Réforme constitutionnelle: la cuisante défaite de François Hollande
Le président de la République a annoncé mercredi l'abandon de la réforme constitutionnelle. Après quatre mois de débats incessants sur la déchéance de nationalité qui ont cristallisé les oppositions à gauche, le Congrès ne sera donc pas convoqué. Le pouvoir tente d'en faire porter la responsabilité à la droite. Mais c'est un échec politique majeur pour François Hollande et pour son premier ministre Manuel Valls, ardent défenseur de la réforme, tant cette affaire a fracturé l'électorat de gauche.
« C’est un génie ! » Ainsi s’enthousiasmait un ami de longue date de François Hollande, au lendemain du discours présidentiel prononcé devant le congrès réuni à Versailles, le 16 novembre 2015. Le président de la République venait d’être ovationné par les députés et sénateurs de toutes sensibilités, trois jours après les attentats du 13-Novembre, après avoir annoncé sa volonté de changer la Constitution pour y inscrire l’état d’urgence et la déchéance de nationalité pour les binationaux condamnés pour terrorisme. Près de cinq mois plus tard, l’échec du « génie », réputé pour son habileté tactique, est cinglant.
Mercredi, après avoir rencontré une nouvelle fois le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone (PS), et celui du Sénat, Gérard Larcher (LR, ex-UMP), François Hollande a lui-même annoncé l’abandon de la réforme constitutionnelle. Le Congrès ne sera pas convoqué à Versailles. « J’ai décidé de clore le débat constitutionnel », a-t-il déclaré depuis le salon Napoléon du palais de l’Élysée, lors d’une courte allocution télévisée.
En cause, deux versions inconciliables de l’article 2 consacré à la déchéance de nationalité. Alors que François Hollande avait indiqué à Versailles qu’elle ne concernerait que les binationaux, l’Assemblée en avait modifié la rédaction pour assurer le vote de la majorité des socialistes en élargissant cette possibilité de déchéance aux mono-nationaux. Ce qui revenait à créer des apatrides, ce qu'avait tranquillement assumé et même défendu Manuel Valls devant les parlementaires, le premier ministre étant monté en première ligne tout au long de ces mois de débats pour défendre ce qu'il appelait « le serment de Versailles ».
Mais le Sénat, dominé par la droite, a refusé cette réécriture et a voté un texte modifié, où seuls les binationaux pouvaient être concernés. Résultat : François Hollande ne disposait plus d’une majorité des 3/5e des députés et sénateurs indispensable pour réformer la Constitution. Et pour ne pas continuer ce bidouillage incessant, il a renoncé à présenter une demi-réforme avec le seul article 1 sur la constitutionnalisation de l’état d’urgence, même complétée par la réforme a minima du Conseil supérieur de la magistrature.
François Hollande au congrès à Versailles, le 16 novembre 2015 © Reuters
« Quatre mois après [le congrès de Versailles, le 16 novembre – ndlr], je constate que l’Assemblée nationale et le Sénat ne sont pas parvenus à se mettre d’accord et qu’un compromis semble hors d’atteinte, a expliqué le président de la République. Je constate aussi qu’une partie de l’opposition est hostile à toute révision constitutionnelle. Je déplore profondément cette attitude. Car nous devons tout faire pour éviter les divisions et pour écarter les surenchères. » « Les attentats de Bruxelles nous confirment que la menace reste plus élevée que jamais. (…) Le terrorisme islamiste nous a déclaré la guerre, à la France, à l’Europe, au monde entier », a également prévenu François Hollande.
Du côté de ses partisans, les éléments de langage sont rodés. Cela fait déjà plusieurs jours qu’ils les distillent sur les plateaux ou à l’abri du off, quitte à surjouer leur agacement, voire à sombrer dans la récupération politicienne. « C’est la droite qui est responsable. » « Au Sénat, la version de la droite a été votée à une courte majorité alors que nous, à l’Assemblée, on a fait voter le texte avec 3/5e des députés. » « Voilà les irresponsables ! Et n’allez pas dire que c’est nous. »
« Il faut que tout le monde soit renvoyé à ses propres turpitudes, intimait récemment un ministre proche de François Hollande. Au Sénat d’assumer ses responsabilités. » « Nous, on tient tous les fils de l’unité nationale, expliquait encore l’Élysée la semaine dernière.On est même allé chercher des propositions hors du champ de la gauche. La droite, elle, n’a pas montré beaucoup de volonté de compromis. » « C’est la droite qui voulait cette disposition, abonde un autre ministre. C’est pour faire l’unité nationale que le président l’a reprise. On l’a même fait au prix d’une forme de sacrifice. »
Dans la même veine, le PS a publié un communiqué de presse mardi soir exhortant la droite à « s’affranchir des considérations politiciennes ». Et le député PS Patrick Mennucci a enfoncé le clou mercredi depuis l’Assemblée : « Cet échec, c'est la faute à la droite. Abdeslam ne pourra jamais être déchu », a-t-il expliqué en référence à Salah Abdeslam, un des organisateurs des attentats du 13-Novembre, arrêté récemment.
Mais la petite musique sur la droite fautive et irresponsable risque d’être bien inaudible. Tout du moins largement partiale. Car c’est bien François Hollande qui a voulu cette réforme constitutionnelle. Et c’est lui qui s’est placé dans une équation absurde. Il a chassé sur les terres de la droite et de l’extrême droite en proposant d’inscrire dans la Constitution une de leurs propositions. Celle-ci a profondément divisé le PS et la gauche, y compris dans les rangs de ceux qui défendaient la politique économique et sociale du chef de l’État. Il a provoqué le départ de Christiane Taubira du gouvernement. Il a suscité des débats surréalistes voyant les députés socialistes s’inquiéter de la stigmatisation des binationaux pour finalement accepter de créer des apatrides… Et c’est finalement la droite que le président croyait prendre à contrepied qui inflige une défaite cuisante à François Hollande, déjà très affaibli par des sondages de plus en plus défavorables.
Depuis novembre, à son entourage et plusieurs de ses ministres, le président s’est justifié en expliquant que les attentats laissaient craindre un effet de souffle irréversible dans le pays, tétanisé par la perspective de nouveaux massacres, imaginant leurs institutions totalement inutiles et obsolètes et appelant à un régime autoritaire. « Au deuxième attentat, tu n’as pas le choix. Tu dois taper fort, expliquait un conseiller ministériel cet automne. Car on doit éviter que ce soit la panique partout, et que tout le monde se tourne vers Marine Le Pen. » C’était tout l’intérêt, aux yeux de ses promoteurs, d’une mesure symbolique – elle n’a aucune utilité en matière de lutte antiterroriste –, destinée à souder la communauté nationale.
« C’était une façon de veiller à la fragmentation de la société et, de ce point de vue, c’était politiquement intelligent, détaillait pour Mediapart Marylise Lebranchu, juste après son départ du gouvernement. Si François Hollande n’avait pas posé la question, elle serait restée dans le débat. Et elle aurait provoqué une petite musique détestable et davantage encore de fragmentations dans la société française. » L’ancienne ministre socialiste jugeait pourtant elle-même que la mesure heurtait sa « conscience » et qu’elle ne l’aurait pas votée…
« Je l’avais fait en appelant à un dépassement des frontières partisanes, pour rassembler les Français, dans une période où l’épreuve était considérable et qu’il fallait un acte qui puisse témoigner de ce que nous pouvions faire ensemble », a expliqué lui-même François Hollande mercredi.
Mais à l’Élysée et au gouvernement, on espérait aussi faire de cette réforme constitutionnelle un joli coup politique : François Hollande pensait étouffer la droite, en occupant son terrain favori, pour la piéger à un an de la présidentielle. Au passage, s’il avait pu tordre le cou une nouvelle fois à la gauche du PS et aux « frondeurs », il n’aurait guère boudé son plaisir. Et il aurait même pu savourer si, au passage, son premier ministre Manuel Valls, envoyé au front sur ce texte, avait pu s’y griller (un peu) les ailes…
Finalement, le président de la République a lui-même distillé cette « petite musique détestable », en faisant de la déchéance de nationalité un débat politique central pendant plus de quatre mois. Provoquant tribunes, interviews, et marchandages incompréhensibles à l’Assemblée où pas moins de trois versions de l’article ont été déposées. Depuis sa bulle élyséenne, François Hollande n’a pas perçu à quel point cette mesure heurtait une partie des Français et fracturait l'électorat de gauche. Comme à son habitude, le président de la République a laissé prospérer les débats et les intrigues, comme s'il s'amusait de ce spectacle dont il croit toujours qu'il va écrire le dernier acte. Cette fois, il a perdu. Avec des conséquences encore difficiles à mesurer mais, à coup sûr, considérables.
source : Mediapart