mardi 17 novembre 2015

Malgré la peur, la jeunesse d'Ile-de-France ne veut pas «changer de vie»

Malgré la peur, la jeunesse d'Ile-de-France ne veut pas «changer de vie»

 |  PAR MATHILDE GOANEC ET DAN ISRAEL ET AMÉLIE POINSSOT ET ELLEN SALVI
Partout, les mêmes mots et les mêmes angoisses. Deux jours après les attentats de Paris, les jeunes Franciliens ont regagné leurs établissements où ils ont observé une minute de silence. De la Sorbonne à l'IUT de Champs-sur-Marne, des collèges de Montreuil aux lycées parisiens, ils racontent leur peur « d’être au mauvais endroit au mauvais moment ».
Comme tous les matins, il y a ceux qui arrivent en groupe, en rigolant et en se tapant dans les côtes ; ceux qui font la gueule ; ceux qui courent parce qu’ils sont en retard. Mais ce matin du lundi 16 novembre, dans cette rue du XIIe arrondissement de Paris, donnant sur l’hôpital Rothschild, de nombreux élèves de l’établissement privé catholique Saint-Michel-de-Picpus tiennent une rose blanche à la main. Ils iront la déposer dans la chapelle, à la mémoire de Romain, 25 ans, prof d’anglais au collège et ancien surveillant du groupe scolaire, et à celle d’une mère d’élève.
Tous deux ont été tués dans les attentats de vendredi. C’est un petit groupe d’élèves qui a lancé l’idée sur Internet ce week-end, et elle a été reprise par la direction de l’établissement. À 10 h 30 ce lundi, l’ensemble des collégiens et des lycéens ont observé une minute de silence. Non loin de là, Hortense et Camille, deux copines de seconde, se sont réfugiées sur les marches d’une bibliothèque pour fumer une cigarette. Du sac de l’une d’entre elles dépassent encore les tiges de rose qu’elles doivent déposer tout à l’heure. Elles tirent un bilan sombre du week-end : « Ces attaques, tout à coup, paraissent plus réelles : tout le monde peut être touché, n’importe quand. C’est ça qui fait peur. »
Les étudiants de la Sorbonne (Paris-V) observent une minute de silence, le lundi 16 novembre.Les étudiants de la Sorbonne (Paris-V) observent une minute de silence, le lundi 16 novembre. © Reuters
Près de l’établissement, de nombreux élèves font le parallèle avec les attentats de janvier pour mieux souligner qu’une nouvelle étape a été, selon eux, franchie. « En janvier, les cibles étaient des symboles, en quelque sorte. Là, c’était un carnage de masse », témoignent Julie et Margot. À quelques mètres, point névralgique entre deux écoles maternelles, deux élémentaires, un collège et un lycée, Fettouma Hassan, l’agent municipal qui fait traverser la rue aux élèves, n’arbore pas son sourire habituel. Envolée, la bonne humeur qu’elle met d’ordinaire un point d’honneur à afficher. « Depuis deux jours, j’ai une boule à l’estomac. C’est pas l’islam, ça, il est où le respect des gens capables de faire ça ? Ça sert à quoi ?, lance la femme de 50 ans. Je pense aux petits qui vont à l’école aujourd’hui. Comment on va expliquer ça ? »
Des explications. C’est justement ce que cherchent Capucine et Anaïs, 19 et 20 ans, toutes deux étudiantes en troisième année d’histoire à la Sorbonne, dans le Vearrondissement. Attablées ce lundi matin à la terrasse d’un café de la rue Saint-Jacques, elles fument clope sur clope, en regardant le bal des fourgons de police qui bloquent les accès et font enlever les voitures stationnées. François Hollande, Manuel Valls, la ministre de l’éducation, Najat Vallaud-Belkacem et le secrétaire d’État chargé de l’enseignement supérieur, Thierry Mandon, sont attendus pour la minute de silence.
Les deux amies s’y rendront aussi. « Être ensemble, c’est vraiment la priorité. Les cours, on verra plus tard », souligne Capucine qui vient d’acheter Le Courrier international.« Ce fanatisme m’interpelle, j’ai besoin de comprendre ce qui enfante ça. » Anaïs acquiesce. « Je me pose plein de questions aussi. Par exemple, je n’arrive pas à savoir si on a atteint un point de non-retour. » Vendredi soir, les deux jeunes filles étaient de sortie dans le XXe arrondissement. Comme les autres, elles racontent la panique, les textos, la peur « d’être au mauvais endroit au mauvais moment ».
Et puis, elles parlent du « jour d’après, encore pire ». Samedi, elles sont toutes deux restées cloîtrées chez elles, les yeux fixés sur l’écran de leur téléphone, scrutant le moindre statut Facebook. « Je n’ai jamais vu autant de messages de haine, déplore Anaïs. J’ai fait une grosse suppression d’“amis”. Ça me fait mal au cœur pour les musulmans. Tout le monde leur demande de se justifier, je ne vois vraiment pas pourquoi ils devraient le faire… » La place de la Sorbonne se remplit au fur et à mesure. De petits groupes d’étudiants rient en terrasse, d’autres ont les yeux gonflés et les mines défaites. Ils ne veulent pas s’exprimer. Ils ont « perdu quelqu’un » vendredi.
Place de la Sorbonne, lundi 16 novembre au matin.Place de la Sorbonne, lundi 16 novembre au matin. © ES
À six stations de RER de Paris, un millier de personnes se recueille dans le froid, sur le parvis de la maison des étudiants de l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée. À l’intérieur, de nombreux professeurs et étudiants en larmes, un personnel administratif sidéré. Une étudiante a été blessée et deux professeurs du campus ont trouvé la mort vendredi au Bataclan. Nicolas Classeau, directeur de l’IUT, pour qui une grande banderole taillée à la hâte dans un drap a été déployée, fan de musique et champion d’informatique. Son collègue, Matthieu Giroud, maître de conférences, géographe respecté, honoré dans un bâtiment voisin par des fleurs, des bougies, et une copie annotée de sa main collée sur une fenêtre.
Un peu plus tôt dans la matinée, les élèves de Matthieu Giroud se sont rassemblés dans un amphi. « Nous avons appris hier seulement que notre collègue était finalement décédé, explique le professeur d’histoire Fréderic Saly-Giocanti. Sans avoir vraiment eu le temps de se préparer, nous leur avons parlé de Matthieu, de ce à quoi il croyait, du fait que la communauté universitaire avait été touchée dans son ensemble. » Certains, étudiants de master les plus proches de Matthieu Giroud, s’attellent à écrire un texte à sa mémoire dans une petite salle. Ils sont très émus. Les autres prennent place dans la queue formée devant le cahier de condoléances installé sous sa photo.
« On devait se revoir mercredi », souffle Cloé, en première année de licence de sciences humaines et sociales. La mort de ce professeur, « super pédagogue », joue à plein quant au sentiment de proximité ressenti par les étudiants, tous habitants de la grande banlieue parisienne. « On doit continuer comme avant, mais on a peur, avoue Oriane.Nous sortons dans ces quartiers, on va entre potes à Paris, ça aurait pu être nous. »
Hommage des étudiants de Matthieu Giroud, à l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée, le lundi 16 novembre.Hommage des étudiants de Matthieu Giroud, à l’université Paris-Est-Marne-la-Vallée, le lundi 16 novembre. © MG
Dans son travail, Matthieu Giroud s’intéressait notamment à la notion de « mixité sociale », à son instrumentalisation, à la gentrification des quartiers populaires, au multiculturalisme. Un monde tout en nuances qu’exècre l’État islamique, qui consacrait en février dernier la une son magazine Dabiq à « l’extinction de la zone grise », à savoir tous ceux qui ne veulent pas penser le monde en noir et blanc. C'est précisément à ce monde qu'ont rendu hommage ses collègues et étudiants ce matin.
« Nous avons voulu, dès ce matin, mettre en garde contre les amalgames, témoigne Fréderic Saly-Giocanti. Dire que les assassins se revendiquaient d’un islam mortifère, et que tout ceci s’inscrivait dans un conflit plus large, afin que les jeunes puissent relier ce qu’ils ont vécu vendredi et le reste. » Ses élèves sont d’ailleurs, malgré le choc, étonnement lucides. « La guerre, on y est depuis longtemps, au Proche comme au Moyen-Orient. Seulement, pour une fois, c’est sur notre sol », analyse Florian, 19 ans, qui a passé la nuit de vendredi à prendre des nouvelles de ses copains coincés dans un bar rue de Charonne.

« C'est pas ça, l'islam »

Assis sur un banc à quelques mètres du collège Jean-Moulin, à Montreuil (deuxième ville de Seine-Saint-Denis), Malik et ses amis attendent le début des cours. Ils plaisantent. Comment s'appellent ses camarades ? « Lui c'est Mohamed, un vrai prénom de djihadiste ! » Il y a là aussi Ibrahim et Wesle. Mais dès que la conversation s'engage, les mines deviennent graves. En fait, ça ne rigole plus du tout. Malik baisse les yeux.« C'est pas bien ce qu'ils ont fait. » Ibrahim, le regard dans le vague : « Il y aura d'autres attaques, ça ne va pas s'arrêter là. »
Nous sommes sur les hauteurs de Montreuil, un établissement classé “REP” (réseaux d'éducation prioritaire) depuis septembre. La population du collège est plutôt mélangée, mais certains élèves viennent de familles en grande difficulté sociale. Eux sont en 4e, ils ne savent pas où se trouve précisément le Bataclan (« Ce n'est pas un endroit où je serais allé », dit Malik), mais ils regardaient le match de foot vendredi soir. Et puis Montreuil, c'est la ville où a été retrouvée l'une des deux voitures qui ont servi aux attaques… Elle était stationnée rue Édouard-Vailland, non loin du métro Croix-de-Chavaux. « C'est tout près de la piscine où on va tout le temps ! » s'étonne Malik.
Le collège Jean Moulin à Montreuil, le 16 novembre.Le collège Jean Moulin à Montreuil, le 16 novembre. © AP
Pendant tout le week-end, Ibrahim avait interdiction parentale de traîner dehors.« Mais on n'a pas peur », disent-ils d'une seule voix. Ils n'ont pas l'intention de changer quoi que ce soit à leur quotidien. Ils sont musulmans, et ils ne voient pas le rapport.« C'est pas ça, l'islam, dit Ibrahim. On n'a pas le droit de tuer, dit le Coran. Faut faire comprendre aux médias que les djihadistes ne sont pas des musulmans. » Malik ajoute :« Pour moi de toute façon, c'est même pas la faute des djihadistes… Ce sont des types qui ont la tête en vrac... Je dis pas qu'ils ont raison, hein, ça non ! Mais c'est la société qui cherche… Et eux répondent par des kalachs parce qu'ils n'ont que ça… »
Au fond, ils n'ont pas d'explication : « Pourquoi la France est-elle visée ? » s'interroge Malik à haute voix. Il pense que c'est une bonne chose de bombarder les zones contrôlées par l'État islamique en Syrie, « faut les torturer comme ils le font eux-mêmes, il faut leur montrer qu'on est un pays fort ». Wesle n'est pas d'accord : « Ça va faire encore plus de dégâts ! Ça sert à rien de tirer sur eux, ils sont plus armés que nous. »
C'est également l'avis de Vincent, 18 ans, apprenti en CAP plomberie qui travaille dans le quartier ce lundi matin. Pantalon de chantier, chaussures montantes et casquettes vissée sur le crâne, il en est convaincu : « La haine attise la haine. C'est une bêtise ce que fait Hollande. Si on cherche à les exterminer, il y en aura toujours un qui reviendra et se vengera. » Lui habite Montigny-lès-Cormeilles, dans le 95. L'entreprise qui le forme intervient dans plusieurs départements. Sa cousine a perdu une amie au Bataclan.
Il voudrait bien ne pas changer son mode de vie, refuse de plier devant les terroristes dont le but est de faire peur aux gens, mais quand on lui demande s'il se voit aller à un concert prochainement, il se rétracte. « Il y a un grand spectacle de musique électronique le 4 décembre. Je ne sais plus où, mais c'est un truc qui attire beaucoup de monde, genre technoparade. Je comptais y aller… mais je n'en suis pas si sûr maintenant… Cela va se reproduire. Il y en a plein en France, des radicalisés. »
À proximité du Stade de France, en Seine-Saint-Denis, le samedi 14 novembre.À proximité du Stade de France, en Seine-Saint-Denis, le samedi 14 novembre. © AP
De l'autre côté du parc des Beaumonts, toujours à Montreuil, au collège Lenain-de-Tillemont classé “REP +”, après la minute de silence, les élèves sortent pour la pause du déjeuner. Fatoumata, en 3e, raconte qu'ils ont parlé « de ça » toute la matinée, « on n'a pas vraiment fait cours ». La jeune ado a apprécié ce dialogue, « la prof nous a laissés nous exprimer, tout le monde a parlé, et puis elle nous a expliqué des choses ». Il a notamment été question de l'intervention française en Syrie : « C'est un peu pour se venger que Hollande fait ça, c'est pour répondre, estime Fatoumata. Mais on sait très bien que eux aussi vont répondre. » « Ça va retomber sur nous, renchérit Oumar. Il y a aura une contre-attaque, c'est sûr. J'ai peur pour moi et ma famille. »
Un peu plus tôt, aux abords du lycée Jacques-Monod, dans le IIe arrondissement parisien, quatre amies se sont assises sur le trottoir pour discuter. Elles répètent en boucle qu’elles ont peur, qu’elles regardent partout autour d’elles, qu’elles ne se sentent en sécurité nulle part, « même pas au Franprix »« Cette année, les cadeaux de Noël, ce sera sur Internet », prévient l’une d’entre elles. « Tu te rappelles que je suis allée voir Kev Adams au Bataclan l’année dernière ? lance soudain Léa à une amie.T’imagines, ça aurait pu être moi ! » Quand on les interroge sur cette phrase-ritournelle – « ça aurait pu être moi » – les lycéennes évoquent immédiatement les attentats de janvier. « À ce moment-là, c’était choquant, mais c’était visé, précis. Là, c’est tout le monde ! » panique Marie.

« Ils nous ont atteints dans notre intimité »

Wendy est attablée à la terrasse d’un Starbucks en attendant que ses cours, dans un lycée professionnel du IXe arrondissement, commencent. Elle vient de raccrocher avec ses parents qui habitent en province et s’inquiètent « forcément » pour elle. « J’ai peur, mais je ne veux pas changer de vie, assure-t-elle. C’est pour ça que je suis assise en terrasse. Ce qui m’inquiète, c’est qu’il n’y a personne autour de moi… » À 21 ans, cette étudiante ne veut pas « baisser les bras »« Nos aînés se sont battus pour que nous soyons libres, hors de question qu’on nous retire cette liberté. »
Soifa, elle, a d’autres préoccupations. « C’est sûr qu’ils vont annuler la piscine », se désole-t-elle, près des grilles du collège Guillaume-Budé dans le XIXe arrondissement. Impossible d’aller plus loin ce lundi matin, le principal est en réunion avec les professeurs pour préparer l’accueil des élèves dans les classes et refuse la présence des médias. Mais comme dans la rue, au téléphone, dans le métro, les enfants ne parlent déjà que de ça.
Fatma déboule sur son groupe de copines. Elle n’a pas dormi de la nuit. « J’entendais l’ascenseur, j’avais l’impression que les voyous venaient pour moi. » Pourtant, sa mère lui a interdit « d’ouvrir Facebook » et la plupart des collégiens interrogés sont restés tout le week-end enfermés chez eux. « C’était à dix minutes de Place des Fêtes, bien sûr que ça nous touche, t’es maboule toi ! », crie un garçon à un autre, dans le chahut.
Un enfant dépose des fleurs devant le Petit Cambodge.Un enfant dépose des fleurs devant le Petit Cambodge. © REA
Les enfants du collège Guillaume-Budé ont appris à toute vitesse à vivre avec les troubles du monde. Le cousin de Soifa était vendredi soir au Stade de France, l’oncle d’Aïcha aussi. Juste en face du collège, le lycée hôtelier Jean-Quarré a été, ces derniers mois, le port d’attache de centaines de migrants, avant d’être évacué un matin d’octobre. De l’autre côté de la rue, au pied des immeubles de la Place des Fêtes, des militaires en armes font le pied de grue devant un centre communautaire de juifs loubavitch, sous surveillance renforcée depuis les attentats de janvier. « C’est abusé, dit Soifa, on n’a jamais vu la guerre en France et maintenant on a peur que ça vienne chez nous. »
Autre arrondissement, autres établissements, mêmes craintes, mêmes interrogations. Dans le XXe, les lycées Hélène-Boucher et Maurice-Ravel sont situés à quelques mètres l’un de l’autre, tout proches de la porte de Vincennes et de l’Hyper Casher. Le 11 janvier, les élèves avaient été confinés de midi à 17 heures, avant d’être évacués. Ce lundi matin devant Ravel, les portes se ferment. Le surveillant hèle les retardataires. Chaque garçon a droit à deux solides bourrades sur l’épaule, les filles à un sourire chaleureux.
Au même moment, un groupe de filles de 14 et 15 ans sortent de leur première heure de cours. « Le prof nous a laissés parler entre nous pendant une bonne demi-heure, pour qu’on se dise ce qu’on pensait, explique l’une d’entre elles. Il y a eu beaucoup de silences, on ne s’est rien dit pendant plusieurs minutes. Et ensuite seulement, on a commencé le cours. » « J’avais peur d’aller en cours », lâche Ashcaa. « Et moi de prendre le métro ! rebondit Lou Andréa. Avec la ligne 1 toujours bondée, comment on peut être tranquille ? »
Élèves en seconde, elles racontent comment elles se sont ruées sur leurs téléphones dès vendredi soir : SMS, Facebook, Snapchat, tout était bon pour savoir comment allaient les proches. Pour elles aussi, les attentats de vendredi sont différents de ceux de janvier.« Là, c’est nous, c’est notre quartier qui est visé, moi j’habite près de République, raconte Blue. Une de mes amies habite l’immeuble collé au Bataclan. Vendredi soir, elle était chez elle, elle s’est enfermée dans une pièce et a fermé les fenêtres. Elle entendait les coups de feu, elle pensait qu’ils pourraient tirer chez elle. J’ai passé la journée de samedi avec elle pour essayer de la rassurer. »
Un groupe d’adolescents, élèves en première, sort à son tour de l’établissement après leur cours d'anglais. Eux aussi ont eu « beaucoup de mal à se lancer » quand le prof leur a demandé s’ils voulaient parler. « Deux jours plus tard, on a encore du mal… », explique l’un deux. « On vient tous de ces quartiers », ajoute un autre. « C’est des endroits qu’on connaît ou qu’on fréquente : le canal Saint-Martin, le Bataclan, affirme Mélina. À un week-end près, ça aurait pu être nous. Bien sûr, on est heureux de se dire que nous n’avons pas été touchés, mais ça nous touche forcément. » « Ils nous ont atteints dans notre intimité », juge Anouk, qui a assisté à un concert de Rone à l’Olympia voilà deux semaines.
Chacun à leur façon, ils tentent de mettre des mots sur cette peur qui les tétanise. « Le but des terroristes, c’est de faire peur, de terroriser, et ça marche », glisse Rayan avec un fin sourire mi-figue mi-raisin. « On n’est pas rassurés, en fait. On n’est pas sûr que l’État ait les moyens de nous protéger. Et puis, ils ont encore bombardé Daech en Syrie, il pourrait encore se passer des choses pires en France », dit Mélina.
Hier soir, Jade-Salomé a assisté au mouvement de foule rue des Rosiers, où elle habite. Elle aussi se dit inquiète que les attentats recommencent. À quelques mètres de là, devant les portes du lycée Hélène-Boucher, Solal (qui a déjà témoigné sur Mediapart) et Sacha ne se sentent eux non plus « pas trop en sécurité »« Mais on n’a pas le choix, on doit bien prendre le métro pour aller au lycée », lâche Sacha. Il s’étonne des « énormes failles du ministère de l’intérieur : des gens qui organisent des attentats aussi coordonnés, ça laisse forcément des traces »« Ils vont devoir prendre des mesures plus sérieuses, se rassure-t-il. Pour la paix à venir, on n’est pas trop optimistes, mais peut-être qu’on sera plus protégés. »
Au milieu des conversations captées ce lundi par Mediapart, où beaucoup de choses sensées émergent, surgissent parfois des énormités. Elles émanent souvent des plus jeunes et a fortiori des moins informés. Parmi eux, certains voient dans les attaques de vendredi « un coup monté par François Hollande avant les élections », tandis que d’autres s’essaient à leurs premiers raisonnements politiques, sans pour autant en maîtriser les bases. « Sarko avait fermé les frontières. Pourquoi Hollande les a rouvertes ? », s’interroge ainsi une élève de seconde. Mais ces déclarations restent toutefois marginales. Elles dénotent avant tout la grande confusion dans laquelle sont plongés les jeunes Franciliens qui, pour la deuxième fois en l'espace de dix mois, voient leur ville frappée.

source : http://www.mediapart.fr/