jeudi 31 mars 2016

Polémique autour de Tariq Ramadan


Polémique autour de Tariq Ramadan

Cette polémique n’a d’intérêt que si l’on écarte préalablement la question de la liberté d’expression. C’est un droit fondamental reconnu par les lois de la République qui s’exerce dans les limites imposées par celles-ci. Elles interdisent l’appel au meurtre, à la haine de l’autre, la propagande raciste…Or ceci ne concerne pas les conférences de Tariq Ramadan.
Le droit de s’exprimer publiquement  relève des libertés publiques. Elles sont à défendre chaque fois qu’elles sont menacées. Alain Juppé  en déclarant que Tariq  Ramadan n’est pas le bienvenu à Bordeaux n’exprime pas une interdiction mais un avis sur le contenu de ses discours. J’ai assisté dimanche 27 mars 2016 à sa conférence à Marseille, dans le cadre des rassemblements régionaux de l’UOIF, et rien dans son intervention ne relevait du racisme ou d’un soutien aux auteurs d’attentats.
Cette liberté d’expression permet d’engager le dialogue sur les positions qu’il exprime notamment dans ses livres. Je ne vais aborder que quelques aspects essentiels, trop succinctement, tant l’approfondissement demanderait de nombreux développements et que son expression n’est pas d’une clarté absolue au premier abord.
Ses liens avec les « Frères Musulmans » sont connus et revendiqués. Sa filiation avec son fondateur Hassan Al-Banna, n’est pas uniquement génétique (H. Al-Banna est son aïeul) mais surtout de pensée : « «J’ai étudié en profondeur la pensée de Hassan al-Banna et je ne renie rien de ma filiation. Sa relation à Dieu, sa spiritualité, son mysticisme, sa personnalité en même temps que sa pensée critique sur le droit, la politique, la société et le pluralisme restent des références pour moi, de cœur et d’intelligence.(…) Son engagement aussi continue de susciter mon respect et mon admiration.»[1]
Or Hassan Al-Banna définit l’islam comme “à la fois religion et État, Coran et sabre »,  « une organisation complète qui englobe tous les aspects de la vie. C’est à la fois un État et une nation, ou encore un gouvernement et une communauté. C’est également une morale et une force, ou encore le pardon et la justice. C’est également une culture et une juridiction, ou encore une science et une magistrature. C’est également une matière et une ressource, ou encore un gain et une richesse. C’est également une lutte dans la voie d’Allah et un appel, ou encore une armée et une pensée. C’est enfin une croyance sincère et une saine adoration. L’islam, c’est tout cela de la même façon». Définition sans ambiguïté d’une théocratie totalitaire.
Sa vision de la laïcité se limite à la vision restrictive d’une loi de séparation de l’église et de l’État : » : « La laïcité, selon moi, est le processus historique de séparation de l’église et de l’État, auquel j’adhère ; le laïcisme est l’idéologie qui use du moyen de la laïcité pour combattre le religieux ». « Avec l’idéologie laïciste, le serpent se mord la queue : on s’est battus pour la diversité et la neutralité de l’espace, et voilà que la laïcité est instituée en nouvelle religion excluant toutes les autres. »[2] D’une part, il réduit la définition de la laïcité à un seul aspect, omettant de mentionner qu’elle garantit la liberté de conscience, de croire ou de ne pas croire, la possibilité, pour le croyant de changer de religion ou de n’en adopter aucune. Je n’ai vu nulle part qu’il s’exprimait clairement sur le droit d’apostasie. D’autre part il s’empresse de la caricaturer en l’assimilant au « laïcisme » selon un glissement rhétorique éculé.
Sa position sur l’égalité des hommes et des femmes
Tariq Ramadan, dans sa discussion avec Edgar Morin. est tout en nuance : « Pourquoi dans la tradition chrétienne, par exemple, la conception de l’Homme est-elle liée à une considération morale : nous sommes certes tous égaux, mais la femme fut tentée et elle est la tentatrice ? Question centrale quant à la conception de l’Homme : commence-t-on par la qualification morale de l’être humain afin de déterminer qui est coupable et de quoi il est coupable ou part-on de l’innocence de l’Homme afin de déterminer quelle est sa responsabilité ? Nous ne sommes pas sortis de cette problématique, de cette idée que nous avons certes la même dignité, mais pas forcément le même type de rapport à la moralité, au bien ou au mal. »[3]
Dans « L’islam en questions »[4] Tariq Ramadan formule différemment sa position : « L’islam offre un cadre de référence dans lequel se dessine une conception globale de l’être humain, de l’homme, de la femme, et de la famille. Deux principes sont essentiels : le premier fonde l’idée d’une égalité entre l’homme et la femme devant Dieu, le second celui de leur complémentarité sur le plan social. Selon cette conception, c’est l’homme qui est responsable de la gestion de l’espace familial mais le rôle de la mère y est central ».
Egalité devant Dieu, cela ne porte pas à conséquence, mais dans la société c’est l’homme qui est le chef. La place de la femme n’est envisagée que comme mère dans le cadre familial, son rôle dans l’espace public n’est pas abordé. Même à l’intérieur de la famille, c’est l’homme qui est le « responsable de la gestion ». Tariq Ramadan dessine ainsi la hiérarchie des sexes traditionnelle, celle qui est mise en œuvre dans les pays musulmans, la femme mère et épouse. Il se refuse a donner un définition claire de l’égalité, qui soit politique, sociale et juridique. Le parti Ennardha (proche des Frères musulmans) en Tunisie a défendu le principe de « complémentarité » des hommes et des femmes contre celui d’égalité. L’absence de clarté de ses propos cache un profond archaïsme.
Que dit Tariq Ramadan après les attentats de janvier en France ?
Tout en condamnant les attentats, il suggère qu’ils pourraient être le fait des services secrets français.
« On a entendu hier [que les frères Kouachi] ont oublié leurs cartes d’identité dans la voiture, deux cartes d’identité... d’un côté tant de sophistication, de l’autre tant de stupidité... Nous devons demander qui sont ces gens, nous devons demander comment ils ont été en capacité de faire cela (...) Nous devons creuser, aller plus profond, nous devons demander quelles sont leurs connexions, quel est le rôle des services secrets dans toute cette affaire, où sont-ils, comment cela a-t-il pu se passer de cette manière (...) nous devons condamner, mais nous ne devons pas être naïfs ». Ce genre d’interprétation de nature complotiste servira  de base à des développements sur les réseaux sociaux en occultant la responsabilité des auteurs et de tous les prêcheurs de haine.
Sa proximité avec Youssef Al-Quaradawi.
Ils dirigent ensemble le Centre de recherche sur la législation islamique et l’éthiqueimplanté au Qatar.Y. Al-Quaradawi est un prêcheur de la chaîne qatarie Al Jazeera. Il diffuse l’idée que l’Europe est une terre à conquérir au nom de l’islam :
Sur Al Jazeera, il déclare :
« Les amis du Prophète ont entendu [de sa bouche] que deux villes seraient conquises par l’islam, Romiyya et Constantinople, le Prophète ayant précisé qu’Héraclès [qui deviendra plus tard Constantinople] serait conquise en premier. Romiyya est Rome, capitale italienne, tandis que Constantinople était la capitale de l’État de la Rome byzantine, aujourd'hui Istanbul. Il a décrété qu'Héraclès serait conquise en premier, et c'est ce qui est arrivé... Constantinople a été conquise, mais la seconde partie de la prophétie, c'est-à-dire la conquête de Rome, reste à réaliser. Cela signifie que l'islam retournera en Europe. L’islam est entré deux fois en Europe, et deux fois l’a quittée... Peut-être que la prochaine conquête, avec la volonté d'Allah, se fera par la prédication et l'idéologie. Toute terre n'est pas obligatoirement conquise par l’épée... [La conquête de la Mecque] ne s’est pas faite par l’épée ou la guerre, mais par un traité [de Houdaybia] et par des moyens pacifiques... Peut-être allons-nous conquérir ces terres sans armée. Nous voulons qu’une armée de prédicateurs et d’enseignants présentent l’islam dans toutes les langues et tous les dialectes... (13)» Al Jazira, le 24 janvier 1999
« L’Europe [finira par] se rendre compte qu’elle souffre de sa culture matérialiste et se cherchera une solution de remplacement, une échappatoire, un canot de sauvetage ; elle ne trouvera rien qui puisse la sauver, si ce n’est le message de l'islam, le message du muezzin qui lui transmettra la religion sans renier le monde, la conduira aux cieux sans la déraciner de la terre. Avec la volonté d’Allah, l’islam retournera en Europe, et les Européens se convertiront à l’islam. Ils seront ensuite à même de propager l’islam dans le monde, mieux que nous, les anciens musulmans (15) ». Al Jazira, le 30 novembre 2000. .
Proche de Tariq Ramadan,  Hassan Iquioussen, autre conférencier du rassemblement de l’UOIF le 27 mars à Marseille. Il est présenté comme le « prêcheur des cités », co-fondateur des Jeunes musulmans de France. Les vidéos qui reprennent ses interventions, diffusées sur You tube et visionnées par des millions de personnes, portent sur tous les sujets. Dans une cassette audio de 2003 portant le titre « La Palestine, histoire d’une injustice », il tient des propos sur les juifs rapportés dans un article de l’Humanité par le journaliste Marc Blachère :« La théorie des juifs dit qu’’ils sont le Peuple élu et que Dieu a créé les êtres humains pour les servir, comme des moutons, des esclaves. » Un peu plus loin, Hassan Iquioussen ajoute :«Les textes aujourd’hui le prouvent. Les sionistes ont été de connivence avec Hitler. Il fallait pousser les juifs d’Allemagne, de France... à quitter l’Europe pour la Palestine. Pour les obliger, il fallait leur faire du mal. »[5]
Nombreux sont les intellectuels arabo-musulmans (Arkoum, Meddeb, Daoud, Kacimi, Adonis, Benzine, Ben Slama, Bidar …) qui se battent pour une réforme radicale de l’islam, qui luttent contre l’intégrisme et les conservatismes religieux, qui défendent le droit à l’apostasie, à l’égalité des hommes et des femmes, à la liberté de conscience à la laïcité. Il y a à gauche des partisans du dogme qui ne les écoutent pas et qui préfèrent défendre les positions réactionnaires de Tariq Ramadan. Je n’en suis pas,  fidèle en cela à une gauche progressiste qui défend les libertés gagnées difficilement par des citoyens courageux. Je suis, bien évidemment, pour que  Tariq Ramadan puisse s’exprimer publiquement en France, mais je suis en profond désaccord avec son projet politique et social.

[1] Alain Gresh et Tariq Ramadan, L’Islam en questions, Sindbab, 2002, pp. 33-34 –
[2]  Edgar Morin et Tariq Ramadan, Au péril des idées, Presses du Châtelet, 2014, p. 21
[3] Edgar Morin et Tariq Ramadan, Au péril des idées, Presses du Châtelet, 2014, p. 38
[4] Alain Gresh et Tariq Ramadan, L’islam en questions, Actes Sud, 2002, p. 280
[5]L'Humanité 17 janvier 2004

Le Club est l'espace de libre expression des abonnés de Mediapart. Ses contenus n'engagent pas la rédaction.

Coupable de penser

Afficher l'image d'origine
Kamel Daoud, écrivain et journaliste

A-t-on le droit de penser l’islam en dehors des catégories du catéchisme islamo-gaucho-multiculturaliste?

Rien n’est plus révélateur de notre époque, en condensé, que la controverse entourant Kamel Daoud. Vingt chroniques ne suffiraient pas à la résumer.
Algérien, longtemps chroniqueur au Quotidien d’Oran, Daoud est l’auteur d’un formidable roman, Meursault, contre-enquête­­, Prix Goncourt 2015 du premier roman, qui reprend à l’envers, du point de vue de l’Arabe, le célèbre roman d’Albert­­ Camus, L’Étranger (1942).
En 2014, une fatwa est prononcée contre lui pour avoir, selon un imam condamné depuis par les autorités algériennes, «mis le Coran en doute».
Puis, dans la nuit du Nouvel An 2016, surviennent les agressions de Cologne­­. Dans Le Monde du 31 janvier, Daoud revient sur les événements, mais propose aussi une interprétation plus large des malheurs du monde musulman.
Asservissement
Tant que la femme y sera asservie, écrit Daoud, le monde arabomusulman s’enfoncera dans la violence, le non-développement et les fantasmes. C’est pour lui la clé de toute l’affaire.
Sur la conception dominante, pas la seule, de la femme dans le monde arabe, Daoud écrit:
«À qui appartient le corps de la femme? À sa nation, sa famille, son mari, son frère aîné, son quartier, les enfants de son quartier, son père, et à l’État, la rue, ses ancêtres, sa culture nationale, ses interdits. À tous et à tout le monde, sauf à elle-même.»
L’islamiste, lui, va encore plus loin:
«L’islamiste n’aime pas la vie. Pour lui, il s’agit d’une perte de temps avant l’éternité, d’une tentation, d’une fécondation inutile, d’un éloignement de Dieu et du ciel et d’un retard sur le rendez-vous de l’éternité. La vie est le produit d’une désobéissance et cette désobéissance est le produit d’une femme.»
Sur la problématique des migrants, Daoud écrit:
«En Occident, le réfugié ou l’immigré sauvera son corps, mais il ne va pas négocier sa culture avec autant de facilité. (...) Les adoptions collectives ont ceci de naïf qu’elles se limitent à la bureaucratie et se dédouanent par la charité.»
Fatwa
A-t-on le droit de penser l’islam en dehors des catégories du catéchisme islamo-gaucho-multiculturaliste? Apparem­ment, non, car une deuxième fatwa s’est abattue sur Daoud, gracieuseté cette fois d’un collectif­­ d’universitaires, dans Le Monde du 11 février.
Pour eux, vous l’aurez deviné, Daoud est coupable de la faute suprême­­: une «islamophobie» qui fait le jeu de l’extrême droite. Comme ce sont des universitaires, ils ne sauraient être motivés, n’est-ce pas, que par la rigueur et l’objectivité.
Daoud avait écrit: « Il faut offrir l’asile au corps, mais aussi convain­cre l’âme de changer.»
Ces gens ripostent: «C’est ainsi bien un projet disciplinaire, aux visées à la fois culturelles et psychologiques, qui se dessine. Des valeurs doivent être “imposées” à cette masse malade, à commencer par le respect des femmes. Ce projet est scandaleux (...)».
On a bien lu: il est «scandaleux» et «disciplinaire» de poser comme non négociable le respect des femmes. Ce serait affirmer, écrivent-ils plus loin, «la supériorité des valeurs occidentales­­».
Je l’ai écrit mille fois: le danger ne vient pas que de l’ennemi, mais aussi de ce qu’il y a dans les têtes de certains des nôtres.

JOSEPH FACAL
source : Le journal de montreal

mercredi 30 mars 2016

Réforme constitutionnelle: la cuisante défaite de François Hollande

Réforme constitutionnelle: la cuisante défaite de François Hollande

30 MARS 2016 | PAR LÉNAÏG BREDOUX
Le président de la République a annoncé mercredi l'abandon de la réforme constitutionnelle. Après quatre mois de débats incessants sur la déchéance de nationalité qui ont cristallisé les oppositions à gauche, le Congrès ne sera donc pas convoqué. Le pouvoir tente d'en faire porter la responsabilité à la droite. Mais c'est un échec politique majeur pour François Hollande et pour son premier ministre Manuel Valls, ardent défenseur de la réforme, tant cette affaire a fracturé l'électorat de gauche.
« C’est un génie ! » Ainsi s’enthousiasmait un ami de longue date de François Hollande, au lendemain du discours présidentiel prononcé devant le congrès réuni à Versailles, le 16 novembre 2015. Le président de la République venait d’être ovationné par les députés et sénateurs de toutes sensibilités, trois jours après les attentats du 13-Novembre, après avoir annoncé sa volonté de changer la Constitution pour y inscrire l’état d’urgence et la déchéance de nationalité pour les binationaux condamnés pour terrorisme. Près de cinq mois plus tard, l’échec du « génie », réputé pour son habileté tactique, est cinglant.
Mercredi, après avoir rencontré une nouvelle fois le président de l’Assemblée nationale, Claude Bartolone (PS), et celui du Sénat, Gérard Larcher (LR, ex-UMP), François Hollande a lui-même annoncé l’abandon de la réforme constitutionnelle. Le Congrès ne sera pas convoqué à Versailles. « J’ai décidé de clore le débat constitutionnel », a-t-il déclaré depuis le salon Napoléon du palais de l’Élysée, lors d’une courte allocution télévisée.
En cause, deux versions inconciliables de l’article 2 consacré à la déchéance de nationalité. Alors que François Hollande avait indiqué à Versailles qu’elle ne concernerait que les binationaux, l’Assemblée en avait modifié la rédaction pour assurer le vote de la majorité des socialistes en élargissant cette possibilité de déchéance aux mono-nationaux. Ce qui revenait à créer des apatrides, ce qu'avait tranquillement assumé et même défendu Manuel Valls devant les parlementaires, le premier ministre étant monté en première ligne tout au long de ces mois de débats pour défendre ce qu'il appelait « le serment de Versailles ».
Mais le Sénat, dominé par la droite, a refusé cette réécriture et a voté un texte modifié, où seuls les binationaux pouvaient être concernés. Résultat : François Hollande ne disposait plus d’une majorité des 3/5e des députés et sénateurs indispensable pour réformer la Constitution. Et pour ne pas continuer ce bidouillage incessant, il a renoncé à présenter une demi-réforme avec le seul article 1 sur la constitutionnalisation de l’état d’urgence, même complétée par la réforme a minima du Conseil supérieur de la magistrature.

François Hollande au congrès à Versailles, le 16 novembre 2015 © ReutersFrançois Hollande au congrès à Versailles, le 16 novembre 2015 © Reuters
« Quatre mois après [le congrès de Versailles, le 16 novembre – ndlr], je constate que l’Assemblée nationale et le Sénat ne sont pas parvenus à se mettre d’accord et qu’un compromis semble hors d’atteinte, a expliqué le président de la République. Je constate aussi qu’une partie de l’opposition est hostile à toute révision constitutionnelle. Je déplore profondément cette attitude. Car nous devons tout faire pour éviter les divisions et pour écarter les surenchères. » « Les attentats de Bruxelles nous confirment que la menace reste plus élevée que jamais. (…) Le terrorisme islamiste nous a déclaré la guerre, à la France, à l’Europe, au monde entier », a également prévenu François Hollande.
Du côté de ses partisans, les éléments de langage sont rodés. Cela fait déjà plusieurs jours qu’ils les distillent sur les plateaux ou à l’abri du off, quitte à surjouer leur agacement, voire à sombrer dans la récupération politicienne« C’est la droite qui est responsable. » « Au Sénat, la version de la droite a été votée à une courte majorité alors que nous, à l’Assemblée, on a fait voter le texte avec 3/5e des députés. » « Voilà les irresponsables ! Et n’allez pas dire que c’est nous. »
« Il faut que tout le monde soit renvoyé à ses propres turpitudes, intimait récemment un ministre proche de François Hollande. Au Sénat d’assumer ses responsabilités. » « Nous, on tient tous les fils de l’unité nationale, expliquait encore l’Élysée la semaine dernière.On est même allé chercher des propositions hors du champ de la gauche. La droite, elle, n’a pas montré beaucoup de volonté de compromis. » « C’est la droite qui voulait cette disposition, abonde un autre ministre. C’est pour faire l’unité nationale que le président l’a reprise. On l’a même fait au prix d’une forme de sacrifice. »
Dans la même veine, le PS a publié un communiqué de presse mardi soir exhortant la droite à « s’affranchir des considérations politiciennes ». Et le député PS Patrick Mennucci a enfoncé le clou mercredi depuis l’Assemblée : « Cet échec, c'est la faute à la droite. Abdeslam ne pourra jamais être déchu », a-t-il expliqué en référence à Salah Abdeslam, un des organisateurs des attentats du 13-Novembre, arrêté récemment.
Mais la petite musique sur la droite fautive et irresponsable risque d’être bien inaudible. Tout du moins largement partiale. Car c’est bien François Hollande qui a voulu cette réforme constitutionnelle. Et c’est lui qui s’est placé dans une équation absurde. Il a chassé sur les terres de la droite et de l’extrême droite en proposant d’inscrire dans la Constitution une de leurs propositions. Celle-ci a profondément divisé le PS et la gauche, y compris dans les rangs de ceux qui défendaient la politique économique et sociale du chef de l’État. Il a provoqué le départ de Christiane Taubira du gouvernement. Il a suscité des débats surréalistes voyant les députés socialistes s’inquiéter de la stigmatisation des binationaux pour finalement accepter de créer des apatrides… Et c’est finalement la droite que le président croyait prendre à contrepied qui inflige une défaite cuisante à François Hollande, déjà très affaibli par des sondages de plus en plus défavorables.
Depuis novembre, à son entourage et plusieurs de ses ministres, le président s’est justifié en expliquant que les attentats laissaient craindre un effet de souffle irréversible dans le pays, tétanisé par la perspective de nouveaux massacres, imaginant leurs institutions totalement inutiles et obsolètes et appelant à un régime autoritaire. « Au deuxième attentat, tu n’as pas le choix. Tu dois taper fortexpliquait un conseiller ministériel cet automneCar on doit éviter que ce soit la panique partout, et que tout le monde se tourne vers Marine Le Pen. » C’était tout l’intérêt, aux yeux de ses promoteurs, d’une mesure symbolique – elle n’a aucune utilité en matière de lutte antiterroriste –,  destinée à souder la communauté nationale.
« C’était une façon de veiller à la fragmentation de la société et, de ce point de vue, c’était politiquement intelligentdétaillait pour Mediapart Marylise Lebranchu, juste après son départ du gouvernement. Si François Hollande n’avait pas posé la question, elle serait restée dans le débat. Et elle aurait provoqué une petite musique détestable et davantage encore de fragmentations dans la société française. » L’ancienne ministre socialiste jugeait pourtant elle-même que la mesure heurtait sa « conscience » et qu’elle ne l’aurait pas votée…
« Je l’avais fait en appelant à un dépassement des frontières partisanes, pour rassembler les Français, dans une période où l’épreuve était considérable et qu’il fallait un acte qui puisse témoigner de ce que nous pouvions faire ensemble », a expliqué lui-même François Hollande mercredi.
Mais à l’Élysée et au gouvernement, on espérait aussi faire de cette réforme constitutionnelle un joli coup politique : François Hollande pensait étouffer la droite, en occupant son terrain favori, pour la piéger à un an de la présidentielle. Au passage, s’il avait pu tordre le cou une nouvelle fois à la gauche du PS et aux « frondeurs », il n’aurait guère boudé son plaisir. Et il aurait même pu savourer si, au passage, son premier ministre Manuel Valls, envoyé au front sur ce texte, avait pu s’y griller (un peu) les ailes…
Finalement, le président de la République a lui-même distillé cette « petite musique détestable », en faisant de la déchéance de nationalité un débat politique central pendant plus de quatre mois. Provoquant tribunes, interviews, et  marchandages incompréhensibles à l’Assemblée où pas moins de trois versions de l’article ont été déposées. Depuis sa bulle élyséenne, François Hollande n’a pas perçu à quel point cette mesure heurtait une partie des Français et fracturait l'électorat de gauche. Comme à son habitude, le président de la République a laissé prospérer les débats et les intrigues, comme s'il s'amusait de ce spectacle dont il croit toujours qu'il va écrire le dernier acte. Cette fois, il a perdu. Avec des conséquences encore difficiles à mesurer mais, à coup sûr, considérables.
source : Mediapart

mardi 29 mars 2016

Les Grandes Questions : Comment penser l'après 7 janvier 2015 ? Avec F. O. Giesbert, M. Pingeot, E. Abécassis et G. Muhlmann, J. L. Mélenchon, A. Del Valle et G. Bencheikh

Ghaleb Bencheikh - éloquence clarté et pertinence - Les grandes questions 7 janvier 2015 France 5

«Tout a commencé par une trahison», selon J.-F. Kahn

L’écrivain et journaliste Jean-François Kahn

L’écrivain et journaliste Jean-François Kahn


 

C’est l’une des rares voix et plumes médiatiques françaises à rappeler l’erreur, voire la «trahison» d’une grande partie de la presse française devant la tragique décennie noire de l’Algérie. Jean-François Kahn, ancien directeur de Marianne, le rappelle dans le dernier numéro du magazine (du 16 au 22 janvier 2015).

Dans une analyse intitulée «Et si on reconnaissait enfin toutes les erreurs que nous payons aujourd’hui», Jean-François Kahn rappelle qu’«on a voulu l’oublier, mais les premiers résistants qui versèrent leur sang en affrontant la barbarie furent des musulmans». «Tout a commencé par une trahison. Car on a presque fini par l’oublier ou, plus exactement, on a voulu l’oublier, ceux qui, depuis plus de vingt ans, sont tombés par centaines de milliers sous les coups des tueurs fanatisés d’un islam perverti sont des musulmans ; ceux qui, les premiers, à leurs risques et périls, leur ont opposé (je pense aux femmes algériennes) leur héroïque détermination sont des musulmans.
Ceux qui, les premiers également, ont lutté les armes à la main, comme aujourd’hui les Kurdes de Syrie, sont des musulmans.» Et, plus clairement, «or, on les a poignardés dans le dos». «Faut-il rappeler cette période terrible où l’Algérie étant en butte aux atrocités commises par ceux dont les auteurs du carnage de Charlie Hebdo sont les héritiers, toute une fraction des médias français se déchaîna non contre les ‘barbares’, mais contre ceux qui tentaient de leur tenir tête ?» Et : «Souvenons-nous donc : ce n’étaient pas les fanatiques allumés du GIA qui tuaient, massacraient, exterminaient femmes, enfants, vieillards, non, non, c’étaient leurs adversaires… Des témoins de leurs épouvantables agissements, scandalisés par ce déni, envoyaient des délégations à Paris pour dire le vrai.
On refusait de les recevoir. Des civils épouvantés dont on avait égorgé les proches, des démocrates, des laïcs, des patriotes, souvent issus de mouvances de gauche, à la suite de tueries, se regroupaient et constituaient des milices d’autodéfense, ce sont eux et non les islamistes qu’une journaliste de Libération fustigeait et désignait comme les fauteurs de guerre. Les tueurs étaient des ‘rebelles’, ce qui est noble, ceux qui appelaient à les combattre étaient des ‘éradicateurs’.
Donc des méchants. On sortait de temps à autre du chapeau des ‘officiers déserteurs’ qui affirmaient qu’en effet, ce n’étaient pas des islamistes qui tuaient. Gros titre à la une assuré. Or, on découvrit, à l’occasion des attentats de Londres, que c‘étaient tous des faux témoins, des militants islamistes radicaux à qui l’organisation avait demandé de jouer ce rôle. Les lecteurs (ou auditeurs) français n’en furent pas avertis.»
Les Algériens, les démocrates algériens, eux, n’ont pas oublié. Ils ne sont pas pour autant rancuniers, voire vindicatifs, eux envers lesquels la communauté internationale a été en faillite de solidarité, pis, a isolé le pays pendant la tragique décennie noire, considéré alors comme non sûr et non fréquentable.
Lorsque Charlie Hebdo a été la cible de l’attentat terroriste du 7 janvier, la presse algérienne a unanimement dénoncé le crime et apporté la solidarité – dont elle a elle-même cruellement manqué – à ses confrères français. Au niveau diplomatique, la présence du ministre algérien des Affaires étrangères à la marche de Paris a signifié la solidarité nationale à la France endeuillée, son soutien à lutte, aujourd’hui – ou plus exactement depuis le 11 septembre 2001 – internationale, contre le terrorisme que l’Algérie n’a eu de cesse de combattre, seule, pendant une décennie.

lundi 28 mars 2016

Paris-Bruxelles, l'enquête fait apparaître les liens entre djihadistes

Paris-Bruxelles, l'enquête fait apparaître les liens entre djihadistes

25 MARS 2016 | PAR LA RÉDACTION DE MEDIAPART
Des arrestations ont été conduites en Belgique et en France jeudi et vendredi. Un troisième homme apparaissant sur des images de vidéosurveillance avec les deux kamikazes auteurs de l'attaque à l'aéroport de Zaventem a été identifié samedi. Le détail sur l'enquête en cours et le rôle des principaux “acteurs”, alors que la « marche contre la peur » prévue ce dimanche dans la capitale belge a été annulée, à la demande des autorités.
« En voie d’être anéanti. » C’est par ces mots que François Hollande a défini le sort du réseau de djihadistes qui a mené les attentats de Paris du 13 novembre 2015 et ceux de Bruxelles, le 22 mars 2016. « Nous savons qu'il y a d'autres réseaux, il y a toujours une menace qui pèse », a toutefois ajouté le président français, depuis l’Élysée, au début d'un entretien avec l'ancien président israélien Shimon Peres. La marche contre la peur prévue ce dimanche dans la capitale belge a d'ailleurs été annulée, à la demande des autorités.
Ce samedi, la presse belge affirme qu'un troisième homme apparaissant sur des images de vidéosurveillance avec les deux kamikazes auteurs de l'attaque à l'aéroport de Bruxelles-Zaventem a été identifié comme étant Fayçal Cheffou. La veille, le parquet fédéral de Belgique avait indiqué dans un communiqué qu'un individu identifié comme « Fayçal C » était l'un des trois suspects détenus par la police. Ce samedi, le parquet a fait savoir qu'il venait d'inculper Fayçal Cheffou de participation à un groupe terroriste ainsi que de meurtres terroristes et de tentative de meurtres terroristes. Il avait été interpellé jeudi soir en plein cœur de Bruxelles, devant le parquet fédéral.
Deux autres individus ont eux aussi été inculpés pour activités terroristes et appartenance à un groupe terroriste : l'un d'eux est désigné comme étant Aboubakar A. et l'autre comme Rabah N. ; ce dernier était recherché en lien avec un coup de filet mené cette semaine en France, qui selon les autorités a permis de déjouer un attentat. Dimanche, le procureur fédéral belge a annoncé qu'un deuxième suspect a été inculpé dans l'enquête sur un projet d’attentat déjoué en France. Il s'agirait d'un certain Abderamane A., arrêté vendredi à Bruxelles et dont la garde à vue avait été prolongée samedi. Il a été mis en examen pour participation aux activités d’un groupe terroriste.
Par ailleurs, le quotidien francophone Dernière Heure (DH) de samedi rapporte qu'un agent employé à la sécurité d'une centrale nucléaire belge a été assassiné (sans qu'on sache s'il existe un lien avec des activités terroristes) et son badge magnétique a été dérobé deux jours après les attentats. Le journal précise que le badge de l'employé a été désactivé dès la découverte du cadavre de l'agent abattu dans la région de Charleroi.
Neuf personnes au total ont été arrêtées ces derniers jours en Belgique et deux en Allemagne, les enquêteurs recherchant des djihadistes qui seraient liés aux attentats qui ont fait 31 morts mardi à Bruxelles et 130 à Paris en novembre dernier. Plus précisément, vendredi la police belge a blessé et arrêté un homme à Schaerbeek, dans l'agglomération bruxelloise, alors que celui-ci était en possession d'une valise contenant des explosifs, selon la RTBF. Dans le même temps, deux perquisitions ont été menées : l’une, à Forest, a permis d’arrêter un certain Tawfik A., également blessé à la jambe ; l’autre, à Saint-Gilles, a abouti à l’arrestation du nommé Salah A., a précisé le parquet fédéral belge. Vendredi, le parquet belge a par ailleurs confirmé que le deuxième kamikaze de l'aéroport était bien Najim Laachraoui, un djihadiste belge de 24 ans. Sa fiche a été retirée du site d'Interpol des personnes recherchées.
Jeudi, un autre homme, Reda Kriket, qui projetait lui aussi de commettre un attentat dont les préparatifs étaient bien engagés, a été interpellé à Boulogne-Billancourt (Hauts-de-Seine), déclenchant une série de perquisitions à Argenteuil (Val-d’Oise). Ce Français de 34 ans a été condamné par contumace en juillet dernier à Bruxelles à dix ans de prison pour participation à un réseau de recrutement djihadiste, la “filière syrienne”.
Bernard Cazeneuve a confirmé vendredi que cette opération antiterroriste concernait« un réseau extrêmement dangereux », mais le ministre de l'intérieur s'est refusé à établir un lien avec l'opération de Schaerbeek. « L’arrestation est une arrestation importante, l'enquête permettra de constater quelle était l'ampleur de ce réseau et quelle était la dangerosité des acteurs concernés », a-t-il dit en marge d'une visite à Marseille. Selon Le Monde, ces deux opérations sont liées.
Sur les six personnes arrêtées jeudi à Bruxelles, trois ont été remises en liberté.
En Allemagne, deux suspects ont également été arrêtés. L'un d'eux a reçu mardi sur son téléphone des messages contenant le nom du kamikaze du métro bruxellois, Khalid El Bakraoui, et le mot « fin » en français, trois minutes avant l'explosion à la station de métro Maelbeek, affirme le magazine Der Spiegel. Selon une source proche de l'enquête, l'une des personnes arrêtées ces dernières heures en Belgique serait l'homme filmé par les caméras de surveillance du métro en compagnie de Khalid El Bakraoui.
Au total, les nombreuses opérations conduites depuis mardi et les liens étroits établis entre les attentats de Paris et de Bruxelles permettent de cerner au plus près ce réseau ou cette nébuleuse terroriste. Les rôles de chacun commencent à s'éclaircir, de même que leurs itinéraires passés. Ci-dessous, nous présentons les principaux acteurs de ce réseau.
  • Les organisateurs du réseau
Salah Abdeslam.Salah Abdeslam.
Salah Abdeslam
Arrêté le 18 mars 2016 à Bruxelles, Salah Abdeslam est l'un des principaux organisateurs des attaques du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis. Selon deux témoignages, il aurait fait partie du commando qui a mitraillé les terrasses. (Lire notre article : Le parcours et la traque de Salah Abdeslam.)
Abdelhamid Abaaoud
Abdelhamid Abaaoud, né à Molenbeek (Belgique), a été tué le 18 novembre à Saint-Denis, dans un assaut donné par le Raid. Il fait partie des principaux organisateurs des attentats du 13-Novembre. C'était un ami de longue date de Salah Abdeslam.
Abdelhamid Abaaoud.Abdelhamid Abaaoud.
Ils ont été emprisonnés tous les deux en Belgique en 2010 après des braquages. Abaaoud est accusé d’avoir été en contact avec Mehdi Nemmouche, le tueur du Musée juif de Bruxelles, d’avoir dirigé le commando démantelé à Verviers (Belgique) début 2015, d’avoir été l’instigateur des attentats ratés de Sid Ahmed Ghlam à Villejuifet d’Ayoub el-Khazzani dans le Thalys. 
Mohamed Belkaid, alias Samir Bouzid
Mohamed Belkaid, alias Samir Bouzid, a été tué le mardi 15 mars 2016 à Forest lors d'une perquisition menée par des policiers belges et français. Algérien de 35 ans (né le 9 juillet 1980), il était connu jusque-là sous la fausse identité de Samir Bouzid. Soupçonné d’être l’un des logisticiens des attentats du 13-Novembre, il était activement recherché depuis. Il avait été contrôlé le 9 septembre 2015 avec Salah Abdeslam et Najim Laachraoui (l'un des kamikazes de l'aéroport Zaventem, à Bruxelles, aussi connu sous le nom de Soufiane Kayal) à la frontière austro-hongroise à bord d'une Mercedes. Il aurait été le destinataire de SMS envoyés entre autres par un des terroristes du Bataclan et dont le téléphone a été découvert dans une poubelle près de la salle de spectacle. « On est parti on commence », indiquait ce SMS.
Mohamed Abrini
Mohamed Abrini, un Belge de 31 ans, a été vu le 11 novembre vers 19 heures avec Salah Abdeslam, suspect clé des attentats, dans une station-service de Ressons dans l'Oise, au volant de la Clio qui a servi deux jours plus tard aux terroristes, à nouveau détectée à l’aéroport de Roissy-Charles-de-Gaulle à 18 h 10, le 13 novembre 2015. Depuis, Mohamed Abrini est toujours recherché.
Condamné pour une série de vols entre 2006 et 2010, la dernière condamnation de Mohamed Abrini à une peine d’intérêt général remonte au mois d’avril 2015. Mais les services secrets belges le soupçonnent d’avoir profité de vacances en Turquie, en juin 2015, pour faire « un bref passage » en Syrie, ce qui lui a valu d’être inscrit sur la liste de l’Organe de coordination pour l’analyse de la menace (Ocam). Son jeune frère, Souleymane, 20 ans, y est mort en 2014 après avoir combattu auprès d'Abdelhamid Abaaoud, l’organisateur présumé des attentats parisiens.

  • Les trois kamikazes de Bruxelles
Ibrahim El Bakraoui
Recherché dans l'enquête sur les attentats de Paris, Ibrahim El Bakraoui s'est fait exploser le 22 mars 2016 à l'aéroport bruxellois de Zaventem.
Khalid El Bakraoui
Recherché dans le cadre de l’enquête sur les attentats du 13-Novembre, comme son frère Ibrahim, Khalid El Bakraoui s'est fait exploser à Bruxelles, à la station de métro Maelbeek, le 22 mars 2016. Il aurait notamment loué, sous une fausse identité, un appartement à Charleroi (Belgique) d’où sont partis les auteurs des attentats du 13-Novembre juste avant de les commettre. Il aurait également loué l'appartement du quartier bruxellois de Forest, perquisitionné par la police le 15 mars 2016 et où se cachait Salah Abdeslam.
Najim Laachraoui
Identifié par son ADN comme l’un des deux kamikazes de l’aéroport Zaventem à Bruxelles, Najim Laachraoui avait été contrôlé le 9 septembre 2015 à bord d'une Mercedes, sur une aire de stationnement, à la frontière austro-hongroise, en compagnie de Salah Abdeslam et de Mohamed Belkaïd. Son ADN a été retrouvé sur du matériel explosif utilisé le 13-Novembre.
  • Les trois kamikazes du Stade de France
Bilal Hadfi. Image extraite d'une vidéo de l'Etat islamique.Bilal Hadfi. Image extraite d'une vidéo de l'Etat islamique.
Bilal Hadfi
Né le 22 janvier 1995 en France, et de nationalité française, Bilal Hadfi résidait en Belgique où il était étudiant à l’Instituut Anneessens Funck. Parti en Syrie en février 2015, il s'est fait exploser le 13 novembre 2015 rue de la Cokerie (Saint-Denis), aux abords du Stade de France.
L'appel à témoin concernant Ahmad Al Mohammad.L'appel à témoin concernant Ahmad Al Mohammad.
Ahmad al-Mohammad
Le nom d'Ahmad al-Mohammad était inscrit sur le passeport, présenté comme un faux passeport syrien, d'un des trois kamikazes s'étant fait exploser aux abords du Stade de France, à proximité de la porte D. Le mardi 17 novembre, la police française a lancé un appel à témoins (voir la photo ci-contre). L'identité réelle du terroriste n'est toujours pas connue. Mais ses empreintes ont été relevées à Leros (Grèce) en octobre 2015.
Appel à témoin concernant Mohammad al Mahmod.Appel à témoin concernant Mohammad al Mahmod.
Mohammad al-Mamod
Muni d'un faux passeport syrien au nom de Mohammad al-Mamod, l'homme s'est fait exploser le 13 novembre 2015 aux abords du Stade de France, avenue Jules-Rimet. Il serait entré en Europe par l'île de Leros, en compagnie de Ahmad al-Mohammad.
  • Les trois kamikazes du Bataclan
Ismaël Omar Mostefaï.Ismaël Omar Mostefaï.
Ismaël Mostefaï
Ismaël Mostefaï est l'un des trois kamikazes qui ont tué, vendredi 13 novembre 2015, 89 personnes au Bataclan. 
Identifié à Chartres dès 2009 comme membre d'un groupe salafiste dirigé par un vétéran du djihad, Abdelilah Ziyad, condamné pour terrorisme, Ismaël Omar Mostefaï fait l’objet, en 2010, d’une « fiche S » (risque d’atteinte à la sûreté de l’État) pour « radicalisation », comme les autres membres du groupe.
Il est de nouveau repéré en avril 2014 par les services secrets. La DGSI place alors sous surveillance serrée le groupe de Mostefaï à Chartres, jusqu'en septembre 2015, mais sans inclure le futur terroriste dans le dispositif. Les services ont fini par perdre sa trace. Ils ne la retrouveront que le 13 novembre. Au Bataclan.
Samy Amimour
Samy Amimour, un des trois kamikazes du Bataclan, avait franchi la frontière turque le même jour qu'Ismaël Mostefaï. Mis en examen pour « association de malfaiteurs » à la suite d'un départ avorté au Yémen, il faisait l'objet d'un mandat d'arrêt international depuis 2014, après avoir rompu son contrôle judiciaire en 2013. Né le 17 octobre 1987, il était originaire de Drancy (Seine-Saint-Denis).
Foued Mohamed-Aggad
Foued Mohamed-Aggad a été identifié en décembre 2015 comme le troisième kamikaze ayant perpétré l'attaque du Bataclan. Originaire de Wissembourg, à 60 km de Strasbourg, où il vivait chez sa mère, avec ses deux sœurs et son frère, jusqu’à son départ, Foued Mohamed-Aggad faisait l’objet d’une « fiche S » pour radicalisation, mais aussi d’une notice bleue d’Interpol, c’est-à-dire une demande d’information sur la localisation, l’identité, l’origine ou les activités de personnes pouvant présenter un intérêt pour une enquête.
Parti le week-end du 15 décembre 2013 en Syrie, comme neuf de ses amis, il était le seul (en dehors des frères Yassine et Mourad Boudjellal, tués sur place) à ne pas être revenu en France.
  • Le commando qui a attaqué les terrasses
Brahim Abdeslam, frère aîné de Salah Abdeslam.Brahim Abdeslam, frère aîné de Salah Abdeslam.
Brahim Abdeslam
Brahim Abdeslam, de nationalité française, est le frère aîné de Salah Abdeslam. Membre du commando qui a mitraillé plusieurs terrasses parisiennes le 13 novembre 2015, il meurt un peu plus tard en déclenchant sa ceinture d'explosifs au Comptoir Voltaire, une brasserie située 253, boulevard Voltaire. Ses funérailles ont eu lieu jeudi 17 mars 2016 dans l'agglomération de Bruxelles, à la veille de l'arrestation de son frère, Salah.

Chakib Akrouh
Chakib Akrouh, né le 27 août 1990 en Belgique, citoyen belgo-marocain, est mort dans l'assaut conduit par le Raid à Saint-Denis le 18 novembre 2015 mais n'a été identifié que deux mois plus tard. Son ADN avait été retrouvé sur une arme dans la Seat qui a servi aux attaques des terrasses parisiennes. C'est lui qui avait été filmé par une caméra de surveillance de la RATP à Montreuil (Seine-Saint-Denis), en compagnie d'Abdelhamid Abaaoud, au soir du 13 novembre 2015.
  • Le réseau belge d'Abdeslam
Mohammed Amri. © MediapartMohammed Amri. © Mediapart
Hamza Attou et Mohammed Amri
Hamza Attou et Mohammed Amri sont contrôlés le 14 novembre 2015 à 7 h 11, après avoir quitté Paris, puis à 9 h 10 par la gendarmerie de Cambrai, au poste-frontière, en direction de la Belgique, au volant d’une Golf. Ils rentrent en Belgique avec Salah Abdeslam, qu'ils sont venus chercher dans la nuit. Tous deux sont actuellementdétenus en Belgique.
Ali Oulkadi
Une fois arrivé en Belgique, au lendemain des attentats de Paris, Salah Abdeslam est pris en charge par Ali Oulkadi, qui sera arrêté le 23 novembre dans une opération menée par la police belge.
Mounir Ahmed Al Hadj, alias Amine Choukri
Mounir Ahmed Al Hadj, alias Amine Choukri, a été arrêté vendredi 18 mars 2016 rue des Quatre-Vents, dans la commune bruxelloise de Molenbeek, où il se trouvait en compagnie de Salah Abdeslam. Les deux hommes avaient été contrôlés ensemble en octobre 2015 à Ulm (Allemagne). Selon L'Express, Amine Choukri est passé dans l'île grecque de Leros le 20 septembre 2015. Ses empreintes ont également été retrouvées à Auvelais (Belgique), dans une maison utilisée par le groupe terroriste.  
Ahmed Dahmani
Dahmani a été arrêté à Antalya, en Turquie, dans les premiers jours suivant les attentats de novembre 2015 à Paris. Dahmani était arrivé en Turquie le samedi 14 novembre sur un vol en provenance d'Amsterdam. Il avait été contrôlé en compagnie de Salah Abdeslam à Patras, en Grèce, le 4 août 2015. Ils venaient de Bari (Italie), où ils avaient embarqué le 1er août à bord d'un ferry.
Retrouvez également ces informations sur la carte ci-dessous :
Carte terrorisme
source: MEDIAPART

Pédophilie dans l'Eglise: les pourfendeurs du silence


Pédophilie dans l'Eglise: les pourfendeurs du silence

28 MARS 2016 | PAR DAPHNÉ GASTALDI, MATHIEU MARTINIERE ET MATHIEU PÉRISSE
C'est l'un des plus gros scandales de pédophilie dans l'Église jamais révélé en France. Dans le diocèse de Lyon, près de soixante personnes affirment aujourd'hui avoir été abusées par le père Bernard Preynat, responsable d'un groupe scout de 1970 à 1991. Regroupées au sein de l'association La parole libérée, les victimes font entendre leur voix, mènent l'enquête, interpellent l'opinion publique. Dans leur sillage, d'autres affaires sortent au grand jour. Une boîte de Pandore ouverte en seulement trois mois.
La sonnerie du portable vient de le couper au milieu de sa phrase. Un bref regard pour le nom qui s’affiche sur l’écran, il raccroche et reprend le fil de sa pensée :«  Je disais, le père Preynat était vraiment un personnage charismatique, tout le monde le pensait irréprochable... » Nouvelle interruption : un mail fait vibrer son téléphone. Il passe en mode silencieux et s’excuse d'un sourire : « C’est comme ça tous les jours ces dernières semaines. »
Depuis qu’il a fondé avec d’autres victimes l’association La parole libérée, Bertrand Virieux n’a plus une minute à lui. Il ne compte plus les allers-retours à Paris pour répondre aux sollicitations des médias, ni les journées à rallonge. Vie de famille, travail, association et procédure judiciaire, il gère tout de front. Avenant et détendu, le cardiologue de 44 ans nous reçoit un jeudi soir, tard, dans sa maison de Saint-Genis-Laval, petite ville tranquille au sud de Lyon. Ici s’alignent les pavillons et les belles demeures, discrets refuges d’une partie de la bourgeoisie lyonnaise. Seuls les établissements d’enseignement catholique des alentours trahissent la présence de cette élite. Le collège privé est au bout de la rue, l’école primaire à quelques centaines de mètres et le lycée à peine plus loin. Les quatre enfants de Bertrand Virieux y sont scolarisés. « On est cernés », plaisante-t-il.
L’homme n’a pas perdu son sens de l’humour, mais les semaines passées l’ont marqué.« On a du mal à se dire que l’association a seulement trois mois », reconnaît-il. Trois mois au fil desquels le site de l’association est peu à peu devenu le point de convergence des anciens scouts du groupe Saint-Luc, victimes du père Preynat à Sainte-Foy-lès-Lyon entre 1970 et 1991. Un espace pour briser le silence. Relayé d’abord dans les médias locaux, le site gagne rapidement en visibilité, jusqu’à ce que l’affaire éclate véritablement au grand jour à la suite de la conférence de presse organisée par l’association le 12 janvier 2016.
À droite de l'image, au deuxième rang, le père Preynat assiste à la cérémonie de bénédiction des huiles saintes célébrée par le cardinal Barbarin le 1er avril 2015. © lyon.catholique.frÀ droite de l'image, au deuxième rang, le père Preynat assiste à la cérémonie de bénédiction des huiles saintes célébrée par le cardinal Barbarin le 1er avril 2015. © lyon.catholique.fr
Sur le blog, les témoignages s’accumulent, comme celui de « Cyril, 46 ans », abusé par le père Preynat entre 1981 et 1983. « Il  m’embrassait sur la bouche et je sentais le contact de sa langue, écrit-il. Il me caressait le bas du dos, l’intérieur des cuisses, une de ses mains progressait à l’intérieur de mon short pour en arriver entre mes jambes et à me toucher le sexe, pendant que son autre main me faisait toucher son sexe de la même manière. » Les agressions ont lieu dans les cars aux yeux de tous, sous la tente du prêtre, dans les dortoirs lors des camps scouts. Les mots sont crus, les faits précis. Et les victimes de plus en plus nombreuses à contacter La parole libérée.
« À un moment, on se refilait le téléphone, raconte Dominique Murillo, l’épouse de Bertrand Virieux. On n’en pouvait plus entre les journalistes, les messages d’insultes, les personnes qui déliraient la nuit. Et au milieu, les victimes qui essayaient de nous contacter. » Psychologue et victimologue de formation, elle joue un rôle actif au sein de l’association. « En général, les victimes veulent avant tout parler à une autre victime », précise-t-elle. Après ce premier contact, elle les oriente parfois vers des structures d’accompagnement ou des centres médico-psychologiques. « J’en ai accompagné une vingtaine », estime-t-elle.
L’association s’est organisée pour répondre à cet afflux de témoignages. Un forum plus sécurisé a été lancé le 21 mars. Une semaine plus tard, il compte déjà près de 130 inscrits, « dont  31 victimes », fait savoir le webmaster. Une cinquantaine de contributeurs s’y connectent chaque jour.
En ligne, la majorité des faits dénoncés concernent les années 80 et 90, mais remontent parfois jusqu’aux années 60. Au fil du temps, le site s’est aussi élargi à d’autres affaires. D’autres prêtres, d’autres diocèses, pour lesquels des appels à témoins sont lancés. Un système de messagerie privée garantit une certaine discrétion aux victimes hésitantes à faire entendre leur voix. Quelques témoignages arrivent même de Belgique ou de pays d’Afrique. Pour chaque nouveau cas porté à sa connaissance, l’association joue la prudence. Recouper les témoignages, ne jamais livrer de nom en pâture à la presse. Indispensable pour ne pas se voir accuser de vouloir taper sur l’Église.
En trois mois, La parole libérée estime ainsi avoir recensé près de soixante victimes. Un chiffre qui risque d’augmenter encore : le groupe Saint-Luc du père Preynat a accueilli chaque année près de quatre cents enfants, pendant vingt ans.  Et les nouveaux témoignages continuent d'affluer.

« J'en ai rêvé »

Pour comprendre “l'affaire Preynat” et la création de La parole libérée, il faut remonter en juillet 2014. À cette époque, Alexandre Dussot, victime du père Preynat entre l’âge de 9 et 12 ans, contacte le diocèse de Lyon pour dénoncer le prêtre. Le cardinal Barbarin envoie alors son émissaire Régine Maire, responsable de la « cellule d’écoute » du diocèse. Nous sommes en août 2014. « C’était une dame d’un certain âge, très bienveillante. Elle me propose de mettre en place une rencontre de pardon entre elle et le père Preynat », se souvient Alexandre Dussot, aujourd’hui âgé de 41 ans. La scène, qui se déroule le 11 octobre entre la victime, son « bourreau » et une « psychologue » de l’Église, est surréaliste. « Il avoue tous les faits. Il m’explique qu’il était attiré par les petits garçons. À la fin, on récite tous un "Je vous salue Marie" en se tenant la main », raconte Alexandre.
Un mois plus tard, en novembre, il est finalement reçu par le cardinal Barbarin. Mais rien ne se passe. Le père Preynat continue à officier. On le voit à la cérémonie de bénédiction des huiles saintes aux côtés du cardinal Barbarin pour Pâques, le 1er avril 2015 (voir photo). Il est même toujours en poste en juin 2015, quand les enfants d'Alexandre Dussot sont confirmés par un cardinal Barbarin toujours muet. Après des années de silence, Alexandre ne veut plus attendre. Il écrit d'abord au pape François, puis envoie une lettre au procureur de la République, le 5 juin.
Et les événements s’emballent. Une enquête préliminaire est ouverte en juin 2015. En août, le père Preynat est finalement relevé de ses fonctions par le cardinal Barbarin. En septembre, Alexandre Dussot témoigne devant la brigade de protection de la famille. Le 23 octobre, pour court-circuiter une enquête que prépare La Tribune de Lyon sur le père Preynat, le diocèse de Lyon publie un communiqué officiel qui rend publique l'affaire. Deux mois plus tard, en décembre, deux autres victimes, François Devaux et Bertrand Virieux, qui se sont rencontrés quelques semaines plus tôt, contactent Alexandre Dussot. « Le 16 décembre, François Devaux m’appelle. Il me dit qu’il y a une omerta énorme, qu’il y a des dizaines de victimes. Qu’il veut créer une association avec Bertrand Virieux et d’autres. Je n’avais même pas vu leurs têtes, ils n’étaient pas sur les réseaux sociaux. Le lendemain, on crée pourtant l’association. C’était juste une évidence. »
Autour de quelques anciens scouts abusés sexuellement, La parole libérée est créée le 17 décembre 2015. Une porte ouverte unique en France pour les victimes de prêtres pédophiles. Les témoignages se multiplient. « Parce qu’on est beaucoup, on peut mener ce combat à visage découvert. On a une force de frappe à laquelle personne ne s’attendait », affirme Laurent Duverger, victime de Bernard Preynat entre 1979 et 1982.« Ce que fait La parole libérée, j'en ai rêvé. J'espérais que si nous commencions à parler, ça ferait un effet boule de neige », confie Pierre-Emmanuel Germain-Thill, victime qui a rejoint l’association en janvier. Mais ce sont les aveux du cardinal Barbarin dans une interview pour le journal La Croix le 10 février 2016, reconnaissant avoir eu connaissance dès 2007-2008 des agissements pédophiles du père Preynat, qui vont déclencher l’affaire dans la presse et médiatiser l’association. « Ensuite, quand Barbarin a sorti sa phrase “Dieu merci, les faits sont prescrits”, nous avons eu un pic de 60 messages sur le forum », confie avec un sourire Bertrand Virieux.
La parole libérée compte aujourd’hui une douzaine de membres actifs. Des victimes du père Preynat, souvent autour de la quarantaine, comme François Devaux, Alexandre Dussot ou Bertrand Virieux, mais pas seulement. Le blogueur Franck Favre, qui a vu passer dans son diocèse du Beaujolais le père Preynat, est un membre important de l’association. « Je suis webmaster d’un site qui parle de notre commune de 300 habitants, Ranchal (Rhône). Après avoir mené une petite enquête, j’ai décidé d’en parler dans notre newsletter de 150 abonnés. J’étais indigné de savoir que le diocèse avait mis en danger les enfants de nos communes », raconte Franck Favre. « On commence à agréger d’autres personnes », confirme Alexandre Dussot. « Tout le monde n’est pas victime. Les épouses sont très présentes. Ma femme est philosophe, la femme de Bertrand est victimologue. Deux anciens scouts, non victimes, nous ont également rejoints pour gérer le site internet. »
Souvent mariés, avec des enfants, travaillant comme chef d’entreprise, cardiologue, financier ou professeur d’université, les profils professionnels et familiaux des membres de La parole libérée renforcent la stabilité et la force de frappe de l’association. Ainsi que leur environnement catholique et leurs convictions, bien loin d’un anticléricalisme notoire. « Un enfant abusé d’un instituteur ne va pas s’arrêter de lire. C’est pareil pour la pédophilie dans l’église. Nous n’allons pas arrêter de croire », explique Bertrand Virieux, qui dit « croire en Dieu, mais plus du tout en l’institution ».

« Comme une scène figée façon "Cold Case" »

Par la force des choses, les anciens scouts sont devenus enquêteurs. Des recherches qui leur ont permis de fournir des faits précis à la Brigade de protection de la famille et de retrouver d’autres victimes. « On a exhumé des revues scouts, l’almanach de Saint-Luc, et il y avait le nom des enfants. On s’est inscrit ensuite sur des réseaux sociaux, Copains d’avant ou Linkedin. Le soir après le travail, on passait des coups de fil pour retrouver des victimes », raconte Bertrand Virieux, le secrétaire de l’association. Et de rajouter :« On ne cherche pas à se substituer à la police. On nous a bien rappelé qu’il fallait les laisser faire leur travail maintenant. » Leur action a bouleversé le milieu catholique, au point de recevoir des messages d’insultes ou des avertissements leur suggérant de« vérifier la pression de [leurs] pneus » avant de prendre la voiture.
En février 2016, Bertrand retourne même sur les lieux du crime, l’église Saint-Luc à Sainte-Foy-lès-Lyon, quelques jours avant le dépôt de la première plainte pour « non-dénonciation » d'atteinte sexuelle sur mineur contre le cardinal Barbarin. À ses côtés, Pierre-Emmanuel et Axel qui ont porté plainte contre le père Preynat en 2015. De cette visite, Bertrand a gardé des photos sur son téléphone portable. « L'endroit n'a pas changé. Comme une scène figée façon Cold Case. Il y a toujours le même long couloir sous l’église, qu’on appelait le “couloir de la mort” entre nous, et qui menait à de petites salles, comme des cellules. C’est là que se trouvait Preynat. » Vingt-six ans après, les souvenirs resurgissent. Il y avait cette maison avec un jardin, où se trouvait le bureau tant redouté du père Preynat. Mais il n'est pas toujours bon de trop creuser dans ses souvenirs. La psychologue Dominique Murillo met parfois en garde son mari Bertrand Virieux : « Si on a un mécanisme d’oubli, c’est qu’il y a une raison », souffle-t-elle dans leur salon.
Pour les membres de La parole libérée, la demande de pardon prononcée par le cardinal Barbarin mercredi 23 mars ne suffit pas pour oublier. Pas plus que les paroles du pape François qui s’en est pris aux pédophiles dans le clergé, lors de la cérémonie du vendredi saint. « On reste à l’écoute, mais il faut mettre en acte les condamnations à présent », lance Bertrand Virieux, sans concession. Pour que la justice soit rendue, les membres de La parole libérée réclament une évolution de la loi sur les délais de prescription pour les actes de pédophilie, voire une imprescriptibilité. Depuis des semaines, un travail s’est engagé avec des parlementaires dont Muguette Dini, l’ex-sénatrice centriste qui avait déjà déposé une proposition de loi en 2014 pour « modifier le délai de prescription de l’action publique des agressions sexuelles ». Et rendre imprescriptibles les crimes et délits d’agressions sexuelles. D’ici juin, un projet d’amendement devrait être validé par des juristes et présenté au Sénat (lire l'article de Mediapart à ce sujet).
À ce jour, entre 50 et 60 scouts ont signalé des violences sexuelles mais seuls quatre d’entre eux ont pu porter plainte, pour des faits non prescrits. Dans les cas de viol ou d'agression sexuelle sur mineur de 15 ans, la prescription est de 20 ans, à partir de la majorité de la victime. « Aujourd’hui, on sait qu’il y a des amnésies post-traumatiques, souligne François Devaux. Mais une victime n’a que jusqu’à ses 38 ans pour entamer une procédure judiciaire. À 37 ans et demi, il faut donc être suffisamment équilibré dans sa tête, dans sa vie, pour dépasser la honte d’avoir vécu des violences sexuelles par un adulte étant jeune. » Le président de l'association insiste : sans ces délais de prescription, des dizaines de cas de viols signalés auraient également conduit à des poursuites. Aujourd’hui, on recense quatre plaintes contre le père Preynat, trois autres ont été déposées pour non-dénonciation contre le cardinal Barbarin et des membres du diocèse. Une quatrième serait également en cours d’étude.
Depuis l’ouverture de cette « boîte de Pandore », les membres de l’association ont appris à protéger leur vie privée. Nombreux sont ceux qui ont dû prendre de la distance avec leurs parents, soumis à la pression sociale, à l’omerta ou rongés par la culpabilité de n’avoir rien fait. Il s’agit de protéger le noyau dur de leur famille, fatalement exposée aux polémiques soulevées par l’affaire. Surtout les enfants. Cette semaine, dans son école privée catholique, une des filles de Bertrand Virieux a eu la surprise de tomber nez à nez avec un grand portrait installé dans sa classe. Celui du cardinal Barbarin. Et de confier en rentrant de l’école : « J’avais l’impression que ses yeux me suivaient tout le temps. »
source : Mediapart