinsalo, Ndlr] qui a donné sa vie en héros pour protéger celle de Charb, mais cela n’a pas suffit...
 Pensiez-vous à Charlie Hebdo que les terroristes allaient frapper ou qu’ils n’allaient pas joindre les actes à la parole ?
C'une question très complexe. Oui, on pensait qu’ils pouvaient frapper. Ils l’avaient fait en 2011 en incendiant le journal. Mais on vivait tellement avec cette menace au-dessus de la tête qu’on s’y était habitués. Oui, on avait peur quand quelqu’un entrait dans le journal sans avoir été annoncé, quand on voyait un barbu dans l’immeuble, on n’était pas rassurés. On travaillait toujours sur le qui-vive. Mais c’était devenu notre quotidien, on faisait avec. Peut-être se disait-on que c’était le prix à payer pour continuer à faire notre métier. D’ailleurs quand les journalistes qui se trouvaient à l’extérieur ont entendu les coups de feu, ils se sont de suite dit que c’était une attaque terroriste. Mais jamais, vraiment jamais, je n’aurais imaginé un tel carnage apocalyptique.
 Que va-t-il se passer désormais ? Charlie Hebdo va-t-il continuer à paraître ?
Même si nous avons envie de baisser les bras, par rapport à la moitié de la rédaction qui est à la morgue, des policiers tués, un agent d’entretien aussi, on ne pourra jamais s’y résoudre. Il y a un numéro à boucler, nous le bouclerons. Je ne sais pas avec qui, je ne sais pas comment ni ce que nous y mettrons dedans mais nous y parviendrons. Si nous ne le faisions pas, cela voudrait dire que tous sont morts pour rien. Cela voudrait dire que les criminels ont gagné. Cela voudrait dire qu’ils ont réussi à nous faire taire. Que leur idéologie est plus forte que notre combat. Et cela, il ne le faut pas... Charlie doit continuer.
Que ressentez-vous quand vous voyez que le peuple est descendu dans la rue partout en France pour vous rendre hommage ?
J’ai des sentiments contradictoires. Je viens de passer à l’instant devant la place de la République [à Paris] et j’ai vu cette marée de gens avec des pancartes « Je suis Charlie ». J’ai entendu quelques politiques aussi. Même si cela pourrait faire plaisir, je le vois et le vis avec une profonde amertume. Vous imaginez tout ce qui a dû se passer pour y arriver. Où étaient-ils ceux qui se découvrent les défenseurs de la liberté d’expression et de la presse avant ce drame atroce ? J’aurais tellement voulu voir ce mouvement avant, tellement voulu que Cabu, Wolinski, Charb, Tignous, Honoré, Cayat, Maris le voient. Mais ils ne le peuvent pas, ils ne le peuvent plus. Le prix à payer pour voir cet élan populaire est beaucoup trop lourd.
Recueilli par PEA
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